Hôtel

L’hôtel est intimement lié au tourisme, quoique son activité soit plus large, accueillant toute sorte de clients ne voyageant pas pour leur agrément. Certains sont des lieux de pouvoir où on entretient son capital social, où se négocient en toute discrétion des contrats, où espions, hommes d’affaires, diplomates ou journalistes se croisent. Ce rôle en a fait des cibles pour les terroristes. Certains ont accueilli des négociations de paix, d’autres des réfugiés ou des blessés de guerre. Certains proposent des chambres à la journée (dayuse), ce qui permet d’accéder aux services de l’hôtel sans y passer la nuit ou de se retrouver en toute discrétion pour les amants. En deux siècles il est devenu une infrastructure majeure et ubiquiste, révélant une forme de mondialisation, par sa standardisation et sa diffusion, y compris sur les bancs de sable au ras de l’eau, tels les îles-hôtels des Maldives.

Le sens des mots

Hôtel vient du mot «hôte» lui-même découlant de hospes (celui qui reçoit l’autre). Mais hospes a une parenté étymologique avec hostes, l’étranger, l’ennemi. À l’origine des deux mots on trouve le verbe hostire, «traiter d’égal à égal», «compenser», «payer de retour». Le verbe a donné hostia, la victime, dans le sens de «victime destinée à compenser la colère de dieux», et hostes, «l’ennemi». Hostia désigne la victime offerte en expiation (réparation) aux dieux, l’hostie, que les catholiques prennent au moment de la communion, est l’offrande du corps de Jésus-Christ qu’il a donné aux hommes en rémission de leurs péchés. En français, hostis a donné «hostile». Hospes aurait la valeur de «maître de l’hôte», de «celui qui exerce un certain pouvoir sur son hôte». Le mot «otage» est dérivé du mot «hôte».

Au Moyen Âge, l’ostage désigne le logement, la demeure, ostoier veut dire «loger». Au 16e siècle, l’ostel est la demeure (qui donnera le mot «hostellerie», «hôtellerie», «hôtel»). Puis, par l’intermédiaire d’expression comme prendre en ostage, qui signifie à l’origine «abriter», «loger contre une caution», l’ostage a désigné l’hôte que l’on garde, la personne retenue en garantie de l’exécution d’une promesse. En recevant l’hostis, l’hospes le met cependant au même niveau que lui: l’hospitalité dans son sens premier n’est que geste de compensation (Voir le remarquable schéma matérialisant cette évolution et ces liens dans le Dictionnaire historique de la langue française, Le Robert, 1998: p. 1745).

L’hôtel au Moyen Âge est une demeure, un logis d’où «tenir ostel» et spécialement un lieu où l’on reçoit les hôtes d’un monastère. C’est aussi un logement des personnes importantes, d’une personne riche un sens qui court jusqu’au 19e siècle avec l’«hôtel particulier». Au 13e siècle, c’est une maison meublée servant de logement payant et d’auberge. Vers 1760, le mot est introduit en anglais sous la forme «hotel». Il signifie tout de suite une maison d’hôte de qualité. Rapidement, il va être associé à une catégorie architecturale. Au siècle suivant, le mot et l’institution commerciale se généralisent faisant reculer « auberge ». L’hôtel jusqu’alors lieu où l’on loue des logements pour des périodes assez longues, prend les fonctions de l’hôtellerie et de l’auberge mais avec plus de prestige… et de confort. Le mot a une connotation neutre aujourd’hui du petit hôtel au palace. C’est dans ce sens que le mot français hôtel est devenu international.

Le terme anglais resort vient du mot français ressort signifiant «s’enfuir» ou «se retirer» au 13e siècle. Il est passé dans la langue anglaise le siècle suivant, entrant dans les expressions comme public resort, «lieu fréquenté par des gens», puis «lieu fréquenté pour le repos et les loisirs», d’abord une station puis un établissement. En anglais, «resort» signifie une ville que les gens visitent pour leurs vacances et leurs sorties et qui contient généralement des hôtels où ces vacanciers séjournent. En américain, un resort est un établissement commercial autonome qui essaie de répondre sur place à la plupart des besoins des clients, comme la nourriture, les boissons, le logement, les sports, les divertissements et les achats.

