Découverte

La découverte constitue l’une des pratiques touristiques avec le soin/repos, le jeu, le shopping et la sociabilité. Elle suppose en général un circuit, mais des lieux qui se distinguent par leur paysage remarquable ou leurs monuments peuvent accueillir des séjours de découverte comme les villes et quelques rares campagnes.

Les pratiques touristiques se sont forgées sur l’évolution de deux voyages pré-existant au tourisme. Le Grand Tour est l’un d’eux et contribue à établir les pratiques de découvertes.

La découverte entre «patrimoine culturel» et «patrimoine naturel»

La découverte touristique naît de l’évolution du Grand Tour comme l’a montré John Towner (1985) où il passe au tournant du 19e d’un voyage initiative et encyclopédique à un voyage thématique centré sur le goût des Antiques, les paysages et la société. Les Anglais ont été précédemment sensibilisés au paysage avec le profond remembrement du réseau routier du fait de la mise en place des enclosures à partir de la fin du 18e siècle. Les voies de circulation furent redessinées selon des perspectives paysagères et des vues sur ou depuis leurs domaines (Alonso, 2018: p. 161).

Le Grand Tour s’empare de l’idée de patrimoine qui s’affermit dans le premier tiers du 19e, autour des Monuments Historiques et le classement mis en place en France en 1840 sous la houlette de Prosper Mérimée. Si le goût des Antiques était une visibilisation des traces du passé et la fin de leur destruction ou réutilisation car les vieux bâtiments ont constitué une carrière de pierre taillée inégalé, le patrimoine signifie une nouvelle attitude résumée par trois mots: protéger, sauvegarder, restaurer. À ce mouvement s’ajoute la création d’un autre objet de la pratique de découverte touristique: le musée dont l’idée et la réalisation court tout au long du 18e siècle pour prendre forme, entre autres, avec l’ouverture temporaire d’un 1er Musée du Louvre (1793-1796) avant de d’ouvrir en 1801 sous le nom de Musée Napoléon.

Mais la découverte, c’est aussi admirer des paysages dans le cadre du Grand Tour, thématique toujours puissante avec le 19e siècle mais les campagnes distinguées ne sont pas les seuls. Grâce au travail des scientifiques relayés par les peintres et les romanciers, la haute montagne et le bord de mer sont devenus de nouveaux paysages à contempler, alors qu’ils furent craints et fui pendant des siècles en Europe (Corbin, 1988 et Broc, 1991). Il y a là un renversement puissant de la hiérarchie des paysages. Les «sublimes terreurs» comme on le disait alors sont à l’origine de fréquentation précoce. Ainsi, Chamonix est visité par 1500 touristes à l’été 1763 pour les « Glacières de Chamouny » (Broc, 1991), appelée Mer de Glace depuis bien avant que ne soit conquis le mont-Blanc en 1786. Ce goût pour les paysages prendra un nouvel élan lorsque la wilderness des Américains produira en 1864 le parc d’État du Yosemite, rejoint en 1872 par le premier parc national du Yellowstone. En 1898, John Muir (2020: p. 65-66) estime ainsi que «ces grandes réserves devraient attirer des milliers de visiteurs admiratifs, au moins l’été», afin d’apporter de la considération aux éléments naturels dans leurs milieux. Au patrimoine dit «culturel» s’ajoute donc un patrimoine dit «naturel». Ce dernier n’est d’ailleurs en rien «naturel» car il est produit par une sélection selon des représentations et des codes à partir d’un donné non construit par l’homme.

Cette logique patrimoniale débutée en Europe est au cœur de la pratique touristique de découverte. Plusieurs logiques d’observation sont observables et permettent d’expliquer le maintien de cette activité. D’une part, les colonisations européennes dans le Monde ont contribué à diffuser un regard et une manière de faire. Cela a produit progressivement l’identification et la fréquentation des paysages dignes d’intérêt avec l’apparition de sites majeurs: des Chutes du Niagara à la Muraille de Chine, du Macchu Picchu à Ayers Rock. D’autre part, la découverte du monumental et de l’exceptionnel se combine progressivement avec l’attrait de ce qui «touche le cœur et l’âme» (Mignot, 1989) pour des bâtisses, des paysages moins monumentaux, plus banaux, au sens de très courant dans les pays européens ou des paysages plus communs.

