Tourisme

Le tourisme est un voyage, un déplacement qui implique de quitter son lieu de vie quotidien pour habiter un autre lieu temporairement, un lieu hors quotidien. A destination sera déployé un projet de pratiques résultant d’une combinaison entre repos/découverte/jeu/shopping et sociabilité afin d’assurer la «recréation» de l’individu-touriste. Faire du tourisme c’est activer un système de pratiques, d’acteurs et de lieux (Knafou et Stock, 2013).

Un nouveau voyage

Le tourisme est le voyage le plus récemment inventé dans l’histoire car il n’est ni un pèlerinage, ni un voyage d’affaires ou diplomatiques, mobilités qui existaient depuis des siècles. Cette invention se situe à l’articulation des 18e et 19e siècle comme l’indique l’apparition du mot «tourist» en anglais en 1800, en français en 1803 et en allemand en 1875. Ce voyage se fonde, historiquement, sur deux pratiques: l’une en lien avec le «Grand tour» où ce voyage encyclopédique initié au 15e siècle devient un voyage thématique au début du 19e articulé autour de la découverte, des paysages, de l’art des Antiques et des Classiques comme de la société (Towner, 1985); l’autre est l’avènement de nouvelles manières de se soigner où l’eau, l’air et la lumière deviennent des ressources thérapeutiques.

Dans le premier cas, villes, campagnes, bord de mer et montagne seront distinguées. Dans le second, seuls littoraux et montagnes seront investis. Au monde des «pleins», le tourisme investit le monde des «vides» (Violier et al. 2021). Les deux pratiques constituent l’ADN du tourisme par ce qu’elles sont le fait des mêmes populations, dans le cadre parfois, d’un même voyage: ainsi les vertus thérapeutiques de Nice (la cure d’air) furent identifiées par des Anglais, en route pour l’Italie. Le jeu est le complément indispensable de ces activités jusqu’à être considéré par certains chercheurs comme «une thérapie officielle et officieuse» (Cossick, 2000). A partir de ces premières logiques, d’autres furent initiées et développées au gré de l’histoire du tourisme.

En quoi le voyage touristique n’est pas comme les autres?

Les origines du tourisme permettent de montrer une première spécificité. Mais d’autres existent et donnent un sens et une place particuliers à cette mobilité.

Le tourisme est un déplacement choisi, c’est-à-dire un changement d’habiter souhaité et organisé par les personnes ou les entreprises dédiés (tour-opérateur ou agence de voyages) où l’on décide volontairement de quitter son lieu de vie permanent pour aller vivre ailleurs. Dès lors cela signifie que nous acceptons de quitter la routine du quotidien et d’aller expérimenter une certaine ou une réelle déroutinisation pour une durée limitée. Ce voyage s’inscrit dans le temps libre des individus et des familles – car il est avéré que partir en famille constitue la première motivation des individus (Mondou et Violier, 2009). Pour les actifs, salariés, il est largement conditionné par les congés payés et les vacances scolaires. Pour les retraités, la question se pose du sens du tourisme dès lors que les contraintes liées au travail n’occupent plus une bonne partie du temps, comme abordé dans l’entrée retraite. De plus ils restent touriste parce qu’ils l’ont été durant la vie professionnelle, qu’ils disposent pour beaucoup de ressources financières mobiliser et d’un capital santé. Bien sûr les situations sont très contrastées selon les personnes et les pays. Globalement le tourisme s’inscrit dans le temps libre des individus et des familles – car il est avéré que partir en famille constitue la première motivation des individus (Mondou et Violier, 2009)

Le tourisme est un déplacement au cours duquel l’individu recherche un différentiel pour expérimenter une confrontation à l’altérité. En effet, le mouvement touristique s’explique par le fait qu’ailleurs n’est pas ici. «Là où je vais, n’est pas comme chez moi. Ce différentiel peut être compris comme un ensemble de différences interagissantes entre elles et provoquant le choix d’une destination.» (Duhamel, 2018) Toutes ces différences fonctionnent comme un système et constituent un différentiel. Celui-ci, historiquement ou aujourd’hui, relève d’un certain nombre arbitrage individuel ou collectif (le groupe avec lequel nous partons) à partir des discours, des images et imaginaires, des envies et des fantasmes comme des injonctions sociétales. Partir ici plutôt qu’ailleurs n’est pas forcément un choix simple. Et cette expérience de l’altérité n’est pas proportionnelle à la distance tant le voyage n’est pas une mobilité qui va de soi: pour certains, partir à quelques kilomètres de leur domicile suffit à «leur bonheur» au sens d’une rupture dans le quotidien alors que d’autres auront besoin de franchir la moitié du Monde pour se sentir ailleurs.

