Agence de voyages

Dans le langage courant, la notion est plus souvent mobilisée que celle de voyagiste ou de tour-opérateur (TO), c’est que pour le grand public, c’est la boutique où on achète son voyage.

Un rôle essentiel

L’agence de voyages joue un rôle essentiel. En effet, le secteur est caractérisé par une spécificité forte: l’asymétrie d’information. Dans le commerce classique, le client peut, dans le cadre de l’acte d’achat, s’informer à l’avance au sujet de ce qu’il convoite. Il peut voir, apprécier, pratiquer le lèche-vitrine… Dans le tourisme, en raison de la distance, il est complétement dépendant du discours servi par le tour-opérateur. L’agence de voyage assure donc cette relation de proximité que recherchent la plupart des individus et qui les rassurent. De là, l’agent de voyages est impliqué par la législation et assume totalement la responsabilité de la vente comme le montre la juriste Delphine Bazin-Beust dans l’entrée consacrée aux agents de voyages. Comment la profession fonctionne-t-elle et comment a-t-elle évolué?

Une boutique qui a pignon sur rue

L’histoire des agences de voyages n’est pas documentée, contrairement à celle des TO (Tissot, 2000). Mais on peut supposer qu’elles sont apparues lorsque les TO ont étendu les aires de leurs marchés et que ceux-ci ont éprouvé le besoin d’être présents, ou représentés, dans des espaces de marché plus vastes.

Ill. 1. L’agence de voyage est à l’origine une porte d’entrée sur le monde (Illustration 1), une officine qui distribue des prestations, circuits et séjours, élaborés par des tour-opérateurs ou voyagistes (site internet du Guardian de décembre 2011, coll. Thomas Cook Archives, https://www.theguardian.com/business/gallery/2011/dec/15/thomas-cook-history-in-pictures). De ce fait, la répartition géographique reflète celle de la population avec des concentrations dans les métropoles. S’y ajoute les effets de l’inégale distribution des revenus pour mettre en valeur la hiérarchie urbaine.

Ill. 2. L’agence de voyages, une porte d’entrée sur le monde, agence Rapids Anjou, rue Pasteur à Angers (cl. Philippe Violier, 15 mai 2022)

Ill. 3. Répartition spatiale des agences de voyage en France, un marqueur de la hiérarchie urbaine (source: Violier et al., 2021: p. 87).

Dans le tissu urbain, les agences se concentrent plutôt dans les quartiers péricentraux, plutôt que dans les centres où le coût d’accès au foncier est plus élevé. Elles y sont facilement accessibles et y apparaissent en grappes, afin de mieux satisfaire les chalands (Ill. 4).

Ill. 4. Concentration des agences de voyages dans le péricentre à Angers, rue Plantagenêt: à gauche, «L’Ilot Voyages», en face à droite, l’agence du TO TUI, un peu en contrebas à gauche, l’enseigne bleue de «Prêt à partir» (cl. Philippe Violier, 3 février 2022)

Plus récemment, elles se sont implantées dans les galeries commerciales des hypermarchés installés en périphérie. Elles ont été ainsi intégrées dans la stratégie des géants de la distribution entrés dans une phase de concurrence frontale au sein de laquelle elles sont, avec d’autres commerces, chargées de séduire la clientèle à haut pouvoir d’achat. Il est attendu que cette dernière fréquente aussi les rayons des grandes surfaces déspécialisées.

En réalité, la fonction peut être protéiforme. En effet, dans les régions touristiques, peut s’ajouter une dimension liée à l’accueil de touristes. Dans certains cas, notamment à Paris, des agences sont qualifiées de réceptive dès lors que leur activité y est essentiellement consacrée. Dans les contrées peu fréquentées, cette tâche est dévolue aux opérateurs dépendant des institutions, notamment les offices de tourisme, liées aux communes ou aux communautés, et les centrales de réservation, constituées au niveau des départements.

À noter que certaines agences sont spécialisées dans le secteur des voyages d’affaires, tandis que d’autres sont également ouvertes, en complément, aux transactions de ce type de déplacements.

Un enjeu de la concentration verticale

Si, au départ, l’agence de voyage commercialise les propositions de différents TO, peu à peu, elles ont été incorporées dans des stratégies de concentration verticale par des opérateurs qui visaient ainsi à contrôler leur propre distribution. Ainsi, le TO Nouvelles Frontières disposait de son propre réseau. L’illustration 4, ci-dessus, montre l’agence du TO TUI.

D’autres voyagistes ont déployé leur propre réseau d’agences avec une prédilection pour les villes de rang régional. Ce sont plutôt des TO spécialisés dans le haut de gamme comme Voyageurs du Monde. L’objectif est au-delà de la vente bien sûr d’entretenir un contact direct avec la clientèle.