Ce processus de patrimonialisation s’est fait au long cours et rend compte d’une carte mondiale des découvertes touristiques exprimant la mondialité de chacun d’entre eux (Violier et Taunay, 2019). Enfin, il est intéressant de noter que toutes les pratiques de découverte sont en filiation les unes avec les autres (Ill. 1) et que les lieux distingués par le Grand Tour, les conquêtes napoléoniennes ou la colonisation européenne sont encore touristiques.

Ill. 1. La découverte comme moteur de pratiques touristiques (source: Vacher et Sacareau dans Equipe MIT, 2011)

La découverte nourrie par la modernité

L’autre facette de la découverte est la modernité incarnée au départ et pendant longtemps par les villes. Il s’agit ici des voyages effectués par de nombreux touristes pour admirer la ville qui naît et se construit au fil du 19e siècle selon les préceptes romain du plan en quadrillage, du retour des trottoirs et de la mise en place de boulevards. Il était alors question de sécurité (lutter contre les incendies), de santé (lutter contre les épidémies avec une ville plus aérée), de contrôle des rebellions urbaines (plus facile d’envoyer la troupe sur un boulevard et plus difficile de bloquer un boulevard).

Cette modernité urbaine a été renforcée aussi par l’édification progressive d’hôtels au sens contemporain du terme, lesquels sont une réelle innovation de demeure jusque dans les années 1930, le lieu de confort (Tissot, 2007). Leur architecture est monumentale et vient transformer radicalement l’espace urbain que ce soit dans les villes comme Londres ou Paris avec Le Grand Hôtel du Louvre (1855) ou Le Grand Hôtel (1862) d’Émile et Isaac Pereire. Les stations touristiques de l’époque sont également concernées par ces constructions hôtelières qu’il s’agisse de l’Excelsior Hôtel et Reigna à Nice (1893-1894) ou du Poinciana Hotel à Palm Beach édifié par Henry Flagler et inauguré en 1894. Aux États-Unis, cette modernité s’incarne aussi par l’édification de gratte-ciels dès 1880 et l’apparition de bâtiments devenus des icônes touristiques: à New-York, par exemple du Flatiron au Chrysler Building, en passant par l’Empire State Building dont la plate-forme au 86e étage offre des panoramas saisissants sur la ville dès 1933.

Le même ressort fonctionne encore aujourd’hui dans les villes. Cela peut revêtir plusieurs logiques. D’une part, les Grands Hôtels sont de retour depuis les années 1990 alors qu’on n’en construisait plus depuis la crise de 1929 et sans doute le mouvement a-t-il été lancé par Dubaï avec l’inauguration du Burj El Arab en 1999. D’autre part, de nombreuses villes conduisent la reconversion de leurs quartiers industriels en quartiers d’affaires et de loisirs. Initié à Baltimore dans les années 1970, nombreux sont les exemples aujourd’hui avec la ZAC Masséna à Paris où fut édifié un mouvement monument contemporain: la Très Grande Bibliothèque ou l’ensemble des tours édifiées sur l’île de Pudong à Shanghai. Le projet de la destination Dubaï est sans doute le cas le plus exemplaire de cette modernité urbaine contemporaine dans toutes les facettes du lieu: création d’îles artificielles gigantesques, ski dôme ou construction de l’immeuble le plus haut du monde avec Burj Khalifa. Et l’on voit comment l’exception est devenu progressivement un modèle urbanistique.

Cette modernité de type urbaine a longtemps peu investi les campagnes. Mais la starchitecture et le «waow factor» est venu produire des lieux d’un genre nouveau autour de la valorisation touristique de la vigne ou encore«œnotourisme»: les wineries. Là, la campagne dispose de bâtiments dignes des musées contemporains où les mêmes architectes œuvrent. Ainsi Franck Gehry a-t-il produit le musée Guggenheim de Bilbao (1997), le Walt Disney Concert à Los Angeles (2003) tout comme l’hôtel Marquès del Riscal dans la Rioja en Espagne inauguré en 2006 par le roi Juan Carlos en personne.

La découverte, une relation dialectique avec l’altérité

Les logiques historiques et contemporaines de la pratique de découverte permettent également d’aborder d’autres enjeux. Car fondamentalement, elle a pour finalité la confrontation avec l’altérité. Elle compose donc avec la diversité du Monde. C’est pourquoi sa forme spatiale la plus fréquente est le circuit qui permet de passer par différents lieux. Cependant, le séjour n’est pas exclu. Il est même fréquent là où une accumulation d’objets spectaculaires est donnée à voir. C’est le cas notamment des métropoles mondiales ou de dimension nationale, et notamment les capitales des États les plus anciens qui cumulent les manifestations du patrimoine comme de la modernité (Duhamel, 2007).