Pour faire face à la diversité du Monde et accompagner le voyageur s’est constitué un marché touristique à partir des années 1850 avec l’apparition concomitante des tours opérateurs et des agences de voyages, de l’hôtellerie et des hébergements touristiques comme de nouveaux livres: les guides touristiques. Cela fut un formidable facilitateur pour le développement du tourisme et permit une première démocratisation de la pratique largement alimentée par la colonisation européenne.

Le tourisme est un déplacement où le touriste recherche un différentiel pour expérimenter une confrontation à l’altérité. Il provoque donc une expérience du Monde au cours de laquelle nous apprenons à «être touriste». Car «on ne naît pas touriste, on le devient.» (Équipe MIT, 2002) Cet apprentissage s’acquiert dans l’enfance grâce aux parents et à la famille, au monde éducatif (sortie et classes scolaires). Plus âgé, on fourbit ses propres armes de la mobilité laquelle sera dépendante du choix de ses études, de sa sociabilité, et l’expérience de son/sa partenaire et du moment dans le «cycle de vie»: la venue des enfants peut provoquer le choix de nouvelles formes de vacances pour un couple de globe-trotter et leur permettre ainsi d’acquérir d’autres compétences (avoir un enfant qui accepte de voyager de longues heures!). Au final, toutes les étapes de l’existence apportent son lot d’expériences et d’apprentissages (Brougère et Fabbiano, 2014). Dès lors, «savoir voyager» est une compétence (Guibert, 2016). Là encore, le «marché touristique» est un outil qui peut se révéler très utile.

Le tourisme est un voyage pendant lequel l’on part habiter ailleurs, temporairement: de manière courte (d’une journée quelques jours) ou longue (quelques semaines). Et cet habiter touristique des lieux montre des spécificités qui peuvent conduire à des tensions voire créer localement des conflits. Tout d’abord, le touriste étant un urbain, il entend retrouver ailleurs ce qui constitue son quotidien. Cela est source de critiques vis-à-vis du touriste, mais cela reste la caractéristique première de ce voyage.

Historiquement cela a plutôt été bien accueilli par les habitants qui y voyaient les moyens de faire évoluer leur lieu: nouvelles constructions plus modernes, nouveaux équipements. Actuellement, il est plutôt critiqué avec l’idée d’un tourisme qui atténue la diversité du Monde. Ensuite le touriste a un rythme de vie différent de l’habitant. Dans les lieux touristiques, cela ne posait pas de problème tant que les touristes séjournaient dans des hébergements dédiés. Mais la cohabitation devient plus difficile avec le développement des locations de courte durée où le touriste est potentiellement «notre voisin» et apparaît dans des quartiers dépourvus de touristes auparavant comme certains quartiers péri-centraux de Paris ou La Barceloneta à Barcelone.

Enfin, le touriste se caractérise aussi par des postures et des attitudes différentes des habitants. Historiquement, cela s’alimentait autour du couple urbain/rural alors que cette dualité prend la forme de touriste occidental-étranger/autochtone aujourd’hui. En tout cas, cette co-habitation fonctionne généralement très bien et depuis longtemps mais, récemment, des tensions sont réapparues autour d’un soi-disant «surtourisme», même si fondamentalement le tourisme est aussi une source de profits pour une partie des habitants notamment ceux qui travaillent dans ce secteur et ceux qui louent.

Critique et dépassement des définitions officielles: un outil pour clarifier les mobilités

La définition et l’analyse que nous proposons, s’inscrivent dans une logique très différente de celles proposées par les organismes officiels comme l’Organisation mondiale du tourisme: «Le tourisme est un phénomène social, culturel et économique qui suppose des mouvements de personnes vers des pays ou des lieux situés en dehors de leur environnement habituel intervenant pour des motifs personnels ou pour affaires et motifs professionnels.» Cette définition pose un certain nombre de question autour des motivations et pendant longtemps la durée, absente maintenant, ne devait pas exercer une année. Notons aussi que les statistiques de l’OMT posent plusieurs problèmes.

Peut-on être touriste à l’année sachant que nous sommes contraints dans nos mobilités par les congés payés et autre RTT, par les impératifs familiaux, les soucis de santé, le calendrier scolaire quand nous avons des enfants? Même un retraité ou un non-salarié peut-il s’absenter une année et rester touriste? Enfin les visas «touriste» quand nous voyageons dans le Monde, sont aussi un élément de présence limitée dans un territoire étranger? Ces derniers dépassent rarement 6 mois. De même les motivations peuvent-elles être professionnelles, médicales ou religieuses? Pour nous, c’est impossible car le contexte comme le déroulement, les lieux comme les pratiques diffèrent d’avec le tourisme (Ill. 1).