En réaction, les agences indépendantes se sont regroupées en chaînes volontaires comme Selectour (Ill. 5).

Ill. 5. La devanture de l’agence du réseau Rapid’s Anjou Voyages, filiale du groupe autocariste Rapid’s Anjou, sise à Angers rue Pasteur, affiche son affiliation à la chaîne volontaire Selectour (cl. Philippe Violier, 15 mai 2022)

Plus récemment, les chaînes d’hypermarchés se sont lancées dans la distribution de voyages sous leurs propres marques. Si, dans certains cas, l’aventure a été éphémère, dans d’autres, une nouvelle offre s’est pérennisée. Elle est caractérisée par des prestations d’entrée de gamme vers des destinations proches, en France notamment ou moyens courriers, secteurs dans lesquels la demande est la plus forte. Ces officines sont implantées en marge des grandes surfaces, dans les galeries marchandes ou après la sortie des caisses, mais pas (encore) comme un rayon parmi d’autres. Certaines ont même tenté l’ouverture de boutiques au centre des villes, comme l’agence Carrefour à Challans, en Vendée.

Aujourd’hui, la vente en ligne

Au début des années 2000, internet a fait irruption dans le secteur et les agences en ligne se sont multipliées, comme les TO ont développé des sites pour distribuer directement leurs prestations (Ill. 6).

De nouveaux acteurs sont également apparus comme Evaneos qui met en relation les candidats au voyage avec des agences réceptives situées dans les pays de destination (Ill. 7). De fait, l’opérateur apporte sa garantie par une sélection des intermédiaires pour des individus qui souhaitent être mis en relation avec des professionnels locaux sans passer par les TO. Puis, les plates-formes se sont aussi invitées dans le jeu comme Tripadvisor qui a l’origine se limitait à recueillir les avis des consommateurs. Cette évolution s’intègre dans un processus de désintermédiation-réintermédiation (Clergeau et al., 2014). D’une part, des individus souhaitent s’impliquer davantage dans la préparation de leur projet et mettent de côté les agences de voyages et les TO. D’autre part, confrontés à la réalité, ils se saisissent de nouvelles opportunités que le marché leur offre.

Ill. 6. Site Internet du TO Tierra Latina, uniquement distribué en ligne, surligné en jaune la mention «devis gratuit» (source: capture d’écran réalisée le 14 septembre 2022).

Toutefois, cette dynamique ne semble pas avoir bouleversé la vente en présentiel et avoir entrainé la disparition des boutiques physiques. D’une part, celles-ci ont réagi. Elles ont renforcé leur concentration au sein des chaînes. D’autre part, elles ont renforcé l’avantage apporté aux clients par le conseil. En effet, une des caractéristiques du tourisme, rappelée plus haut, l’asymétrie d’information due à la distance, nécessite du conseil et l’écoute en face à face, et continue à rassurer une partie des consommateurs, plus que l’achat en ligne même si des conseillers peuvent être joints par téléphone.

De fait, le nombre des agences demeure stable. La diversité des individus, de leurs dispositions et compétences (Guibert, 2016), permet à chaque stratégie de rencontrer son public. Par exemple, parcourir l’Amérique du Sud avec Tierra Latina (Illustration 6) suppose ou du moins revêt son plein intérêt si on maîtrise l’espagnol car la proposition repose sur l’hébergement chez l’habitant.

Dans les pays émergents et en Chine, l’irruption du tourisme est contemporain de la pénétration de l’économie numérique, si bien que la distribution en ligne est beaucoup plus développée, et les agences physiques rares. Ce cas illustre une règle générale: lorsqu’un pays accède plus tardivement à la modernité, il s’y engage selon les modalités les plus récentes et tend à sauter les étapes.

Philippe VIOLIER

Bibliographie

  • Clergeau Cécile, avec la collaboration de Glasberg Olivier et Violier Philippe, 2014, Management des entreprises du tourisme – Stratégie et organisation. Paris, Dunod, coll. «Stratégie de l’entreprise», 352 p.
  • Guibert Christophe, 2016, «Les déterminants dispositionnels du “touriste pluriel”. Expériences, socialisations et contextes», SociologieS. en ligne.
  • Tissot Laurent, 2000, Naissance d’une industrie touristique. Les Anglais et la Suisse au XIXe siècle. Lausanne, Payot.
  • Violier Philippe, Duhamel Philippe, Gay Jean-Christophe, Mondou Véronique, 2021, Le tourisme en France, 2: approche régionale, Londres, ISTE Editions, 232 p.