Commerce et tourisme

La liaison entre tourisme et activités commerciales, que nous entendrons ici comme activités de détail diverses, est ancienne car symbiotique. Faire du tourisme c’est trouver du commerce partout, sous toutes ses formes et destiné à satisfaire tous les besoins de l’«homo consumericus» plus ou moins assumé qu’est le touriste. Un colloque de géographie a ainsi célébré les noces du tourisme et du commerce (CNFG, 2012) en parallèle à de nombreuses études économiques cherchant à en quantifier les incidences (WTO, 2014).

Les deux activités partagent en outre un point commun, c’est d’être décriées: comme un des outils d’une société de consommation de ressources qu’il s’agisse de biens, de services ou de mobilités mais aussi d’offrir des «expériences» à l’authenticité discutables, galvaudant car marchandant, notamment culture(s) et interculturalités. Le commerce agit comme une caisse de résonance de ces reproches. Aux prémices du tourisme on peut ainsi mobiliser les regrets d’un Henry James qui, en 1882, déplore déjà que la

«cité des Doges [soit] réduite à gagner sa vie comme magasin de curiosités»

Mais la déploration des uns est massivement emportée par les constats économiques des autres. Qu’il s’agisse de servir de support à l’activité touristique, ou faire intégralement partie de l’expérience touristique, le commerce est apprécié comme une «part essentielle du tourisme [car] procurant des revenus, des devises, créant des emplois et donnant aux destinations plus de diversités.» (WTTC 2023). La seule part du tourisme commercial, essentiellement urbain et entendu comme un élément clé voire déclencheur du déplacement, est ainsi estimée à 6 % de la valeur dégagée par le secteur à l’échelle du monde (WTTC, 2019). A ce titre l’attention au commerce nourrit des stratégies tant privées que publiques de distinction des destinations.

Le commerce comme service support de l’activité touristique

Le touriste profite des paysages, est en quête de plaisir, de découvertes et de sensations. Mais il reste un être physique et social avide de biens qu’il s’agisse d’assouvir ses besoins les plus essentiels, manger ou se laver, ou qu’il veuille ramener un souvenir comme partie intégrante de son expérience touristique. Cette dernière ne se résume pas au lieu de villégiature et points de visite éventuels mais commence et se termine aussi par un déplacement. Le commerce participe ainsi à une grande diversité d’aménagements aux différentes étapes des pérégrinations touristiques.

Le développement touristique a largement participé à l’affirmation du commerce de flux. Celui-ci peut être défini comme tout type de commerce se localisant au plus près des infrastructures de transport pour capter le potentiel commercial des déplacements. Sans que le tourisme en soit le seul facteur dans des sociétés où la mobilité est quotidienne, il en est un support important. Le temps du voyage est aussi un moment touristique. Ce moment-là, qu’il s’agisse là encore d’assouvir des besoins de consommation banals ou de consommer des biens plus anomaux contribue à développer un équipement commercial ad hoc. Les mobilités touristiques estivales routières à l’échelle du continent européen se traduisent par le chapelet de boutiques d’autoroutes qui en ponctuent les étapes. Auparavant, c’étaient les nationales, à commencer par la célèbre Nationale 7, qui servaient de support à toute une activité commerciale, débordant parfois un peu de la simple réponse aux besoins du voyage pour proposer des produits plus typiques. De l’autre côté de l’Atlantique, la mythique Route 66 ne pourrait être sans son alignement d’équipements commerciaux et de restauration. Ce greffage commercial concerne tous les modes de transport. On pense aux célèbres boutiques « duty free » des aéroports originellement spécialisées dans les alcools, tabacs et produits de luxe. Mais l’offre commerciale qui y est présente s’est fortement alourdie de nombreuses boutiques aux enseignes internationales dans le domaine de la mode notamment. Les gares ferroviaires s’y mettent aussi, renforçant leur offre commerciale vers un peu plus que la satisfaction des besoins de consommation immédiats du voyageur.