Si des points communs apparaissent entre les mobilités comme le fait de quitter son quotidien, d’emprunter un moyen de transports et de réserver un hébergement, des distinctions fortes existent et montrent que le tourisme est un voyage spécifique qui se différencie de tous les autres qui seront alors appelés «voyage d’affaires», «voyages médical» et «pèlerinage», là où le marché touristique les nomme «tourisme d’affaires», «tourisme de santé» et «tourisme religieux». A les prendre pour du tourisme, on risque d’ignorer les attentes de ces clientèles ou de mésestimer/ignorer les besoins comme les évolutions des pratiques. Toutefois, dans chacun de ces trois voyages peut exister une «séquence touristique», c’est-à-dire que l’on profite d’un déplacement professionnel, religieux ou de santé pour, éventuellement, le prolonger par un séjour touristique ou prendre le temps de visiter tel ou tel lieu… Mais le voyage n’est pas, au départ, touristique. Dès lors, et en reprenant les mots-clés énoncés au départ, nous pouvons distinguer les différentes mobilités de notre vie et replacer chacune dans un contexte spatio-temporel spécifique (Ill. 2).

Ill. 2. Saisir les mobilités touristiques et de loisirs dans un système de mobilité

Cette clarification est nécessaire et permet de donner au voyage touristique et au tourisme, tout sa place, rien que sa place. En sociologie, le mot «vacances» est plus souvent convoqué (Réau, 2011) mais Élias et Dunning (1994) précisent: «voyager pendant ses vacances».

Les travaux en sciences économiques (notamment Caccomo, 2015) abordent cette question par la segmentation qui reprend les catégories de l’OMT. Or, il s’agit comme nous l’avons souligné de différences de nature et non de différentes modalités d’un même ensemble. Les conditions des déplacements sont radicalement différentes et ignorer cette réalité condamne à ne pas saisir le sens profond de la mobilité touristique. Nous interprétons ainsi l’échec relatif ou total de propositions qui n’ont pas intégré le fait que les touristes voyagent pour leur plaisir et ne sont pas des élèves ou des étudiants. Lorsque la proposition leur déplait, ils désertent (Violier, 2017).

Ill. 3. La segmentation, selon Caccomo, 2015

En sciences de gestion les postures varient. Les uns, notamment Frochot et Legoherel (2018) adoptent la même que celle des économistes et la traite d’après l’angle de la segmentation. Selon cette approche le tourisme dit d’agrément serait une modalité du tourisme qui comprendrait également les voyages d’affaires, les mobilités scolaires, les pèlerinages… Or, comme nous l’avons argumenté ci-dessus, ces déplacements ne sont pas de même nature et ils ne peuvent donc être appréhendés comme les parties d’un tout. Dans d’autres ouvrages (Clergeau et Peypoch, 2019a), cohabitent des options qui divergent entre la crispation sur les catégories institutionnelles qui ne sont pas discutées (Petr, 2019), et une ouverture qui prend en compte les travaux réalisés dans d’autres disciplines, mais précise aussi la contribution spécifique des sciences de gestion (Clergeau et Peypoch, 2019b).

Des objections soulignent tout l’intérêt d’un débat. Ces derniers auteurs pointent: «Mais [l’approche défendue par Stock et al. (2017)] restreint l’analyse du phénomène dans ses évolutions actuelles…» Ils poursuivent, premièrement: «les voyages d’affaires par exemple, qui donnent lieu à des expériences touristiques à travers la découverte du lieu de destination ; les événements professionnels qui se voient agrémentés de visites culturelles ou de loisirs» (Clergeau et Peypoch, 2019b: p. 12). Or comme nous l’avons écrit ci-dessus, des points communs existent entre les différentes mobilités, notamment le franchissement de la distance, la déterritorialisation qui justifie la recherche d’un hébergement… mais pour autant, le temps libre est subordonné à l’accomplissement de la tâche attendue par l’employeur ou fixée dans le cadre d’une contractualisation pour les travailleurs indépendants, et notamment de son emprise sur le temps. Comme au lieu de résidence, les actifs disposent de temps libres qu’ils emploient dans le cadre de séquences touristiques, mais la totalité du déplacement ne peut être considérées comme touristique.

