Mise en tourisme

Concept qui exprime l’idée qu’un lieu est devenu touristique à la suite d’un processus engagé, puis prolongé, par un ou des acteurs induisant un changement d’état. Auparavant, non transformé par le tourisme, la place mute et son apparence irrémédiablement changée, trahit sa touristicité, même en absence temporaire de touristes. Ainsi, contrairement aux affirmations datées des années 1970-1980, un lieu n’est touristique ni par nature, ni par vocation, mais à la suite d’un processus engagé par des acteurs.

Une clarification préalable nécessaire

Le sens de la périphrase «mise en tourisme» dépend évidemment du contenu associé à la pratique sociale. Deux emplois sont en concurrence. Des auteurs, semble-t-il plus nombreux, retiennent sans discussion, ce qui constitue une originalité du champ au sein des sciences sociales rompues à la déconstruction, la définition adoptée par l’Organisation Mondiale du Tourisme, selon laquelle un individu est touriste dès lors qu’il quitte son environnement quotidien, pendant une durée au moins supérieure à une nuitée, pour différents motifs, y compris la catégorie «autres motifs». C’est donc une définition extensive.

Cette posture a été contestée par les membres l’Équipe MIT, à partir de la fin du 20e siècle qui ont proposé d’interpréter la pratique comme un système qui a pour finalité la recréation des individus (Knafou et al., 1997; Equipe MIT, 2002; Knafou et Stock, 2013; Stock et al., 2003). Ce faisant ils convoquent un néologisme, «recréation» car le mot récréation en français, interruption momentanée du temps consacré à l’instruction dans une école, est jugé trop faible pour traduire l’idée de déroutinisation proposée par Norbert Élias et Erich Dunning (1994). Ces derniers ont analysé l’invention du sport au 18e siècle comme une pratique du temps libre permettant aux individus épuisés par les contraintes du quotidien, lesquelles se sont fortement accrues par l’avènement de la civilisation industrielle, de se régénérer. Le sens de ces pratiques s’éclaire ainsi. Elles sont coconstitutives et ont permis le déploiement de la civilisation nouvelle. L’expression de mise en tourisme revêt alors tout son sens de changement d’état alors que l’assoir sur une notion floue, au sens de l’OMT, avec tous ses motifs disparates lui retire du contenu, de la valeur explicative et de la clarté.

Par ailleurs, même si les historiens, notamment Marc Boyer et Laurent Tissot, ont établi que le tourisme a bien été inventé à la fin du 17e siècle et au début du siècle suivant, il se trouve toujours des auteurs qui affirment que le tourisme a toujours existé. De fait pour eux, la mise en tourisme n’a pas de sens.

Un processus qui transforme les lieux

La mise en tourisme des lieux ou des objets constitue un processus par lequel le tourisme transforme l’état historiquement constitué, dans ce cas la ville ou le village ou le site ou l’établissement deviennent touristiques. Mais cela inclut également le changement par lequel un nouveau lieu est inventé et créé, à partir d’un regard inédit porté sur une réalité exclue d’une société donnée. Il s’agit alors d’une station ou d’un comptoir, implantés dans la haute montagne ou le long du littoral. De ce fait, la mise en tourisme rejoint le concept d’invention. Ce dernier serait un moment préalable de la mise en tourisme qui serait un processus plus long comportant plusieurs phases.

L’idée que les réalités sont inventées par des individus précurseurs ou pionniers ou aventuriers… se retrouve dans les modèles de Butler, Cohen ou Plog, et a été développée par Rémy Knafou (1992). La mise en tourisme est donc indissociable de l’invention de nouveaux territoires, changement de regard qui se produit selon Rémy Knafou au milieu du 17e siècle pour la plage, au sein de la bourgeoisie urbaine des Provinces Unies (2000). Philippe Joutard (1986), de son côté, date de 1786 ce moment pour la montagne. Ce premier moment enclenche ensuite des innovations réalisées par des artisans avant que les industriels n’interviennent à leur tour, selon l’analyse réalisée par Micheline Cassou-Mounat (1977) à propos d’Arcachon (voir aussi l’entrée sur les frères Péreire).