L’émergence des hôtels

Les auteurs s’accordent à penser que les premiers hôtels apparaissent à la fin du 18e siècle et au début du 19e siècle. On peut citer le Royal Clarence à Exeter (Angleterre) ou l’Union Public Hotel à Washington, ouvert en 1793 par Samuel Blodget Jr, un financier ami de Washington et de Jefferson. Blodget est nommé superviseur des bâtiments et des améliorations de la nouvelle capitale Washington. Il se rend compte que la capitale doit fournir des logements aux fonctionnaires et aux hommes d’affaires en déplacement. L’hôtel propose des chambres aux étages supérieurs, le rez-de-chaussée abritant plusieurs grandes salles de réunion publiques. Le bâtiment remplit différentes fonctions sociales et publiques, dont la plus célèbre est l’utilisation temporaire des salles par le Congrès de 1814 à 1815 à la suite de la guerre de 1812 contre les forces britanniques et de la destruction du Capitole.

La jeune république est largement à l’origine des hôtels et ceux-ci ont grandement aidé à la construction de la fédération (Sandoval-Strausz, 2007). Le Tremont House à Boston, ouvert en 1829, est novateur par des toilettes et des salles de bains intérieurs, l’eau courante, une réception, des chambres fermées à clé pour le client, le savon gratuit, des garçons d’étage, etc. La tradition hôtelière suisse émerge à cette époque avec notamment l’ouverture, en 1842, de l’Hôtel des Trois Couronnes à Vevey. Gustave Flaubert, dans son Dictionnaire des idées reçues publié de manière posthume en 1913, écrit à leur propos: «Hôtels: ne sont bons qu’en Suisse».

Entre modernité et gigantisme

Il est un élément majeur de la modernité et bénéficie des progrès techniques. L’Hotel Ponce de Leon à Saint Augustine (Floride), ouvert en 1887, est un des premiers bâtiments importants à avoir été entièrement construit à base de béton coulé. L’Hôtel Savoy à Londres, ouvert en 1889, est le premier hôtel de Grande-Bretagne éclairé par des lampes électriques et le premier à disposer d’ascenseurs électriques. L’hôtel Waldorf-Astoria (New York), ouvert en 1893 et 1897, impressionne par son gigantisme. Les deux bâtiments reliés l’un à l’autre dépassent les 1.000 chambres ce qui en fait le plus grand hôtel du monde. En 1919, l’hôtel Pennsylvania avec ses 2.200 chambres, lui succèdera pendant une douzaine d’années.

Après une pause, cette course au gigantisme a repris au cours des dernières décennies (Penner, Adams et Robson, 2013). Des établissements dépassent désormais les 7.000 chambres, comme le First World Hotel dans les Genting Highlands en Malaisie ou le Venetian Resort à Las Vegas. L’Abraj Kudai à La Mecque, qui doit prochainement ouvrir, sera le premier hôtel à atteindre les 10 000 chambres. À Dubaï et Las Vegas, qui constituent avec Orlando, Paris, New York ou Londres les lieux où l’on compte le plus de chambres d’hôtels (150.000 à Las Vegas et 126.000 à Dubaï en 2019) c’est à celui qui construira l’hôtel le plus grand ou le plus haut: Las Vegas comptent six des 12 plus grands hôtels du monde; Dubaï six des dix plus hauts.

Des trains et des hôtels

Concomitamment au déclin des auberges le long des routes par le développement du chemin de fer, se développent les hôtels des gares terminus comme, à Londres, le Charing Cross Hotel (1865) ou le St. Pancrass Hotel (1873). L’hôtel est intégré à la gare, c’est aussi le cas à Bordeaux-Saint-Jean ou à la gare d’Orsay (Paris). Les «hôtels terminus» se répandent ensuite en province.