Cette présence du commerce encombre parfois tant elle peut devenir envahissante. Du fait du caractère subjectif de cette appréciation, la mesure économique de la jauge idéale est difficile. Elle peut néanmoins s’apprécier dès lors qu’un dysfonctionnement met en évidence un déséquilibre pouvant même nourrir de façon paradoxale une répulsion. Gare donc à l’excès: les aléas de la plateforme aéroportuaire de Bangkok nouvellement mise en service en 2006 étaient attribués à une architecture ayant fait la part belle aux équipements de commerce au détriment de la fonctionnalité même de l’outil! On a ainsi pu l’accuser d’être un centre commercial sur les parkings duquel venaient stationner des avions. Depuis la situation s’est améliorée mais cet aéroport ne faisait que s’inscrire dans une tendance internationale. Dans les classements des aéroports, l’équipement en termes de services et de boutiques apparaît comme un critère. C’est d’ailleurs un élément important de l’équilibre financier des plateformes aéroportuaires. Mais à condition aussi de ne pas oublier son efficience logistique et la sécurité…

Les lieux de résidence et de visite des touristes appellent tout autant du commerce. La diversité des équipements commerciaux concernés illustre la pluralité des tourismes. Parmi les commerces en charge de l’approvisionnement du touriste on recense des boutiques ou petites supérettes de camping. Le principe même des stations intégrées, qu’elles soient de neige ou balnéaires, repose sur le tout sur place, dont le commerce en charge du nécessaire de la quotidienneté. Plus généralement, l’activité touristique contribue au renforcement de l’équipement commercial déjà existant. Supermarchés, hypermarchés bénéficient ainsi de la manne des dépenses touristiques, parfois d’ailleurs, au détriment des équipements idoines aux prix souvent plus élevés et donc relégués au rôle de dépannage. Au-delà de l’alimentaire et de la consommation de biens basiques, là aussi le touriste contribue au chiffre d’affaires de boutiques vendant de l’équipement de la personne notamment. C’est vrai pour le commerce sédentaire mais c’est également vrai pour des marchés prenant de l’ampleur durant la saison touristique, dont les étals vendent tout autant des fruits et légumes qu’une touche de régionalisme, parfois à l’origine douteuse… Que l’on songe aux marchés estivaux de Provence et du bord de mer.

L’impact commercial du tourisme commence aussi dès les pays de départ. On peut évoquer tous les magasins pour l’équipement de loisir, de sports, sans même mentionner les agences de voyage, qui accompagnent la pérégrination plus ou moins aventureuse. L’expérience peut être anticipée ou prolongée par une consommation «exotique» dans les pays émetteurs. Le tourisme ou l’aspiration au voyage, à la découverte, au dépaysement, passe ainsi par le développement de boutiques «ethniques», d’épiceries par exemple, permettant de renouer avec des saveurs découvertes, ou alors d’une offre élargie à des produits rencontrés sur place ou construisant un imaginaire, par exemple meubles et décorations diverses qui pérennisent dans l’intimité du logement cet «ailleurs».

Parmi l’équipement commercial induit par l’activité touristique, la boutique de souvenirs est emblématique. Ce terme d’origine française, utilisé par les Anglais depuis le 18° S, en est d’ailleurs devenu un totem présent sous bien des latitudes. Là encore les matérialisations commerciales de cet acte d’achat spécifique sont très diverses, allant du commerce physique ayant pignon sur rue, façonnant parfois de longs linéaires, à des vendeurs ambulants, plus ou moins officiels, mais allant jusqu’aux chemins vicinaux les plus fins du tourisme. Parfois, certains dénoncent cette omniprésence commerciale. La plainte n’en est d’ailleurs pas récente puisque Louis Bertrand dans ses pérégrinations orientales du début du XXe siècle déplore déjà qu’au pied des Pyramides égyptiennes «il [faille] négliger le splendide paysage désertique pour s’occuper de scarabées et d’Osiris en toc fabriqués à la douzaine par des mouleurs italiens.» Aujourd’hui, là où ailleurs, on évoquerait plus le «made in China». Même si cela entache quelque peu l’authenticité du dépaysement, cela n’enlève finalement pas grand-chose à un souvenir (objet) qui est érigé au rang de témoignage du côtoiement d’une altérité que l’on n’a parfois guère croisée, voire fuie sur place! Cette madeleine du touriste, cristallisation physique d’un voyage avec ses péripéties, découvertes, surprises, permet d’en revivre certaines sensations et aussi d’en partager quelques miettes avec d’autres, ceux qui n’y sont pas allés. Et de ce point de vue, ce souvenir, allant de la «magnette» sur la porte du frigidaire à des objets plus luxueux, porteur d’une dimension culturelle exotique, représentation d’une croyance, d’une époque, d’une symbolique exogène, est précieux car prolongeant l’expérience touristique. Même s’il n’est pas toujours assumé par certains puristes se voulant plus voyageurs que touristes.

