Nudisme

Le nudisme désigne une pratique de la nudité intégrale, le plus souvent au sein d’un groupe, dans l’espace public (plage, parc comme le Tiergarten de Berlin, bord de cours d’eau comme l’Isar à Munich) ou privé (club, sauna, cercle familial ou amical). La nudité intégrale désigne le dévoilement des organes génitaux, tandis que le moindre tissu ou autre objet les recouvrant et les soustrayant au regard d’autrui identifie la personne comme non nue. Dans l’espace public, c’est sur les plages que le nudisme s’est le plus répandu, avec des autorisations motivées pour des raisons de développement touristique: le nudisme a été partiellement intégré par les sociétés occidentales en tant que segment touristique (Jaurand, 2011).

Le nudisme, objet d’étude et origines

Le nudisme comme pratique de loisir et de tourisme a été pratiquement ignoré dans les recherches ayant trait au tourisme. Pourtant, la pertinence du nudisme comme sujet d’étude a été attestée d’un point de vue historique, sociologique et géographique.

Alors que la nudité publique a existé dès l’Antiquité, les origines du nudisme contemporain remontent à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle en Allemagne et en France. La nudité intégrale collective ou «gymnité» y est alors prônée par divers mouvements pour des raisons hygiéniques, médicales, esthétiques ou morales (Freikörperkultur ou mouvement de «Culture du Corps Libre» en Allemagne).

C’est dans les années 1920 que le nudisme social, considéré comme un mode de vie alternatif, a commencé à se populariser dans certains pays européens, au premier rang desquels l’Allemagne. À cette époque, le nudisme y était une pratique de loisir enracinée culturellement, et concernait essentiellement des couples mariés et des familles. Malgré son existence dans l’espace public, le nudisme a jusqu’à nos jours été l’objet d’une certaine réprobation sociale.

Le nudisme, surtout sur les plages

Les quelques études qui ont porté sur les relations entre le tourisme et la nudité publique ont concerné l’inscription spatiale locale (Barrère et Cassou-Mounat, 1998) ou nationale (Jaurand, 2011) et la diffusion de la pratique nudiste sur les plages publiques en rapport avec les flux touristiques internationaux (Jaurand, 2008). Ainsi, alors que la plupart des plages ont d’abord été le siège d’un nudisme sauvage (illégal), certaines ont fait l’objet d’une autorisation administrative, principalement en Europe et Amérique du Nord, et dans un but touristique. L’existence d’attitudes plus conciliantes de la part de certaines communautés et autorités locales a aussi permis le développement de plages où le nudisme est simplement toléré, comme le lieu-dit Les Pierres Tombées, dans les calanques marseillaises, en un site à fort risque d’éboulement (Ill. 1).

Ill. 1. Le site des Pierres Tombées, dans les calanques marseillaises, où le nudisme est toléré (cl. Emmanuel Jaurand)

Les plages où le nudisme est simplement toléré et où les nudistes se mêlent aux autres sont qualifiées de «clothing-optional» aux États-Unis.

La popularité croissante des plages nudistes depuis les années 1960 est due à plusieurs raisons. Dans le cadre du mouvement naturiste, la plage nudiste constitue le lieu idéal de communion entre le corps humain et les éléments naturel (mer, soleil, sable, air) (Barthe-Deloizy, 2003). De surcroît, la pratique du nudisme de plage est étroitement liée à une expérience individuelle et familiale de relaxation, de recréation et de socialisation entre personnes de mêmes affinités.

La plage est également associée à la santé, l’aventure, la séduction et la possibilité d’interaction sexuelle (Douglas et al., 1977). En particulier, les plages nudistes publiques offrent de nombreuses opportunités sexuelles pour les nudistes depuis le voyeurisme et l’exhibitionnisme jusqu’au rapport sexuel lui-même. Les mouvements de contre-culture prônant la révolution sexuelle militent pour un groovy nudism (nudisme sauvage) pratiqué sur les plages ou dans des communautés de vie, comme en Californie avec la génération Jaybird. Ce nudisme peut aussi constituer une échappatoire à la norme ou à l’exclusion sociale et contribuer à valider l’identité sexuelle de certains individus, en particulier les homosexuels masculins (Jaurand, 2015).

Nudisme, sociétés et espaces

Bien que certaines plages aient obtenu une tolérance voire une officialisation de la pratique nudiste, la nudité publique peut conduire à un choc culturel avec les sociétés d’accueil, au moins avec celles qui ont conservé des codes moraux traditionnels. Néanmoins, compte tenu de l’importance économique locale du tourisme, il peut exister une certaine tolérance de la part des habitants envers le touriste nudiste, comme au Mexique (Monterrubio et Jaurand, 2009).

La contradiction possible entre la pratique nudiste et les mœurs de la majorité de la population se résout généralement par la mise à distance des secteurs où se pratique le nudisme par rapport aux plages familiales, aux points d’accès au littoral les plus fréquentés et aux centres des stations et villes littorales. Le nudisme a ainsi contribué à étendre sur le trait de côte, loin des centres et vers les marges, l’espace des pratiques de loisirs et de tourisme.

La répartition mondiale des plages nudistes montre le poids écrasant de l’Occident, de l’Europe au continent américain (Jaurand, 2008). En France, on relève une quarantaine de plages nudistes officielles sur le littoral et de nombreuses autres tolérées ou sauvages (Jaurand, 2011). Quelques plages nudistes ont été recensées dans de rares pays du Sud en Asie (Turquie, nudisme sauvage, Chine à Hainan) ou en Afrique (Afrique du Sud), et il peut exister dans de nombreux pays de façon discrète des pratiques de baignade nue au bord de cours d’eau ou de lacs. Ces pratiques peuvent s’inscrire dans une dynamique touristique et/ou concerner des habitants des territoires concernés.

Emmanuel JAURAND

Bibliographie

  • Barrère Pierre et Cassou-Mounat Micheline, 1998, «La fréquentation des plages sauvages du Nord-Médoc», Sud-Ouest européen. n°1, p. 81-90, en ligne.
  • Barthe-Deloizy Francine, 2003, Géographie de la nudité. Paris, Bréal, coll. «D’autre part», 239p.
  • Douglas Jack D. Douglas, Rasmussen Paul K. et Flanagan Carol Ann, 1977, The nude beach. Beverly Hills, Sage Publications, 244 p.
  • Jaurand Emmanuel, 2008, «Les plages nudistes, une exception occidentale?», Géographie et cultures. n°67, p. 47-64, en ligne.
  • Jaurand Emmanuel, 2011, «Pratiques nudistes et territoires touristiques sur le littoral français», dans Bleton-Ruget Annie, Commerçon Nicole et Lefort Isabelle (dir.), Tourismes et territoires. Mâcon, Institut de recherche du Val de Saône-Macônnais, p. 27-34.
  • Jaurand Emmanuel, 2015, «Le nudisme gay: une expérience touristique identitaire», dans Decroly Jean-Michel (dir.), Le tourisme comme expérience. Regards interdisciplinaires sur le vécu touristique. Québec, Presses de l’Université du Québec, p. 163-174.
  • Monterrubio Juan Carlos et Jaurand Emmanuel, 2009, «Les sociétés locales face au tourisme nudiste. Résultats d’une enquête qualitative sur la côte pacifique du Mexique», Téoros. n°28-2, p. 83-92, en ligne.