Les touristes vrais ou faux, les vrais étant uniformément appelés les «Parisiens», ont deux manies qui ne laissent pas de leur attirer des quolibets. D’abord, ils aiment se promener avec des boîtes «à tirer les portraits» qu’on appelle des kodacks. Ils sont les kodakerien. Ils veulent toujours vous prendre la figure quand vous êtes en train de travailler dans vos mauvais habits, ce qui n’est pas une chose à faire. Quand on veut avoir son portrait, on s’habille de son mieux (on se met «sur ses sept meilleurs») et l’on va chez le photographe. Ou alors il y a les mariages et c’est bien suffisant. On n’est jamais à l’aise devant cette boîte qui fait clic, sept cents tonnerres! Et que va devenir votre image après? Passe encore quand ce sont vos enfants qui vous prennent, mais ce sera bientôt n’importe qui. On n’est plus maître de sa figure, putain du diable!

Ensuite, les touristes ne peuvent pas durer trois jours dans le bourg sans aller se tremper dans la mer à Penhors. Ils ne se trempent pas seulement les pieds mais tout le reste, même quand ils ne savent pas nager. Ont-ils donc le cul si sale?

Pierre Jaquez Hélias, 1975, Le cheval d’orgueil, Plon: p.489-491

Une remise en question de l’approche du tourisme par les géographes

Cette idée de mise en tourisme s’inscrit en faux contre des approches qui affirment qu’un lieu est touristique par nature, par vocation (Mirloup, 1981), ou en fonction de l’activation d’un déjà là, un potentiel ou une matière (Dewailly et Flament, 2000) dans des conditions peu explicitées. Elle pose au contraire que cet état résulte d’une mutation provoquée par des acteurs. Pour certains auteurs, cette mise en tourisme serait l’effet d’une démarche émanant des entrepreneurs qui agiraient sur l’offre, que ce soit sur les infrastructures (Dewailly et Flament, 1993) ou sur la promotion.

Or, les travaux fondés sur des méthodes et démarches mises en œuvre par des historiens ou des géographes (Cassou-Mounat, 1977), notamment l’exploitation des archives, montrent dans plusieurs cas que la mutation a été opérée, à l’origine, par une découverte par les touristes. Ils s’installent dans le lieu, à la surprise des habitants qui les accueillent. Ensuite, des entrepreneurs, qui sont en particulier des locaux, ont amplifié le processus ou l’ont initié ailleurs en mobilisant des techniques qui s’apparentent à la reproduction d’un modèle qui a fait ses preuves. Des interventions publiques à l’échelle locale peuvent être repérées très tôt. Ainsi, le conseil municipal de Saint-Jean-de-Monts, en Vendée, vote dès 1867 l’acquisition d’une parcelle de forêt domaniale afin d’aménager un accès à la plage, afin d’attirer les touristes. Mais, les États au niveau central, parfois avec l’appui des organisations internationales, sont entrés dans le jeu au 20e siècle afin de faire bénéficier leur territoire des retombées économiques apportées par le tourisme.

Ill. 1. La mise en tourisme de Cabourg entre 19853 et 1854 (coll. IGN-Géoportail). La carte datée du milieu du 19e révèle un paisible village situé sur les bords de la Dives. Les habitants y vivent de la pêche et des cultures.

Nous soulignons ainsi que les touristes sont bien les premiers acteurs, premiers dans l’ordre chronologique, précision qui a échappé à Kadri et al. (2019) . Ainsi dans tous les cas, les touristes valident par leur présence effective les initiatives prises par les autres acteurs (Sacareau et Vacher, 2001). Plusieurs échecs ou ajustements témoignent de ce qu’ils ont conservé un rôle de sanction à défaut de ne plus être systématiquement à l’initiative, une fois que le tourisme est devenu un marché capitaliste. Ainsi, le parc du Futuroscope a assuré sa pérennité en s’adaptant à la réponse des touristes. L’ode aux technologies nouvelles, projet initial, s’est muée en traitement ludique de la modernité. Vulcania également, au départ assis sur le prestige d’un comité scientifique n’a jamais atteint les promesses du projet initial, car apprendre n’est pas la préoccupation principale des touristes. L’aventure du Bioscope s’est quant à elle terminée rapidement, au bout de trois ans le parc a fermé ses portes et a été cédé (Violier, 2017). Autant de preuves que l’offre propose et que les touristes disposent.

Plusieurs termes mobilisés

Le mot de touristification est également mobilisé. Le terme de touristisation convient également, alors que touristification revêt un autre sens. Touristisation semble employé pour la première fois par un spécialiste des sciences de gestion, Bruce Young en 1983, et le passage au français et à la géographie paraît opéré par Jean-Marie Miossec en 1994. D’autres auteurs, notamment à la suite de Cazes (1992), convoquent d’autres mots notamment «production» et «subversion» pour exprimer cette idée que les lieux ou les objets ne sont touristiques ni par vocation ni par nature.

