Saint-Barthélemy
Au nord des Petites Antilles, Saint-Barthélemy est une destination prestigieuse au même titre que Gstaad, Portofino, la Costa Smeralda ou la principauté de Monaco. Entourée d’îles ne recevant que des touristes triés sur le volet, telles Anguilla, Saba ou Barbuda, «Saint-Barth», devenue une griffe spatiale, a su tirer son épingle du jeu, en dépit de ce contexte très concurrentiel. Elle est devenue un modèle de réussite touristique.
Nul doute que la topographie de l’île a joué un rôle non négligeable, avec un littoral très découpé formé de nombreuses petites anses bordées de plages de sable blanc et un relief accidenté qui ménagent des lieux intimes, démultipliant ainsi les possibilités de retranchement.
Le tourisme a totalement transformé la vie de cette petite île de 21 km2, habitée depuis plus de trois siècles par une population d’origine normande, bretonne, vendéenne ou poitevine. Saint-Barthélemy est «découverte» par des personnes célèbres qui vont faire connaître cette destination. Rémy de Haenen (1916-2008), une sorte d’aventurier, qui deviendra plus tard maire de Saint-Barth, achète pour une bouchée de pain le petit piton rocheux qui sépare en deux la plage de Saint-Jean. Il y bâtit au milieu des années 1950 l’hôtel Eden Rock qui voit passer des célébrités comme Greta Garbo ou Robert Mitchum. Au début des années 1960, les Rockefeller achètent une propriété, suivi par Edmond de Rothschild. Dans les années 1950 encore, cet isolat vivait chichement et s’adonnait à une agriculture de subsistance, luttant contre une sécheresse récurrente. Guy Lasserre, dans sa thèse d’État parue en 1961, indique que
«La vie à Saint-Bart est d’un calme absolu. […] Les distractions sont rares: ni cinéma, ni bibliothèque, ni terrains de sports» (p. 870).
Face à des conditions de vie difficiles, les Saint-Barths n’eurent pas d’autres solutions que d’émigrer, spécialement vers les Îles Vierges américaines, expliquant la stabilité de la population dans la première moitié du XXe siècle. Jusque dans les années 1960, le solde migratoire reste négatif et ce n’est qu’à la fin des années 1970, grâce au développement du tourisme, que celui-ci devient très nettement positif. Outre les nombreux Métropolitains qui se sont installés sur l’île, il faut noter l’arrivée dans les années 1980 d’une main-d’œuvre portugaise dans le BTP, qui a fait souche en se mariant avec des Saint-Barths. Cette communauté représente aujourd’hui environ un tiers de la population. Elle est devenue un acteur incontournable du secteur marchand. Après avoir atteint son minimum démographique en 1954, avec 2 000 habitants, le nombre d’habitants de Saint-Barthélemy a quintuplé depuis pour dépasser les 10 000 habitants aujourd’hui.
La mise en tourisme de Saint-Barthélemy a impliqué toute la communauté, qui s’est engagée prudemment et d’une manière très soudée dans cette nouvelle activité. La maîtrise du foncier a été au fondement d’une croissance touristique exemplaire et régulée par le conseil municipal. La loi de défiscalisation de 1986 n’a pas eu les mêmes effets que dans le reste des Antilles françaises. La mairie a gelé tous les projets de nouveaux hôtels depuis le début des années 1990 et beaucoup de permis de construire de maisons sont également bloqués. Une division du travail s’est opérée dans cette mise en tourisme entre les Saint-Barths et les Métropolitains. Les Saint-Barths ont vendu des terrains ou fait construire des maisons pour ensuite les louer. Les Métropolitains, quant à eux, sont à l’origine du développement hôtelier.
On se retrouve aujourd’hui avec deux grands types d’hébergement marchand: d’un côté des hôtels de petite taille, totalisant près de 600 chambres en 2021, et luxueux, puisque 40 % sont en cinq-étoiles (voir photo); de l’autre, on a 830 villas de standing, totalisant plus de 2 300 chambres, mises en location par leurs propriétaires, majoritairement étrangers. Dominant la mer, elles disposent généralement de piscine à débordement avec deck et leur aménagement intérieur a été fait «avec goût», à l’image de la clientèle, riche et plutôt discrète. Des yachts fréquentent régulièrement le port, animé également par «Les voiles de Saint-Barth», une régate annuelle qui constitue un événement important pour l’île, de même que la Bucket Regatta qui regroupe de magnifiques voiliers. Ces deux événements sont complétés par le St Barth Gourmet Festival, rendez-vous des plus grands chefs du monde.
Le produit touristique Saint-Barth associe la plage, le shopping et la gastronomie. En une semaine on peut ne pas se baigner deux fois au même endroit si l’on en a assez de la piscine; on peut discrètement faire du nudisme dans les marges des anses les moins fréquentées (voir photo); on peut passer son après-midi à savourer des cocktails au bord de l’eau dans une ambiance ibizenca, avec techno et créatures de rêve… Gustavia, le chef-lieu, propose les produits détaxés des grandes marques du luxe, mais on y trouve également de multiples magasins plus banals, vendant des T-shirts ou d’autres souvenirs, car chaque jour y débarquent en croisiéristes et excursionnistes. Toutefois, contrairement à la plupart des îles de la Caraïbe, les gros paquebots n’y ont pas accès, se concentrant sur Sint Maarten, à une quarantaine de km. Au-delà de 1 200 passagers, une autorisation est nécessaire auprès de la collectivité. La compagnie doit la déposer une année à l’avance et n’est pas sûre du tout de l’obtenir.