Deuxièmement, les mêmes auteurs poursuivent: «les nouvelles pratiques de staycation (contraction de stay et vacation)… qui consistent à prendre des vacances en restant chez soi, en expérimentant un hôtel près de chez soi, en visitant sa ville et profitant de ses ressources touristiques sont d’emblée tous exclus de cette définition» et de conclure: «La frontière entre tourisme loisirs – loisirs hors du lieu du quotidien ou dans le lieu du quotidien – s’estompe» (Clergeau et Peypoch, 2019b: p. 12). «Visiter sa ville» relève des loisirs et non du tourisme, y compris passer une nuit ou plus dans un hôtel pour changer, se distraire. Les individus demeurent dans leur environnement quotidien ou aux marges de celui-ci, et dans ce dernier cas il peut être opportun d’avoir recours à un hébergement. L’espace quotidien n’est pas strictement délimité par une frontière au tracé nette comme son étendue varie selon les individus et les groupes sociaux.

Philippe DUHAMEL et Philippe VIOLIER

Bibliographie

  • Brougère Gilles et Fabbiano Giula (dir.), 2014, Apprentissages en situation touristique. Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, coll. «Éducation et didactique», 190p.
  • Caccomo Jean-Louis, 2015, Fondements d’économie du tourisme. Louvain-la-Neuve, De Boeck Sup., 225 p.
  • Clergeau Cécile et Peypoch Nicolas (dir.), 2019a, La recherche en management du tourisme, Paris, Vuibert, Fnege, 431 p.
  • Clergeau Cécile et Peypoch Nicolas, 2019b, «Introduction. Le tourisme. Enjeux et questionnements pour la recherche en sciences de gestion», dans Clergeau Cécile et Peypoch Nicolas (dir.), La recherche en management du tourisme. Paris, Vuibert, Fnege, p. 9-25.
  • Cossick Annick, 2000, Bath au XVIIIe siècle: les fastes d’une cité palladienne. Rennes, Presses Universitaires de Rennes, coll. «Diadac Civilisation», 202 p.
  • Duhamel Philippe, 2018, Géographie du tourisme et des loisirs – Dynamiques, acteurs, territoires. Paris, Armand Colin, 288 p.
  • Elias Norbert et Dunning Eric, 1994, Sport et civilisation. La violence maîtrisée. Paris, Payot, 396 p.
  • Équipe MIT, 2002, Tourisme 1. Lieux communs. Paris, Belin, 320 p.
  • Frochot Isabelle et Legoherel Patrick, 2018 (4e édition), Marketing du tourisme. Construire une stratégie efficace. Paris, Dunod, coll. «Marketing, communication», 328 p.
  • Guibert Christophe, 2016, «Les déterminants dispositionnels du “touriste pluriel”. Expériences, socialisations et contextes», SociologieS, Theory and research. en ligne.
  • Knafou Rémy et Stock Mathis, 2013 (1re éd. 2003), «Tourisme», dans Lévy Jacques et Lussault Michel (dir.), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Paris, Belin, 1128 p.
  • Mondou Véronique et Violier Philippe, 2009, «Projets, pratiques et lieux touristiques, quelles relations?» Mappemonde. n°94-2, 15 p., en ligne.
  • Petr Christine, 2019, «Qui sont les touristes: définitions et périmètres», dans Clergeau Cécile et Peypoch Nicolas (dir.), La recherche en management du tourisme. Paris, Vuibert, Fnege, p. 27-43.
  • Réau Bertrand, 2011, Les Français et les vacances. Paris, CNRS éditions, 240 p.
  • Stock Mathis, 2001, Mobilités géographiques et pratiques des lieux: étude théorico-empirique à travers deux lieux touristiques anciennement constitués : Brighton & Hove (Royaume-Uni) et Garmisch-Partenkirchen (Allemagne). Thèse de Doctorat en Géographie, Université de Paris 7.
  • Stock Mathis, Coëffé Vincent, Violier Philippe, Duhamel Philippe, 2017 [1re éd., édition revue 2020], Les enjeux contemporains du tourisme. Une approche géographique. Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 500 p.
  • Towner John, 1985, «The grand tour: A key phase in the history of tourism», Annals of Tourism Research. vol. 12, n°3, p. 297-333, en ligne.
  • Violier Philippe, 2017, «Le tourisme processus d’intégration des marges, réussite et échec des politiques publiques en France», dans Bernard Nicolas, Blondy Caroline et Duhamel Philippe (dir.), Tourisme et périphéries. La centralité des lieux en question. Rennes, Presses Universitaires de Rennes, p. 17-30.
  • Violier Philippe, Duhamel Philippe, Gay Jean-Christophe, Mondou Véronique, 2021, Le tourisme en France, 2 volumes. Londres, ISTE Editions. Id., Volume 1: approche globale. 288 p.; Volume 2: approche régionale, 232 p.