Les frères Pereire ont l’idée, en France, de créer un système englobant infrastructures de transport, structures d’hébergement, lieux de rencontres ou de loisirs et équipements commerciaux. Fort de ce qui se passe en Allemagne, en Angleterre ou aux États-Unis, les Pereire, fondent la Compagnie immobilière, avec la conviction que la construction d’un grand hôtel est une opération fructueuse. La Société du Louvre est créée et le Grand Hôtel du Louvre ouvre en 1855. En 1887, la Société du Louvre entre en pourparlers avec la Compagnie des chemins de fer de l’Ouest pour obtenir la location de l’hôtel projeté devant la gare Saint-Lazare, le futur Terminus Saint-Lazare, sur le modèle des hôtels de gare anglais. L’hôtel ouvre en 1889, pour la quatrième Exposition universelle, à Paris (Vajda, 2008). Georges Nagelmackers (1845-1905) met en place un système prenant en charge le voyageur depuis son départ et jusqu’à son retour. Cet ingénieur d’origine belge fonde, en 1872, la première version de la Compagnie internationale de wagons-lits (CIWL). Il comprend l’intérêt de proposer aussi un hébergement à la clientèle aisée qui emprunte ses trains de luxe. Pour gérer les hôtels de la compagnie, il fonde, en 1894, la Compagnie internationale des grands hôtels. L’Élysée Palace, est le terminus parisien de la CIWL. Les Riviera Palace de Beausoleil et de Cimiez (Nice) sont les deux fleurons azuréens de la compagnie (Callais, 2019).

En Amérique du Nord, Henry Plant et Henry Flagler développent un système hôtelier étroitement associé à leurs réseaux ferroviaires partis à la conquête du sud de la Floride (Braden, 2002). Les compagnies ferroviaires transcontinentaux multiplient les hôtels le long de leurs lignes: la Northern Pacific vend le parc du Yellowstone avec l’Old Faithful Inn (1904); l’Atchinson, Topeka and Santa Fe Railway propose le Grand Canyon du Colorado avec l’El Tovar Hotel (Shaffer, 2001). Le Canadian Pacific Railway (CPR) construit deux types d’hôtels : des hôtels urbains et des resorts ruraux. Les hôtels urbains, comme le Château Frontenac à Québec, sont près de la gare et sont destinés aux hommes d’affaires et aux visiteurs, ainsi qu’aux passagers en correspondance nécessitant un hébergement. Les hôtels de villégiature ruraux (resorts) étaient situés dans des zones desservies par le CPR qui offraient des paysages uniques, ce qui permettait de commercialiser des sites sur le parcours comme destinations touristiques, tels Lake Louise ou le parc national du Banff et ses sources thermales (Ill. 1).

Ill. 1. Le Fairmont Banff Springs construit en 1888 par le Canadian Pacific Railway (Alberta). Détruit par un incendie en 1926 il a été reconstruit et agrandi en conservant son style Château. Comme lieu historique national du Canada il est patrimonialisé depuis 1988 (© Jean-Christophe Gay, 2018).

Le motel ou la fusion de l’automobile et de l’hôtel

L’automobile va donner naissance aux motels, mot-valise formé par l’amalgame de «motor» et d’«hotel», attesté pour la première fois à San Luis Obispo (Californie) en 1926. Malgré la mise en garde, en 1940, par le directeur du FBI, J. Edgar Hoover, sur les motels, nouveau foyer de la corruption et du vice, ceux-ci vont se multiplier: on en compte près de 10.000 aux États-Unis en 1935, plus de 25.000 en 1950 et 61.000 au début des années 1960, moment de leur apogée (Jakle, Sculle & Rogers, 1996).

