Camping
Le camping est un mode d’hébergement apparu à la fin du 19e siècle, qui s’est diffusé, notamment en France, au début du 20e siècle. Après une période d’apprentissage par la société, il devient une des figures du tourisme de masse en contribuant à la diffusion sociale de la pratique. Mais ces origines n’ont pas empêché une grande diversification en même temps qu’une sophistication d’une partie des propositions.
Un simple terrain clos et des services a minima
Selon la définition rédigée dans le Memento du Tourisme édité par la Direction Générale des entreprises (dernière édition 2019), «les campings sont destinés à l’accueil de tentes, de caravanes, de résidences mobiles de loisirs et d’habitations légères de loisirs. Ils sont constitués d’emplacements nus ou équipés de l’une de ces installations ainsi que d’équipements communs. Sont comptabilisés l’ensemble des emplacements offerts, qu’il s’agisse d’emplacements de passage ou d’emplacements résidentiels. Un emplacement de passage est un emplacement destiné à une clientèle touristique qui n’y élit pas domicile. Dans les emplacements de passage, on distingue les emplacements nus des emplacements locatifs, c’est-à-dire équipés d’un hébergement léger de type chalet, bungalow ou mobile home. Un emplacement résidentiel (ou loué à l’année) est un emplacement réservé à la location résidentielle, c’est-à-dire à un seul client pour l’ensemble de la période d’ouverture du camping.»
Cette approche intègre l’évolution des installations qui ne sont plus seulement destinés à inclure des tentes ou des caravanes (Ill. 1). Elle mériterait d’être complétée par la mention d’un périmètre clos; dans le cas contraire, le mode sera dit sauvage. La formule du bivouac, plutôt en montagne, peut être hors d’un enclos, ce qui n’empêche pas parfois d’être organisée autour d’un refuge. Elle ne dit rien non plus des camping-cars qui intègrent une solution d’hébergement à un véhicule et qui peuvent aussi être accueillis au sein des campings, quand ce n’est pas dans des aires spécialisées (Ill. 2), voire des emplacements proposés par des particuliers, le plus souvent agriculteurs ou viticulteurs. Cette dernière formule est apparue en 1993 dans les vignobles du sud de la France, avant de s’étendre à d’autres producteurs à partir de 1997, selon l’historique proposé par le site Internet de France Passion (consulté le 3 août 2022).

Ill. 1. Camping traditionnel largement dédié aux toiles à Moustiers-Sainte-Marie, Gorges du Verdon (cl. Philippe Violier, le 3 août 2012)

Ill. 2. Aire de camping-car à Balaruc-les-Bains, implantée dans l’enceinte de l’ancien camping municipal reconverti (cl. Philippe Violier, le 8 septembre 2021)
Enfin, la distinction entre des emplacements résidentiels (Ill. 3 et 4) et d’autres dits de passage, proposés à la location, demande à être interrogée. En effet, le propriétaire d’une installation dite résidentielle peut la louer, avec l’accord du gestionnaire bien sûr. Mais il est des opérateurs dont la stratégie repose sur le déploiement des «sous-locations» (Violier et al., 2021). La gestion peut être effectuée par la direction du camping mais aussi par le propriétaire de l’habitation légère de loisir qui peut commercialiser directement son bien sur internet, par les sites spécialisés, ou auprès de ses réseaux. La fiscalité a intégré cette évolution par la déclaration dite non commerciale, dès lors qu’elle reste limitée.
Comme pour la diffusion des propositions de locations de meublés sur de courtes durées via les plates-formes numériques, sont apparues des entreprises de conciergerie qui assurent pour le compte des propriétaires l’accueil des locataires, les états des lieux, voire le ménage. Cette formule a aussi séduit des entreprises pour le logement d’employés en mission, notamment hors saison lorsque les prix sont modérés. Il convient donc de prendre garde à ne pas considérer la totalité des individus comme des touristes. Cependant, cela semble assez limité pour le moment.