La longueur de la piste de l’aéroport (650 m seulement) est inversement proportionnelle à la richesse des touristes qui la fréquentent (voir photo). Johnny Halliday, qui y est enterré, Bill Gates, la princesse Diana, Brad Pitt, Rihanna, John Travolta ou Madonna ont fréquenté les lieux. La destination Saint-Barth obéit depuis quatre décennies à un cahier des charges unique en France d’outre-mer: une haute sécurité, une grande propreté, une bonne accessibilité via l’aéroport international de Sint Maarten, à 15’ de vol, un hébergement haut de gamme et la french touch, qui la distingue de ces concurrents directs et proches. Les restaurants, au nombre de 70, sont variés, renommés et très appréciés des Nord-Américains. Il existe également d’excellents traiteurs et toute une gamme de services à domicile ou sur les bateaux, allant du chef cuisinier au coiffeur ou à la manucure.
Mais cela fait-il de Saint-Barth un «Saint-Tropez de la Caraïbe» comme certains aiment à le dire? Rien n’est moins sûr. Certes, on croise quelques Porsche Cayenne ou Boxster sur les routes étroites, tortueuses et bétonnées de l’île. Certes, un Tropézien ouvrit l’hôtel le Sereno, en 1980, et entraîna avec lui la jet-set de la fameuse station provençale, dont Eddie Barclay ou Henri Salvador. Mais l’amateur de clubbing sera peut-être frustré, en dépit du Nikki Beach dans la baie de Saint-Jean ou du Yacht Club à Gustavia (voir photo). S’il y a un projet social dans l’organisation spatiale de Saint-Barth, c’est bien celui de la discrétion. Les VIP cherchent plutôt l’anonymat en venant ici, sachant que l’insularité du lieu et le niveau des prix de l’hébergement sont de bons filtres. Derrière les clôtures des somptueuses propriétés qu’on peut louer plusieurs dizaines de milliers d’euros la semaine, on cultive l’entre-soi.
Les affaires tournent et le PIB par habitant de l’île était, au milieu des années 2010, supérieur de plus de 15 % à celui de l’Hexagone et le double de celui de La Réunion. En 2021, l’île a enregistré 165 000 entrées par voies maritime et aérienne, contre plus de 270 000 en 2019. Pour arriver à ces niveaux de fréquentation, il a fallu résoudre un certain nombre de problème, le plus important étant l’eau douce. Une pluviométrie faible et des ressources souterraines médiocres ont conduit à la désalinisation de l’eau de mer. On compte aujourd’hui quatre unités de dessalement, nécessaires pour suivre le développement démographique et touristique.
Avec un taux d’activité très élevé et un chômage très faible (4 % environ), Saint-Barthélemy fait figure d’exception en outre-mer. Le tiers des emplois est dans l’hôtellerie-restauration, complété par une très forte densité de petites entreprises dans la prestation de services, le management de villas ou les activités de nettoyage. Les difficultés de recrutement sont importantes, spécialement en raison du problème de l’hébergement des salariés saisonniers de l’hôtellerie-restauration, qu’on a de plus en plus de mal à recruter en raison de la difficulté qu’ils ont à se loger, mais les hébergements nécessaires à leur accueil existent désormais, à l’ère du post-covid. Les tensions sociales concernent la jeunesse de Saint-Barth qui a beaucoup de mal à se loger et qui doit souvent opter pour l’émigration.
Que de chemin parcouru entre la petite et pauvre dépendance guadeloupéenne, longtemps oubliée de la France, et la Collectivité d’outre-mer (COM) créée en 2007 en se détachant administrativement de la Guadeloupe! Cette île dispose d’une autonomie fiscale et de larges compétences en matière douanière permises par son statut de Pays et territoire d’outre-mer (PTOM) depuis 2012. En n’étant donc qu’associé à l’Union européenne et pas intégré comme les Régions ultrapériphériques (RUP), le droit communautaire ne s’y applique pas, ce qui lui a permis de rester accessible aux Nord-Américains en 2021. Si le cyclone Irma, en septembre 2017, a fait de gros dégâts, les touristes sont revenus en 2019. Il en fut de même avec la pandémie de la covid-19. En effet, à partir d’octobre 2021, pour le début de la haute saison qui correspond aux mois secs, le flux touristique est revenu à des niveaux satisfaisants, avec le retour des Étatsuniens. Ces derniers constituaient, en 2019, plus de la moitié des touristes, contre un quart pour les Français. Le reste est très bigarrée avec une clientèle sud-américaine non négligeable, brésilienne spécialement. Les deux tiers des touristes restent entre une et deux semaines, mais un touriste sur six y passe plus de trois semaines, ce qui montre le haut degré de satisfaction pour cette destination unique, qui jouit d’une forte fidélisation de sa clientèle.
Bibliographie
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