Leur architecture et leurs enseignes au néon font partie du paysage étatsunien. Ils vont permettre à la population africaine-américaine de se déplacer dans tout le pays, car celle-ci n’avait souvent pas accès aux hôtels en raison de la ségrégation. Les motels joueront un rôle majeur pendant la période de lutte contre la ségrégation durant les années 1960. C’est d’ailleurs dans un motel que Martin Kuther King sera assassiné en 1968. Le Lorraine Motel (Memphis, Tennessee) est devenu le National Civil Rights Museum, un musée consacré au mouvement afro-américain des droits civiques.

Le motel va profondément transformer le monde de l’hôtellerie, avec l’apparition de chaînes franchisées. C’est le promoteur immobilier K. Wilson qui lance le mouvement, en ouvrant un motel à Memphis (1952) un Holiday Inn, nom d’une comédie musicale qui parle d’un hôtel imaginaire ouvert uniquement les jours fériés. Chaque nouveau motel Holiday Inn est équipé d’une télévision, de l’air conditionné, d’un restaurant et d’une piscine. Holiday Inn est une chaîne de motels, pionnière dans la mise en place d’un système national de réservation de chambres conçu par IBM. Le premier motel Ramada ouvre à Flagstaff (Arizona) en 1954. Le nom vient de l‘espagnol et signifie «lieu de repos ombragé».

En France, c’est aussi le motel qui est à l’origine d’une transformation profonde de l’hôtellerie avec la création du groupe Accor. En 1967, Paul Dubrule et Gérard Pélisson appliquent le modèle américain d’Holiday Inn. Ils imaginent un concept de «motellerie», avec un parking gratuit et une offre de restauration sur place. Ce sont des «hôtels décentralisés» implantés à côté d’une zone industrielle, d’un site touristique ou d’un aéroport. Leur premier établissement, un Novotel à Lesquin, est en périphérie de Lille, et présente l’avantage d’être à proximité de l’aéroport et surtout de la toute nouvelle autoroute A1. Il comprend plusieurs innovations dont la climatisation, un téléviseur dans les chambres, et un restaurant «Grill». C’est le début de l’empire Accor (Ill. 2).

Ill. 2. Le Novotel de Colmar
Deuxième Novotel ouvert en France, en 1968, c’est aujourd’hui un Ibis Styles. Son architecture est très représentative des premiers motels (© Jean-Christophe Gay, 2021).

Aviation et mondialisation

C’est toutefois l’avion qui va être l’agent le plus important dans l’émergence d’une hôtellerie mondialisée, dont les pionniers sont l’Intercontinental Hotel Corporation (IHC) et l’Hilton Hotel International (HHI). Ce mouvement est parti du président F. D. Roosevelt, en 1944, afin de préparer l’après-guerre. Il s’est tourné vers le propriétaire de la Pan Am, Juan Trippe, dans le dessein de développer un réseau d’hôtels en Amérique latine afin de pénétrer ce marché et de promouvoir le tourisme étatsunien à l’étranger. Jusqu’en 1959, tous les hôtels d’IHC, filiale de la Panam créée en 1946, sont en Amérique latine, le premier ouvre à Belém (Brésil) en 1949. Dans les années 1960, d’autres établissements ouvrent en Asie, en Europe, en Afrique et en Océanie (Ill. 3).

Ill. 3. Le Tahara’a Intercontinental (Tahiti) ouvert en 1968 et à l’abandon depuis 1998 (© Jean-Christophe Gay, 2017).

Dans le cadre du plan Marshall, un fonds va aussi être alloué à l’hôtellerie européenne en parallèle de la suppression des visas pour les citoyens étatsuniens par plusieurs pays européens en 1948 (Quek, 2012). Ce contexte économique favorise l’expansion des firmes hôtelières des États-Unis. Cette intégration verticale permet de rationaliser la planification des voyages, en facilitant la réservation d’un hôtel et d’un vol ensemble. Autre avantage, les hôtels appartenant à des compagnies aériennes peuvent servir d’hébergement au personnel déployé dans le monde entier, en particulier aux nombreux navigants qui devaient y être logés pendant de longues périodes. Leur présence donnait du prestige aux hôtels qui deviennent parfois des sortes d’ambassades parallèles.