Ill. 3. Allée réservée à des emplacements résidentiels dans le camping Del Forte à Bibbona, côte étrusque, au sud de Livourne, Italie (cl. Philippe Violier, le 31 mai 2022)

Ill. 4. Sous les bâches dressées contre le soleil, la quiétude d’un emplacement résidentiel dans le camping Del Forte à Bibbona, côte étrusque, au sud de Livourne, Italie (cl. Philippe Violier, le 31 mai 2022)
Historique
Le camping a été inventé à partir du modèle du camp militaire (Sirost, 2001a) aussi bien que de l’habitat nomade traditionnel en toile, en relation avec un rejet de la modernité urbaine et industrielle, et la recherche d’un «hygiénisme moral» (Sirost, 2001a). Les mouvements religieux des organisations de jeunesse ont été à l’origine avant que les clubs (le premier est créé en France en 1910) ne prennent le relais et assure la diffusion de la formule par des modes d’apprentissage, de vulgarisation et de circulation des techniques, comme le montage des tentes, et des expériences, notamment la confrontation aux tempêtes et autres orages. Cette généalogie britannique a été complétée par les mouvements allemands de découverte de la nature hérités du romantisme, lesquels ont pénétrés en France par le truchement du rattachement de l’Alsace et de la Lorraine.
Le mot lui-même de camping apparaît en français en 1903 (Sirost, 2001a). Des organisations comme la Fédération gymnique et sportive du travail et Tourisme et travail assureront la contribution de ce mode d’hébergement à la diffusion sociale du tourisme (Sirost, 2001a), et les clubs de tourisme, notamment le Touring-Club de France dès 1905 (Bertho-Lavenir, 2001), apporteront leur contribution en diffusant les informations et modèles et en créant notamment les premiers équipements comme ce fut le cas en Auvergne (Tissandier, 2001). Enfin, après la Première Guerre mondiale, les mouvements de jeunesse enfoncent le clou, comme l’écrit André Rauch (2001).
L’essentiel n’est pourtant ni dans les dates ni dans les chiffres, au reste, peu significatifs. Il tient aux discours et aux pratiques qui convergent pour réhabiliter la nature que les ruraux se sont mis à abandonner; la crise des années 1920 développe par ailleurs les slogans du retour aux valeurs paysannes et à la vie simple. Les organisations scoutes, confessionnelles ou laïques, choisissent la montagne, la campagne et la forêt pour socialiser la jeunesse. Alors que s’imposent par ailleurs la vitesse et la commodité des moyens de transport, la lenteur de la marche à pied devient le support pédagogique de ces organisations; son ascèse doit rappeler à la jeunesse la condition humaine du pèlerin (Rauch, 1996). Elle donne prise à une initiation: vivre dans la nature par ses propres moyens, sans le secours des inventions de la civilisation industrielle.
André Rauch, 2001
Cette confrontation avec la «nature» (Sirost, 2001b), suppose une adaptation par des habitudes acquises par l’expérience directe ou transmise (Raveneau et Sirost, 2001). Cela va depuis la maîtrise de l’installation, et de la désinstallation, qui peuvent se révéler problématiques par mauvais temps ou simplement sous la pluie, jusqu’à des formes de sociabilité particulière liée à la relative promiscuité, entre les installations ou dans l’usage des équipements, notamment des sanitaires. Cette routine est également passée par les mouvements de jeunesse, notamment en Auvergne, à partir de 1913, et plus encore dans l’entre-deux-guerres (Tissandier, 2001).
Au départ, le coût du matériel est élevé mais les clubs vont assurer d’une part l’apprentissage, d’autre part suscité des initiatives entrepreneuriales dans la production, qui vont abaisser ces contraintes (Sirost, 2001). Si le camping prend des allures de retour à la vie au grand air et à une certaine liberté, il n’en demeure pas moins que les règles et les valeurs de la vie sociale perdurent. Le relâchement est relatif, y compris pour les enfants (De la Sourdière, 2001). Et les campeurs découvrent que la campagne, représentée comme la «nature», n’est pas totalement offerte à leurs ébats. Ils se heurtent à la méfiance voire à l’hostilité des habitants, notamment des propriétaires des bois et forêts, réserves de combustibles pour les feux de camp, des élus méfiants, ou des «vrais» professionnels du tourisme hostiles à ce qu’ils perçoivent comme une concurrence déloyale (Tissandier, 2001).