« Il était temps de songer à ramener quelques babioles pour nos proches. Après une absence vouée aux plaisirs et à la culture, il faut savoir se rendre populaire auprès de ceux qu’on a laissés chez soi.

-J’espère que tu ne comptes pas écumer les boutiques, m’a averti mon cricri. Les souvenirs, je te préviens, ça me colle de l’urticaire.

-Non, bien sûr, tu penses. C’est pas notre genre. » (Ségur, 2008, p. 159)

Boutiques de souvenirs à mi-pente de l’Etna, Philippe Dugot, 2011.

Vendeurs ambulants au pied de l’une des pyramides de Teotihuacan, Philippe Dugot 2005.

Par le seul biais du commerce, le tourisme se rappelle comme un moteur important d’animation voire de réanimation d’une économie présentielle. Exemple parmi d’autres, le classement d’Albi au patrimoine mondial de l’Unesco et les 1,3 millions de touristes (2022) ont ainsi joué un rôle dans l’essor de l’activité commerciale à proximité de la Cathédrale Sainte-Cécile.

Le commerce comme partie intégrante de l’expérience touristique

Reflet ou rançon d’une société de consommation dominante, le commerce n’est plus simplement cet accompagnant servile. Le voilà qui mène de plus en plus le bal de flux touristiques. Il ne s’agit pas là simplement du magasin de souvenirs mais d’un équipement suffisamment important pour nourrir une attraction, non en passant, mais pour lui-même. Le commerce devient alors le moteur principal si ce n’est exclusif parfois, de la «touristicité» d’un territoire (WTO, 2014).

On peut distinguer deux types de territoires de tourisme commercial, l’un où la dimension patrimoniale sert de support important à la « touristicité » et l’autre où l’on parle de créations ex nihilo avec un commerce aux commandes. Bien souvent, au regard des retombées attendues ou espérées, les pouvoirs publics, aux échelles nationales comme locales, sont des complices actifs de ce développement (Muro-Rodriguez et al., 2020) mettant en place un écrin d’épanouissement aux activités commerciales (soin apporté à l’espace public, mobilités) et/ou, dans une stratégie à plus long-terme, travaillant à la préservation d’un patrimoine initial ou planifiant les ressorts d’un tourisme plus distinctif là où la « masse » n’est pas ou plus souhaitée. Au registre du patrimoine, le commerce peut être en lui-même un objet de patrimoine. Vieilles boutiques vendant un produit caractéristique, librairies, Grands magasins sont autant de marqueurs identitaires de la société visitée. Songeons à Harrods à Londres, KaDeWe (Kaufhaus des Westens) à Berlin ou aux Galeries Lafayette à Paris. Le commerce participe ainsi à une patrimonialisation plus large, celle d’une ville ou d’un modèle urbain. Barcelone, haut lieu du tourisme urbain, s’est ainsi proclamée il y a quelques années, « Meilleure boutique du monde ». A Paris c’est le luxe qui est mis en miroir de la « ville lumière ». Milan joue aussi de cette partition. Au-delà de ces exemples, tout un processus de mise en commerce du tourisme urbain s’est déployé à coup de flagship stores, magasins porte-étendards de marques (brand) nourrissant de fait un City branding (mise en marque d’une ville). Ce « shopping touristique » doit beaucoup à l’essor d’un tourisme asiatique (Duhamel, 2018). Ainsi, parce que les produits de luxe sont 30 % moins cher que chez eux, les touristes chinois sont aussi de bons clients. Les Galeries Lafayette leur ont ainsi dédié un espace, le Shopping Welcome center, en face de leur vaisseau amiral du boulevard Haussmann à Paris afin de faciliter leur halte consommatoire.

