Juan-les-Pins
Juan-les-Pins est le quartier balnéaire de la commune d’Antibes Juan-les-pins. Il représente une étroite bande littorale urbanisée bordée par une plage de sable au fond du golfe Juan, qui s’étend entre la limite avec la commune limitrophe de Vallauris et le début du cap d’Antibes. Entièrement tourné vers la fréquentation estivale autour de sa plage, son activité économique et sa population sont marqués par une forte saisonnalité.
L’histoire de Juan-les-Pins représente un cas emblématique de passage précoce de la villégiature d’hiver à la station balnéaire d’été sur la Côte d’Azur. Il en résulte une histoire en deux époques fortement typées avec une profonde césure provoquée par la Première Guerre Mondiale: de 1882 à 1914, la création ex nihilo et le lent essor d’un quartier résidentiel de villas d’hivernants sur la commune d’Antibes, puis de 1919 aux années 1950, le «moment américain» au cours duquel la plage devient le cœur de la station d’été.
La création du lotissement pour la saison d’hiver, 1888-1914
Le site naturel de Juan-les-Pins est connu et fréquenté des peintres dès le XIXe siècle, attirés par le paysage pittoresque de la vaste pinède bordant les dunes et la plage, les criques sur la route littorale du cap.
1882 est l’année de la création du lotissement de Juan-les-Pins mais l’acte fondateur, si l’on se replace dans un cadre géographique plus large, se révèle être un des éléments d’une opération spéculative à tiroir de très grande ampleur où l’on voit à l’œuvre la triade ordinaire de ce genre d’entreprise, l’investisseur, l’architecte et le notaire. L’année précédente, un consortium réunissant la banque cannoise Rigal, le banquier cannois Edouard Signoret, une majorité de négociants marseillais et les banquiers parisiens Goudchaux, fonde la Société anonyme des terrains de la Méditerranée dans le but d’acheter et de lotir de vastes domaines à Saint-Raphaël, à Nice et à Vallauris (Archives départementales du Var, 3E 81/95,25 juillet 1881). Signoret apporte à la nouvelle société, tout l’actif de l’ancienne Société anonyme des terrains du Golfe-Juan, fondée en 1875 (Archives départementales des Alpes-Maritimes [désormais Arch. dép. Alpes-Maritimes] 3E 93/96, 27 août 1875), dans le but d’acquérir et de lotir la forêt communale de Mauvarre, située sur le versant ouest du Golfe Juan, aux limites des communes de Cannes et de Vallauris. La forêt fait place au nouveau quartier résidentiel de Cannes Eden et à son grand hôtel, l’Hôtel Métropole. Parallèlement à la création de la Société des terrains de la Méditerranée, les mêmes principaux protagonistes, fondent la Société foncière de Cannes et du littoral, chargée d’aménager cette fois l’autre rive du Golfe Juan, le rivage antibois, celle du site environnant la pinède. Elle donne naissance à Juan-les-ins le 12 mars 1882 (Arch. dép. Alpes-Maritimes, 8J 312, 314, 317). Si la banque Rigal et Signoret sont les principaux actionnaires de la Foncière de Cannes, ici point ou peu de négociants, mais la fine fleur de l’aristocratie de la villégiature cannoise: parmi les principaux actionnaires, on voit apparaître le duc de Vallombrosa et la princesse de Wittgenstein, épouse du chancelier d’Allemagne Hohenlohe, le prince d’Essling. Mieux encore, en 1884, une ouverture est faite auprès du duc d’Albany, fils de la reine Victoria, pour lui proposer d’acheter en bloc tous les actifs de la Foncière de Cannes et du littoral, faisant de Juan-les-Pins naissant une station britannique. Le brusque décès à Cannes du duc fait tourner court l’opération (Arch. dép. Alpes-Maritimes, idem).