Pour le développement du camping, l’implantation du scoutisme est loin d’être anodine. Les jeunes garçons y apprennent en effet les bases de cette pratique, ce qui en fait des campeurs potentiels à l’âge adulte, pour peu qu’ils aient alors conservé le goût de ce mode de vie. Les sections organisent en effet des concours pour évaluer leur capacité à monter un camp.
Tissandier, 2001
À partir de ces origines, une parenté est révélée avec les marges spatiales. Ainsi le camping serait un mode de conquête des espaces peu humanisés ou intégrés, notamment les littoraux et les montagnes, où la densité des campings est aujourd’hui la plus élevée, sans qu’il soit pour autant totalement absent des périphéries urbaines et des campagnes (Violier et al., 2021). Se retrouvent là des processus courants au sein du tourisme, comme le détournement ou le recyclage d’objets ou de valeurs tombées en désuétude ou confinés dans un champ spécifique, et le rejet du monde produit par la civilisation industrielle. Mais cette facette se double, comme toujours dans le tourisme, d’un attrait envers la modernité et les innovations, qui vont permettre la diffusion et l’évolution de ce mode d’hébergement.
La diversité et les classements
L’offre d’hébergement en matière de camping, comme pour les autres modes, présente nécessairement une grande diversité qui tient autant à la qualité des prestations qu’à l’imagination des gestionnaires. Historiquement, la formule s’est également diversifiée. Comme l’ensemble du champ est caractérisé par la difficulté éprouvée par les individus à s’informer du fait de la distance, les pouvoirs publics ont progressivement opéré une mise en ordre sous la forme d’attribution d’étoiles. Initialement limité aux seuls hôtels en 1937, le classement a été étendu aux campings en 1959 (Breton, 2016). En France, la réglementation actuelle est issue d’une réforme qui s’est soldée par la promulgation d’une loi en 2009. Trois changements essentiels ont été entérinés: le classement est effectué à la suite d’une évaluation réalisée par un organisme privé agréé cependant, sur la base de 204 critères, et non plus directement par l’administration; il n’est plus permanent mais accordé pour une durée de cinq années ; enfin une sixième catégorie (en comptant «les aires naturelles») a été instituée à l’instar de pays étrangers. Les tarifs de location varient ainsi non seulement selon la destination, mais aussi selon le nombre d’étoiles.
Hors les «Aires naturelles : période d’ouverture jusqu’à 6 mois par an, capacité maximale de 25 emplacements et surface de 1 hectare» (site Internet de la Fédération française des campeurs, caravaniers et camping-caristes), le classement distingue les installations selon plusieurs caractéristiques. Entrent en jeu, notamment, des éléments d’appréciation qui croissent, avec le nombre d’étoiles:
- la superficie réservée à chaque emplacement,
- la qualité de l’accueil et de la réservation,
- la densité des services offerts, dont notamment le confort assuré dans les sanitaires.
La sophistication
Le camping est aussi un mode qui, à l’origine, suppose peu d’investissements, et qui de ce fait s’adapte bien à la saisonnalité. Mais la vision dominante d’un mode d’hébergement populaire et massif est à relativiser fortement aujourd’hui (Raveneau et Sirost, 2001). L’évolution va même dans le sens d’une hétérogénéisation sociale. Dans les catégories supérieures du classement évoqué ci-dessus, le terrain est devenu un véritable comptoir où les formules d’hébergement, variables selon les stratégies des opérateurs, côtoient des équipements élaborés depuis les piscines à bassins multiples, les uns couverts, les autres à toboggans, jusqu’aux hammams et autres saunas sans oublier le restaurant, la supérette et les propositions d’activités de loisir, sur place ou à l’extérieur en gestion directe ou sous-traitées. La diffusion, à partir de l’Angleterre, des mobiles homes constitue une autre évolution qui permet une relative désaisonnalisation, un passage des ouvertures de mars à octobre là où autrefois et de manière plus traditionnelle le rythme reste calé sur les mois d’été. Le camping sophistiqué répartit ainsi l’amortissement des investissements pendant une période plus longue, mais cela se traduit aussi par des tarifs plus élevés. L’évolution est ainsi marquée par un tassement du nombre des campings mais par une croissance relativement plus forte des établissements proposant plus de confort (Fabre, 2017).