Mais également, de manière dialectique, la découverte se heurte à cette même diversité. La médiation d’une organisation permet ainsi aux individus de jouer avec cette altérité, par le biais d’un circuit ou d’un séjour, selon des degrés variables de prise en charge depuis le tout compris jusqu’ à des formules proches de l’auto-organisation. Ainsi, les prestations proposées par les voyagistes ou tour-opérateurs ne sont pas des formes d’enfermement comme le pointe à l’envie les critiques faciles, mais au contraire des propositions qui ouvrent des marges de manœuvre à travers le Monde. Ainsi, Binet dans son ouvrage Les Bidochons en voyage organisé, paru en 1984, montre bien comment les deux héros se heurtent à la fonctionnalité d’un aéroport, eux qui prennent l’avion pour la première fois, et comment l’infrastructure qui s’exprime par la diffusion par hauts parleurs de messages multilingues, mais aussi les personnels en contact, délégués par les TO, aident à franchir les obstacles. D’ailleurs, l’auteur met en scène, lors d’une visite du énième monastère, dans un pays que l’on devine d’Europe Centrale orthodoxe, des actes de révolte accomplis par les touristes, soulignant de fait que si les individus consentent, dans leur intérêt, à une réduction de leur autonomie, tout reste sous contrôle et, si nécessaire, le pouvoir est repris.

La découverte épuise les touristes

La découverte imprime de fait un rythme soutenu, notamment dans les voyages organisés quand la rentabilité économique exige une densité importante de « choses à voir » dans un temps limité, du fait des congés disponibles et/ou le coût d’un tel voyage. Il s’ensuit que certains circuits s’achèvent par un séjour dans un lieu dédié au repos. Les safaris, au Kenya par exemple, qui ajoutent au rythme soutenu, des levers précoces et des couchers tardifs, adaptés à la vie des animaux, s’achèvent par un temps de détente sur le sable chaud de la petite côte au sud de Mombasa. De même, la contemplation des pyramides, sous toutes les coutures et à toutes les heures, nécessite avant le retour, la fréquentation des plages de la Mer Rouge.

Philippe DUHAMEL, Philippe VIOLIER et Johan VINCENT

Bibliographie

  • Alonzo Éric, 2018, L’architecture de la voie. Histoire et théories. Marseille, Éditions Parenthèses, 526 p.
  • Broc Numa, 1991, Les montagnes au siècle des Lumières, perception et représentation. Pari, Éditions du C.T.H.S., 300p.
  • Corbin Alain, 1988, Le territoire du vide: l’Occident ou le désir de rivage. Paris, Flammarion, 409 p.
  • Duhamel Philippe, 2007, «Patrimoine et modernité: double logique de la production et du renouvellement des villes touristiques», dans Duhamel Philippe et Knafou Rémy (dir.), Mondes urbains du tourisme. Paris, Belin, coll. «Mappemonde», pp. 297-307.
  • Équipe MIT, 2002, Tourismes 1, Lieux communs. Paris, Belin, «Mappemonde», 319 p.
  • Équipe MIT, 2011, Tourismes 3, la révolution durable. Paris, Belin, «Mappemonde», 332 p.
  • Muir John, 2020, Préserver les solitudes. Parcs et forêts de l’Ouest sauvage. Paris, PUR, [1re éd. 1898], 107 p.
  • Tissot Laurent, 2007, «L’hôtellerie de luxe à Genève (1830-2000). De ses espaces à ses usages», dans Entreprises et histoire, vol. 1, n°46, p. 17-33, en ligne.
  • Towner John, 1985, «The grand tour: A key phase in the history of tourism», Annals of tourism research. vol. 12, n°3, p. 297-335, en ligne.
  • Violier Philippe, 2017, «Comment les individus habitent-ils touristiquement le Monde», dans Fagnoni Edith (dir.), Les espaces du tourisme et des loisirs. Paris, Armand Colin, coll. «Horizon», p. 89-99.
  • Violier Philippe et Taunay Benjamin (avec la collaboration de), 2019, Les lieux touristiques du Monde. De la mondialisation à la mondialité. Londres, ISTE Editions, 322 p.