Or, produire suppose une action au moins partiellement intentionnelle. Ainsi, lorsque le pêcheur Malo, devenu mareyeur puis homme politique, lance la station qui portera son nom agrémenté de «Les-Bains», ce sera bien une volonté d’un acteur, lequel convertit le massif dunaire acheté à la ville de Dunkerque, après l’échec subi dans la production agricole, en station touristique. Dès lors, le concept de production prend place comme une option de la mise en tourisme, lorsqu’un acteur crée de toutes pièces une station ou un comptoir, à côté de la variante due à l’invention ou à la création par les touristes. Mais le produit touristique revêt aussi un autre sens abordé dans l’entrée correspondante. Quant à subversion, il peut s’appliquer comme synonyme, particulièrement dans le cas des lieux historiquement constitués. Ainsi, les différents concepts s’articulent-ils.

Philippe VIOLIER

Bibliographie

  • Cassou-Mounat Micheline, 1977, La vie humaine sur le littoral des Landes de Gascogne. Bordeaux, Thèse d’État.
  • Cazes Georges et Knafou Rémy, «Le tourisme, chapitre 43», dans Bally Antoine, Ferras Robert et Pumain Denise (dir.), Encyclopédie de la géographie. Economica, 2e édition, 1167 p.
  • Cazes Georges, 1992, Fondements pour une géographie du tourisme et des loisirs. Rosny, Édition Bréal, coll. «Amphi-Géographie», 189 p.
  • Dewailly Jean-Michel et Flament Émile, 2000, Le tourisme. Paris, Sedes, coll. «Campus Géographie», 192 p.
  • Equipe MIT, 2002, Tourisme 1. Lieux communs. Paris, Éditions Belin, 320 p.
  • Dewailly Jean-Michel, 2005, «Mise en tourisme et touristification», dans Amirou Rachid, Bachimon Philippe, Dewailly Jean-Michel et Malézieux Jacques (dir.), Tourisme et souci de l’autre. Paris, L’Harmattan, coll. «Tourismes et sociétés», p. 29-33.
  • Élias Norbert et Dunning Eric, 1994, Sport et civilisation. La violence maîtrisée. Paris, Fayard, 393 p.
  • Joutard Philippe, 1986, L’invention du Mont-Blanc. Paris, Gallimard.
  • Kadri Boualem, Bondarenko Maria et Pharicien Jean-Phariste, 2019, «La mise en tourisme: un concept entre déconstruction et reconstruction. Une perspective sémantique», Téoros. n°38, 1, en ligne.
  • Knafou et Stock, 2013, «Article Tourisme», dans Lévy Jacques et Lussault Michel (dir.), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés. Paris, Éditions Belin, coll. «Mappemonde», p. 1018-1021.
  • Knafou Rémy, Bruston Mireille, Deprest Florence, Duhamel Philippe, Gay Jean-Christophe, Sacareau Isabelle, 1997, «Une approche géographique du tourisme», L’Espace géographique. p. 193-204.
  • Knafou Rémy, 1992, «L’invention du tourisme, chapitre 46», dans Bally Antoine, Ferras Robert et Pumain Denise (dir.), Encyclopédie de la géographie. Economica, 1re édition, p. 851-864.
  • Knafou Rémy, 2000, «Scènes de plage dans la peinture hollandaise du XVIIe siècle: l’entrée de la plage dans l’espace des citadins», Mappemonde. 58, en ligne.
  • Miossec Jean-Marie, 1994, «Malte en transition : démographie, économie et gestion de l’espace», Revue du monde musulman et de la Méditerranée. n°71, p. 199-216.
  • Mirloup Joël, 1981, Les Fonctions touristiques et de loisirs en Loire moyenne. Orléans, Thèse d’État, A.N.R.T.
  • Sacareau Isabelle et Vacher Luc, 2001, La mise en tourisme des lieux et des espaces, processus, périodisations et variations régionales. La Rochelle, LET-Otelo éditeur, 176 p.
  • Stock Mathis (dir.), Dehoorne Olivier, Duhamel Philippe, Gay Jean-Christophe, Knafou Rémy, Lazzarotti Olivier, Sacareau Isabelle, Violier Philippe, 2003, Le tourisme. Lieux, acteurs et enjeux, Paris, Éditions Belin, collection «Géographie», 303 p.
  • Young Bruce, 1983, «Touristization of traditional Maltese fishing-farming villages. A general model», Tourisme Management, p. 35-41.