Le rôle du commerce est fondamental dans ce processus avec un paradoxe, la mise en tourisme d’une ville adossée à une singularité urbaine s’appuie sur des marques internationales participant à une normalisation mondialisée de la consommation. Cette mise en commerce d’un patrimoine mais aussi de mise en tourisme d’un commerce, peut se faire au risque d’une « disneylandisation » des territoires, d’une « muséification » des centres anciens et d’une « folklorisation » de l’objet commercial (figure 3). Ainsi, ce dernier peut à la fois être érigé comme parangon du commerce du lieu et marginalisé dans les pratiques des locaux (au moins sur certaines portions) par l’afflux de touristes pourtant venus là en quête d’authentique ! Tel est le cas du souk, en tout cas ceux figurant dans les circuits touristiques, du souk de Marrakech, de Tunis au Bazar d’Istanbul. Il y a plus d’un siècle, Louis Bertrand relevait que

«le bazar oriental n’est plus guère qu’un souvenir.[…] Les petites échoppes de la plèbe, comme les grands magasins pour touristes, sont envahies par une affreuse camelote allemande ou autrichienne.»

Entrée Encyclo "Commerce et tourisme" - Philippe Dugit - Mai 2025

Figure 3 : Huile d’argan, magnettes et tapis orientaux en attente de touristes dans la médina de Rabat – Source : Philippe Dugot 2024

Quoiqu’il en soit, une dialectique économiquement profitable entre commerce plus ou moins patrimoniaux et patrimonialité des territoires, se développe. Ce n’est pas toujours pour le meilleur, mais le lien est indéniable. Au-delà d’être une greffe active vivifiant un corps plus important, le commerce devient par lui-même le moteur unique d’une attraction touristique. Le commerce moderne est à la manœuvre produisant de grands centres commerciaux possédant une vocation de desserte s’étendant bien au-delà d’une aire de chalandise locale. Aux États-Unis sait-on que parmi les principales attractions touristiques figure un centre commercial, le Mall of America (MOA)? Avec 40 millions de visiteurs en 2021 ce centre commercial s’impose à la suite de Times square, Central Park, Las Vegas et Union Station à Washington. Suivi d’un autre Mall, non commercial celui-là, le National Mall à Washington, il devance assez largement Disneyland en Californie ou le Grand Canyon! Faisant d’abord l’objet d’une fréquentation nationale, il n’en figure par moins dans le programme d’opérateurs de voyages organisés internationaux. Il propose 520 boutiques, une restauration diversifiée et de nombreuses attractions. Il profite de la localisation barycentrique de la ville de Bloomington au Minnesota. Ce type de projet heurte néanmoins des sociétés soucieuses d’économiser du foncier agricole ou attendant des projets de territoire moins ancrés dans l’alimentation d’une logorrhée consommatrice. L’important projet commercial d’Europacity, dans le Triangle de Gonesse, sur le chemin de l’aéroport de Roissy dans le nord parisien, en a fait les frais. Ailleurs, dans les pays émergents, avec moins de réticence, c’est au contraire dans une débauche de funshopping et de retailtainment (contraction de «retail» et de «entertainment», soit commerce de détail et divertissement) que le commerce est mobilisé comme moteur touristique. Dubaï apparaît ainsi comme le royaume d’un «bling bling» appuyant une stratégie d’attraction résidentielle et touristique. Toujours au registre d’une attraction touristique autour d’une création commerciale, on peut évoquer les nombreux villages de marques (ou centres de marques) où, sous diverses enseignes, par des rabais et «bonnes affaires» sont détournés ou drainés des flux touristiques importants (Lamy, 2012). En France on dénombre une vingtaine de ces structures. Les frontières constituent aussi des points de fixation d’une activité commerciale dédiée, nourrie souvent par les différences de prix sur tel ou tel produit. On y recense beaucoup d’excursionnistes plus ou moins locaux mais aussi des flux de touristes majeurs. Cas parmi bien d’autres, celui de l’Andorre. La principauté pyrénéenne d’altitude, caravansérail consumériste, est ainsi devenu une «hérésie logistique» voyant monter des marchandises en camion pour qu’elles redescendent dans le coffre des voitures de particuliers (Dugot, 2013). L’Andorre essaye de sortir de cette image de supermarché d’altitude par le tourisme hivernal et d’autres activités, mais dans son offre touristique, le centre commercial n’est jamais bien loin.