D’autres compagnies aériennes vont suivre, comme TWA qui fait l’acquisition d’Hilton (HHI) en 1967, la fusion de United Airlines avec Westin en 1970, la création des hôtels Nikko par Japan Airlines (JAL) la même année ou celle par Air France des hôtels Méridien en 1972 (Ill. 4). Au même moment, cinq compagnies aériennes, Alitalia, BEA., BOAC, Lufthansa, Swissair et cinq banques créent l’European Hotel Corporation qui donne naissance aux hôtels Penta. Cette phase de concentration verticale, qui donnera naissance aux hôtels dits «gros porteurs», en référence aux avions long-courriers, prendra fin dans les années 1990, mais aura fortement contribué à la diffusion planétaire de l’hôtel international de chaîne (Gay et Mondou, 2017). Le boom des hôtels d’aéroport aujourd’hui démontre le lien toujours étroit entre l’avion et l’hôtellerie.

Ill. 4. Le Nikko Paris ouvert en 1976.
Établissement gros-porteur de plus de 750 chambres, il et racheté par le groupe Accor en 2001 (Novotel Paris Tour Eiffel). L’un des plus fameux restaurants japonais de Paris, le Benkay, occupe toujours sa base (© Jean-Christophe Gay, 2015).

Un outil de colonisation et d’occidentalisation

Si cet épisode de l’histoire hôtelière révèle la conquête économique de la planète par les capitaux étatsuniens, qui avait débuté spectaculairement au début du 20e siècle dans la Caraïbe et en Amérique centrale avec la flotte, les plantations et les hôtels de la United Fruit Company, ou aux Bahamas et à Panama, la diffusion de l’hôtellerie est aussi un jalon de l’occidentalisation du monde et un outil du soft power étatsunien par le truchement de ses chaînes internationales, Hilton et Intercontinental en tête (Fregonese et Ramadan, 2015).

C’est particulièrement visible en Asie orientale, où l’hôtellerie suit l’arrivée des Occidentaux et devient un outil de transformation de ces sociétés. Le Peace Hotel de Shanghai, le Taj Mahal à Bombay, le Peninsulia à Hong Kong ou le Raffles à Singapour, matérialisent l’emprise économique de l’Occident (Ill. 5). S’opposant à l’hospitalité à la japonaise (omotenashi) et à l’hébergement en ryokan, en perte de vitesse (Ohe et Peypoch, 2016), l’hôtel a été introduit au Japon avec son ouverture sur le monde à partir de 1868, qui impose la création d’hébergements répondant aux critères des Occidentaux. La libre circulation accordée aux étrangers à partir de 1872 entraînent la construction de nouveaux hôtels pour voyageurs de haut niveau (Sanjuan, 2003). Le rokumeikan à Tokyo, ouvert en 1883, construit pour accueillir les hôtes étrangers de marque, il est considéré comme un symbole de l’occidentalisation controversée pendant l’ère Meiji (1868-1912). En Chine également, l’hôtel Astor à Tianjin, premier grand hôtel occidental dans ce pays (1863), véhicule symboliquement les modes de vie et les innovations du monde occidental. Il fonctionne comme une enclave, un espace extraterritorial, lieu où les négociations sino-étrangères se déroulent.

À la fin de la guerre en Corée, l’introduction du modèle nord-américain dans la partie sud est démontrée par l’hôtel Walker Hill (1963) destiné aux militaires, aux personnels de l’ambassade des États-Unis, et aux conseillers techniques. Aujourd’hui, en Corée du Sud, pays où jusqu’aux années 1980 on n’avait pas le droit d’en sortir, où le pouvoir d’achat est resté longtemps limité et où les congés restent courts, en moyenne deux semaines par an, l’hôtel international donne l’impression de voyager en Occident. Leur occidentalité est un signe de prestige. Les fréquenter permet d’afficher son rang social (Gélezeau, dans Sanjuan, 2003). L’hôtel est aussi un outil de prosélytisme, à l’image de la chaîne Marriott, fondée par des Mormons, et qui propose dans chaque chambre une bible et un livre de Mormon. En revanche, Intercontinental n’exige plus que ceux et celles qui gèrent ses hôtels mettent dans chaque chambre des bibles.