L’aspect publicitaire est essentiel pour lancer la nouvelle station et vendre les lots de terrains. Dans cette phase de lancement, le Gotha joue un rôle de premier plan puisqu’il donne le ton de la station naissante. Il représente pour les candidats propriétaires la promesse d’un entre soi princier. L’actionnariat de la Foncière ne se cantonne pas au cercle aristocratique. Il s’ouvre aux notabilités locales et aux hauts fonctionnaires parisiens, adeptes de la villégiature d’hiver sur la Riviera: au premier desquels on dénombre le magistrat Robert Soleau, le diplomate Ferdinand Dervieu, ou encore Paul Négrin, propriétaire de la verrerie de la Bocca. L’achat des terrains et la constitution du lotissement représente une phase délicate au cours de laquelle il faut s’assurer la bienveillance des municipalités. Aussi, n’hésite-t-on pas à briguer le suffrage universel lors des élections municipales. Ainsi, Ferdinand Dervieu devient maire de Vallauris de 1888 à 1891, l’actionnaire cannois Claude Vidal conquiert la mairie d’Antibes en 1882 et Robert Soleau lui succède en 1884 (Archives municipales d’Antibes [désormais Arch. mun. Antibes], 42S 49). Sans forcer le trait, il n’est pas douteux que la Foncière de Cannes et du Littoral contrôle les municipalités riveraines du Golfe Juan entre 1882 et 1901.
Une figure se détache de ce cercle des investisseurs et des premiers habitants de la station, il s’agit de Henry Lévêque de Vilmorin. Chez cet aristocrate, issu d’une lignée de botanistes, le savant se double d’un homme d’affaire: sélectionneur de graines, il est devenu le magnat du commerce de semences. A Juan-les-Pins, il invente la villégiature industrieuse: tout étant actionnaire de la Foncière, Henry de Vilmorin achète les parcelles destinées à la constitution d’un vaste domaine qui s’étend sur une bonne partie de la Pinède jusqu’au quartier d’Empel, au voisinage du jardin du botaniste Gustave Thuret. La propriété Vilmorin est à la fois une résidence et un jardin d’essai doté de serres froides et d’une colline dédiée à l’horticulture et aux espèces méditerranéennes (TRÉBUCHET Georges, Une famille, une maison: Vilmorin-Andrieux. Verrières-le-Buisson: Éd. L’Historique de Verrières-le-Buisson, [1982], p.49).
Aux cotés des investisseurs, les hommes clés du lotissement sont les architectes. Les hommes de l’art tracent les plans de la station nouvelle. Juan-les-Pins est né de l’imagination d’Honoré Vidal qui exerce à Cannes et surtout de celle de l’architecte parisien Ernest Macé. Leur premier plan de lotissement se présente comme un urbanisme balnéaire idéal, une cité-jardin où les parcelles s’alignent le long de larges avenues et de squares avec la gare au nord en position centrale.
Les parcelles à l’est se déploient en demi-cercle, à la manière d’un crescent des stations géorgiennes de l’Angleterre (Arch. dép. Alpes-Maritimes, 1Fi 1861). Le plan ne tient pas compte des contraintes topographiques ni des limites réelles du domaine de la Foncière. L’utopie urbaine décrite par le plan se révèle efficace comme support publicitaire, il révèle les aspirations des futurs acquéreurs: une ville nouvelle bâtie sur les principes de l’hygiénisme et entièrement vouée à la résidence, le tout placé dans un paysage méditerranéen encore sauvage.