Le Pas de la Case (Andorre) en hiver, Philippe Dugot, 2011.

Face à cette rente consommatoire, outre des politiques aménagistes ciblant les sites concernés, les pouvoirs publics n’hésitent pas à adapter la législation. Si le MOA évoqué plus haut, n’est pas à l’origine du fait que le Minnesota ne taxe pas l’achat de vêtements, ses dirigeants sont de fervents défenseurs de cette singularité, «aimant pour les consommateurs venant d’en dehors de l’État». En France, pays au droit du travail contraignant, ont été développées à partir de 2015 les Zones touristiques internationales (ZTI) permettant de déroger au repos dominical. Dix sont à Paris (sur 18) en réponse à l’inquiétude d’un ancien premier ministre trouvant dommage que dans leur périple européen les touristes chinois visitent des monuments à Paris et terminent par une séance shopping à Londres! De récentes statistiques étayent encore ce diagnostic: si la France demeure en 2022 la principale destination touristique en nombre de touristes internationaux, en termes de contribution économique directe du tourisme commercial, elle n’apparaît qu’en sixième position, proche mais juste derrière le Royaume-Uni (WTTC, 2023).

Lien vers la liste et localisation des Zones touristiques internationales, zones touristiques, zones commerciales et gares en région Ile-de-France (Source : Préfecture de la région Ile-de-France et préfecture de Paris – 2020) : 

https://www.prefectures-regions.gouv.fr/ile-de-france/content/download/70426/457528/file/CARTE%20ZC%20ZT%20ZTI%20IDF%2010032020.pdf

Tourisme et commerce, une même chorographie heuristique

Entrée Encyclo "Commerce et tourisme" - Philippe Dugot - Mai 2025

Figure 5 : La complicité heuristique entre tourisme et commerce – Source/réalisation : Philippe Dugot, 2024.

Le commerce fait donc partie de l’expérience touristique à plusieurs titres rendant le couplage entre tourisme et commerce à la fois évident et multiforme. Cela permet d’en dire beaucoup sur l’une ou l’autre des deux activités mais aussi sur le cadre géographique et social de leur déploiement. Les formes commerciales épousent au travers de leur clientèle la signature socio-spatiale du tourisme. Réciproquement, le commerce, devenu cible touristique, produit un tourisme propre avec ses attributs. Marqueur identitaire, l’acte d’achat est souvent le lien principal voire unique avec l’altérité des sociétés visitées. Quant au dévoiement d’une authenticité souvent constaté par l’origine des produits vendus il est l’écho commercial et touristique de la mondialisation.

Dans son croisement avec le tourisme, le commerce, en dit beaucoup aussi des mentalités des sociétés occidentales et émergentes de notre monde. Le registre consommatoire avec ses ambivalences mérite que l’on s’y arrête. Étape ultérieure ou complémentaire à une consommation fordiste, il faut aussi se distinguer: «j’ai fait telle destination», «j’ai acheté telle chose». Il est intéressant d’observer une contradiction: le tourisme c’est le dépaysement, dépaysement dont le bien consommé portera témoignage. Mais en même temps, une part importante de touristes a besoin d’être rassurée notamment au niveau de la consommation alimentaire, d’où la prégnance d’enseignes internationales offrant une certaine normativité. Et autre paradoxe, les grandes enseignes internationales, y compris celles que le touriste possède chez lui, sont des moteurs attractifs. Cela relève de prix préférentiels ou de la saveur particulière que possède l’objet de marque acheté dans son pays d’origine. Le cas Vuitton pour lequel des touristes asiatiques font la queue devant le flagship store des Champs-Élysées n’a pas la même saveur que le même acheté dans une boutique sans doute guère différente du pays d’origine. Il n’est pas rare de voir des touristes se photographier devant ce type de boutiques ou les Grands magasins, sur le registre d’un «j’y étais».