Ill. 5. L’hôtel Raffles de Singapour
Ouvert en 1887, il devient un palace à la toute fin du XIXe siècle. Il est emblématique du style de vie colonial et de la présence britannique (© Jean-Christophe Gay, 2011).

Patrimonialisation et starchitecture

L’émergence des hôtels-boutiques («lifestyle hotels», «design hotels») à New York et San Francisco dans les années 1980 est une réponse à la standardisation des hôtels des chaînes internationales. Elle montre la progression du rôle de l’architecture dans l’hôtellerie. Ces hôtels sont souvent articulés autour de thématiques avec un aménagement intérieur donnant un sentiment d’intimité et d’authenticité.

Certains hôtels désormais patrimonialisés à des fins de les préserver ou de les valoriser. Sur le site du Ministère de la Culture, la plateforme ouverte du patrimoine recense 62 hôtels classés comme «monuments historiques», tel l’hôtel Carlton à Cannes, ouvert en 1913 (Ill. 6). Le label Swiss Historic Hotels compte une soixantaine d’établissements de première importance sur le plan historico-architectural. Aux États-Unis les Historic Hotels of America constitue un programme du National Trust for Historic Preservation qui a été fondé en 1989. Il identifie les hôtels qui ont conservé leur authenticité et leur intégrité architecturale. En 2015, le programme comptait plus de 260 membres.

Pour être inclus dans le programme, les hôtels doivent avoir au moins 50 ans, être désignés par le secrétaire américain de l’intérieur comme «National Historic Landmark» ou être inscrits ou éligibles au registre national des lieux historiques, tel le Don CeSar à St. Pete Beach (Floride), le Moana Hotel de Waikiki (Hawaï) ou le Stanley Hotel (Colorado), popularisé par le roman Shining de Stephen King. Ainsi l’hôtellerie de jadis devient l’objet d’un intérêt contemporain par une sorte donc de mise en abyme. Simultanément, des groupes hôteliers font de plus en plus appel à la starchitecture, mot-valise regroupant « star » («très célèbre») et «architecture», pour promouvoir leur hôtel.

La célébrité de ces architectes est souvent due à un sens de l’innovation avant-gardiste. L’Hôtel Marques de Riscal à Elciego (Espagne) construit par Frank Gehry en est un bel exemple, tout comme l’hôtel Opus de Dubaï dû à Zaha Hadid. Quant à l’hôtel Puerta America (Madrid) il a réuni 19 des meilleurs cabinets d’architecture et de designers du monde, et trois prix Pritzker (Nouvel, Foster et Hadid), chaque étage ayant été confié à un architecte ou à un designer différent (McNeil, 2008).

Ill. 6. La façade de l’hôtel Carlton lors du festival de Cannes 2013 (© Jean-Christophe Gay, 2013).

On construit des hôtels flottants, dans des mines, des igloos, des tubes en béton pour grosse canalisation, des conteneurs… Des églises, des prisons (Liberty Hotel de Boston), des usines automobiles (Turin Lingotto), des gares (Canfranc, Espagne), des hôpitaux (Hôtel-Dieu à Marseille), des parkings, des grands magasins, des moulins, des paquebots… ont été transformés en hôtels. On cherche à épouser les nouvelles tendances de la consommation, comme la marque Greet du groupe Accor, qui utilise des éléments de décoration récupérés, et la nouvelle sensibilité écologique comme le Qo Amsterdam qui combine le luxe, la technologie et le développement durable, avec sa «serre autosuffisante et sa façade intelligente». Quant au Svart Hotel, au fond d’un fjord norvégien, il devrait être le premier hôtel à énergie positive selon la norme Powerhouse. Icône de la modernité, l’hôtel prend progressivement le virage environnemental.

Jean-Christophe GAY

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