Juan-les-Pins a-t-il répondu aux attentes financières des actionnaires? La création de la station intervient au moment où survient la faillite de l’Union Générale, la grande banque des milieux catholiques conservateurs. La banqueroute provoque un krach boursier dont les secousses se propagent jusque dans les décennies suivantes. La banque Rigal est prise dans la tourmente et fait faillite en 1884, entrainant à son tour la Foncière de Cannes qui se trouve mise en liquidation à partir de 1901. Malgré la déconfiture financière, les terrains se vendent et, vaille que vaille, le quartier voit le jour. Ainsi, on compte 45 villas en 1895 et 92 en 1903 (SETTINERI Marie-Antoinette, «Antibes sous la mandature de Robert Soleau» in Recherches Régionales, Nice, Archives départementales des Alpes-Maritimes, n°163, juil.-sept. 2002, pp. 85-102). Ernest Macé édifie pour le compte de la Foncière, des jardins publics, les rues, la gare en 1885, une église même. A partir de 1894, 3 hôtels sont en fonction dont le Grand-Hôtel appartenant à l’entrepreneur Antibois Jean Pellepot, l’adjudication des travaux d’arasement des remparts de la ville en 1895. Pour toute station, le casino est son monument-signal dans le paysage et le point de ralliement des résidents. Placée au centre de la nouvelle agglomération, sa silhouette contribue à son identité. Celui de Juan-les-pins voit le jour en 1909 mais, dès 1913, la Société anonyme du casino et des bains de mer de Juan-les-Pins est en faillite (Arch. mun. Antibes, fonds jean Pellepot 58S).
Le lotissement du temps du capitalisme balnéaire du XIXe siècle représente somme toute une privatisation et une gentrification de vastes portions du littoral et, à terme, une avancée de la ville sur les espaces naturels. Comment réagissent la population locale et plus largement l’opinion publique? Les succès électoraux des actionnaires lors des élections municipales semblent plaider pour un acquiescement populaire. Il faut considérer la fascination qu’exerce le destin de Cannes auprès des voisins et la création d’un quartier dédié à la villégiature aristocratique représente pour les communes voisines l’espoir de l’arrivée de la manne du tourisme. Il n’en va pas de même pour l’opinion publique de la villégiature, sensible à la protection des sites naturels et qui dénonce les atteintes à l’environnement que constituent les lotissements. La description de Juan-les-Pins que donne en 1887 Stephen Liégeard dans son guide éponyme, La Côte d’Azur est édifiante: «La spéculation, toujours à l’affut, a visé cette solitude. L’Égypte avait ses plaies, la Rivière [Rivière pour Riviera, terme des géographes du XVIIIe siècle, désuet en 1887, une coquetterie de l’auteur] a ses Foncières. Donc, une société par action s’est constituée, achetant le terrain et découpant les lots. Déjà rues et boulevards sont tracés ; une gare arrête le voyageur, un hôtel le sollicite» (Liegeard Stephen, La Côte d’Azur, Paris, Quantin, 1887, p. 164). Les pouvoirs publics prennent conscience du phénomène en 1912: la pinède de Juan-les-Pins est achetée par la commune à la famille de Vilmorin et à la Foncière, elle devient ainsi un des premiers sites naturels français protégé au titre de la loi de 1906 des sites artistiques et historiques (Arch. mun. Antibes, 1N 9, 2R 12).
Le moment américain et le premier spot de la saison d’été sur la Côte d’Azur
C’est à partir de 1919 que Juan-les-Pins connait une mue qui la transforme en quelques années en un spot de la villégiature internationale d’été. Cet âge d’or qui s’étend de 1919 au début des années 1950 s’identifie à un «moment» américain.