Ces évolutions se sont traduites par une augmentation des tarifs de location mais aussi par une augmentation du nombre des emplois tant à l’année, car même si l’établissement est fermé au public il continue de fonctionner (Ill. 5) pour l’entretien, les réparations, la commercialisation…, que pendant la haute saison, surtout si les activités proposées sont de plus en plus variées et nombreuses (Violier et al., 2021). De même, le camping s’est professionnalisé. Les campings municipaux gérés par des employés de mairie peu formés sont en recul. Les installations au départ familiales, voire créées par des agriculteurs à partir de leurs terres bien situées, sont entrées dans des processus de concentration et de diversification des stratégies entre le choix, pour les uns d’un positionnement qui se veut plus proche de la tradition, valorisant notamment la toile, et des formules qui confinent à la résidence de tourisme (Violier et al., 2021). Ainsi le camping est moins encore qu’auparavant un mode d’hébergement essentiellement accessible aux plus modestes. Et la gamme s’est étendue.

Ill. 5. Livraison d’un mobil-home dans un camping à Bibbona, coté étrusque au sud de Livourne, le 27 mai 2022. La saison débute le 1er juin (cl. Philippe Violier le 27 mai 2022).
Le camping semble se conjuguer avec le repos, cette vision est réductrice
Il est coutume de penser que le camping est le lieu des pratiques de repos et de sédentarité vacancière. Cette image, entretenue par les trois films Camping et la série télévisée Camping Paradis, est erronée même si des habitudes se répètent pendant des années, de générations en génération. Toutefois et si cela rend compte aussi de l’appropriation des techniques, il s’agit d’une systématisation voire d’une caricature. En effet, la tente ou la caravane, voire le mobile home, n’excluent pas d’autres pratiques, y compris la découverte, en ménageant des étapes dans un circuit ou en permettant des excursions. Encore plus, des formules incluant des activités physiques comme la randonnée, et ce depuis l’aube du camping (Bertho-Lavenir, 2001), ou le trekking, exigent la toile en tant qu’habitat aisément transportable, y compris dans les propositions des tour-opérateurs spécialisés.
Au final, le camping est un mode d’hébergement particulièrement illustratif de l’histoire du tourisme dans la diffusion de la pratique, dans l’évolution des modes et des formes comme dans la conquête des différents espaces.
Bibliographie
- Bertho-Lavenir Catherine, 2001, «Camper en 1900 De l’ascèse laïque au loisir élégant», Ethnologie française. vol. 31, n°4, p. 631 à 640, en ligne.
- Breton Jean-Marie, 2016, Droit et politique du tourisme. Paris, Dalloz, coll. «Juris corpus», 718 p.
- De La Soudière Martin, 2001, «Les enfants dans leurs quartiers d’été», Ethnologie française. vol. 31, n°4, p. 661 à 668, en ligne.
- Favre Florent, 2017, «Les campings : un confort accru, une fréquentation en hausse», Insee Première. n°1649, en ligne.
- Rauch André, 1996, Vacances en France: de 1830 à nos jours. Paris, Hachette, 1996, 279 p.
- Rauch André, 2001, «Les loisirs sous la tente. Traditions et innovations d’une pratique sociale», Ethnologie française. vol. 31, n°4, p. 599 à 605, en ligne.
- Raveneau Gilles et Sirost Olivier, 2001, «Le camping ou la meilleure des républiques. Enquête ethnographique dans l’île de Noirmoutier», Ethnologie française. vol. 31, n°4, p. 669-680, en ligne.
- Sirost Olivier, 2001a, «Les débuts du camping en France : du vieux campeur au village de toile», Ethnologie française. vol. 31, n°4, p. 607 à 620, en ligne.
- Sirost Olivier, 2001b, «Camper ou l’expérience de la vie précaire au grand air», Ethnologie française. vol. 31, n°4, p. 581 à 589, en ligne.
- Tissandier Aude, 2001, «Les débuts du camping en Auvergne», Ethnologie française. vol. 31, n°4, p. 641 à 650, en ligne.
- Violier Philippe, Philippe Duhamel, Jean-Christophe Gay, Véronique Mondou, 2021, Le tourisme en France. Londres, ISTE Edition, 2 volumes. Id., Volume 1: approche globale, 288 p.