Commerce et tourisme partagent toutes les ambivalences d’activités économiques par rapport à la thématique de la durabilité. Par définition, elles apparaissent en contradiction avec les impératifs de sobriété qui s’invitent immanquablement lorsqu’est convoqué le développement durable ou autrement dit une nécessaire transition. Les deux secteurs réagissent, le tourisme durable ou éthique trouvant un écho avec le centre commercial capé d’une Haute Qualité Environnementale (HQE). Dans les deux cas, le greenwashing n’est pas loin en recourant à des palliatifs qui ne posent pas le fondement du problème : gestion des eaux, des déchets, production d’énergie renouvelable, économies diverses, etc. Les choses s’améliorent mais dans les deux cas la mécanique est souvent celle d’un ajustement à une nouvelle donne marketing. On ne peut plus tout à fait offrir une destination touristique comme on le faisait avant tout comme la consommation outrancière de biens peut être négativement connotée. La contradiction est tellement intrinsèque qu’elle ne peut donner lieu qu’à des adaptations insatisfaisantes, d’autant que la demande de touristes/consommateurs est là. Une réflexion commune n’en est pas moins indispensable d’autant que le commerce est au premier rang des accusations quant à la marchandisation de l’expérience qu’est le voyage. Commerce et tourisme s’imposent alors, ensemble ou isolément, comme des outils herméneutiques d’une problématique plus large celle de la mise en sobriété de nos pratiques de consommation de l’œkoumène avec pour objectif de sortir du seul champ de l’accusation récurrente d’être des « parasites mondophage » (Christin, 2017).

Philippe DUGOT

Bibliographie mentionnée

  • Bertrand Louis, 1908, « Le mirage oriental », Revue des Deux Mondes, tome 47, 37 p.
  • Christin Rodolphe, 2017, Manuel de l’anti-tourisme, Montréal, Ecosociété, 141 p.
  • CNFG, 2012, Enjeux touristiques et lieux commerçants, Colloque de Reims, CNFG, Commissions « géographie du commerce » et « géographie du tourisme et des loisirs ».
  • Dugot Philippe, 2013, « L’Andorre, de l’isolat pyrénéen au supermarché montagnard », dans Lebrun Nicolas (dir.), Commerce et discontinuités, Arras, Artois Presses Université, p. 57-68.
  • Duhamel Philippe, 2018, Géographie du tourisme et des loisirs, Paris, Ed. A. Colin, 256 p.
  • James Henry, 2006 [1909], Heures italiennes, Paris, Éditions La Différence, 539 p.
  • Lamy Caroline, 2012, Des centres de magasins d’usine aux villages de marques : nouvelles traductions du concept, nouvelles localisations, nouveaux enjeux territoriaux, Thèse de doctorat en Géographie-Aménagement, Brest.
  • Muro-Rodriguez Ana Isabel, Roberto Pérez-Jiménez Israel, Sanchez-Araque Jesús Antonio, 2020, “Impact of Shopping Tourism for the Retail Trade as a Strategy for the Local Development of Cities”, Frontiers in Psychology, vol. 11, Janvier, 5 p.
  • Sangeeta Peter, Victor Anandkumar, Len Tiu Wright, 2016, “Deconstructiong the Shopping Experience of Tourists to the Dubai Shopping Festival”, Cogent Business and Management, vol. 3, Issue 1.
  • Ségur Philippe, 2008, Vacance au pays perdu, Buchet-Chastel, 241 p.
  • WTO, Global report on Shopping Tourism, Madrid, UNTWO, 2014.
  • WTTC, Global Retail Tourism : Trends and Insights, Rapport, 2019.
  • WTTC, Global Retail Tourism : Trends and Insights, Rapport, 2023..