Le destin de Juan-les-pins bascule quand la petite station, mi balnéaire, mi champêtre, est choisie par les plus grands noms de la Lost generation américaine comme leur quartier général d’été en Europe entre 1921 et 1939. Ces intellectuels et artistes des avant-gardes sont en rupture de ban avec une société américaine qui glisse dans le puritanisme, l’isolationnisme et la Prohibition en 1919, au lendemain de la paix et à partir de la disparition du président Wilson. La part du hasard y est pour beaucoup dans cette trajectoire: le compositeur Cole Porter fait partie de ces jeunes Américains qui débarquent en 1917 pour combattre aux cotés des Alliés. Certains décident de rester en France. Cole Porter loue durant l’été 1921 une des vastes demeures du Cap d’Antibes, le château de la Garoupe (Yale University, Gilmore music Library, The Cole Porter collection, serie IV photographs, mss82, albums 1 et 2 La Garoupe). Cole Porter est en quelque sorte parti en éclaireur. Son ami et ancien camarade de l’université de Yale, Gérald Murphy, lui emboite le pas deux ans plus tard. Gérald Murphy est issu de la famille propriétaire de la chaîne de magasin Marck Cross company, la famille de son épouse Sara fait aussi partie des fortunes américaines. Ils passent avec leurs enfants leur premier été antibois en juillet 1923, le premier d’une série jusqu’aux années 1930 (Yale University, Beinecke Library, Sara and Gerald Murphy papers, serie III photographs, YCAL mss458, 3 albums France dont cap d’Antibes, 1920-1924).
Le style de vie des Murphy en vacances à Antibes contient une modernité radicale qui élèvera Juan-les-Pins comme moment de lieu des Années folles. La modernité réside dans une vie de loisir centrée sur la plage qui devient un lieu de vie. Ils passent leur journée à la plage, dans les pique-niques, les bains de soleil, les jeux, la musique en compagnie d’amis artistes et écrivains qui, de Paris, les rejoignent.
On cite Picasso qui vient passer l’été régulièrement à Juan (Andral Jean-Louis, Mccully Marylin et Raeburn Michael (dir.), Picasso Côte d’Azur, Paris, Hazan, 2018). Cocteau, Fernand Léger, les compatriotes Hemingway, Man Ray, John Dos Passos et surtout Francis Scott Fitzgerald qui, dans un exil volontaire, viennent vivre sans contrainte sur les bords de la Méditerranée les Rolling twenties. Francis Scott et Zelda Fitzgerald s’installent l’été à Juan de 1922 à 1928. Scottie écrit à la villa Saint-Louis Gatsby le Magnifique en 1925. Son autre roman, Tendre est la nuit, de 1934, revient sur la période vécue sur la Riviera. La vie au soleil, à la plage, les corps dévoilés et hâlés, toute chose qui va de soi dans la civilisation des loisirs de la seconde moitié du XXe siècle débutent avec les Murphy et leurs amis sur la plage de la Garoupe et s’épanouit rapidement à Juan-les-Pins.
Du cercle familial et amical des Murphy, la vie d’été à la plage devient le style de vie à Juan-les-Pins, avec l’entrée en scène d’un nouveau protagoniste, un autre Américain, Franck Jay Gould. Si les premiers ont fait éclore la modernité, le second apporte sa puissance financière pour la promouvoir en même temps que ses propres affaires.
A Juan-les-Pins on ne vient plus chercher l’éternel printemps et les hivers doux comme dans les anciennes stations de la Côte d’Azur, mais les extrêmes climatiques, la chaleur et la lumière de l’été. La plage devient le lieu central où se développent la sociabilité de la villégiature et un rapport nouveau à son corps que l’on montre en partie largement dénudé en public avec la pratique des sports nautiques et le bronzage, le nouveau signe d’appartenance à cette société des loisirs.
Juan-les-Pins incarne ainsi une modernité radicale à partir des Années folles et jusqu’au début des Trente glorieuses, une modernité venue des États-Unis qui s’épanouit en Europe dans ce point précis de la French Riviera. La modernité du modèle de villégiature qui s’épanouit à Juan jusqu’en 1940, se traduit par la promotion de nouvelles expressions artistiques, de nouveaux médias, et par une place nouvelle qui est faite à la jeunesse. Le cadre architectural de la station fait la part belle, avec de nombreuses constructions, à l’esthétique Art-déco: le style néo-provençal qui fait l’identité du Provençal, le dernier palace construit sur la Riviera, mais aussi, les projets de l’architecte local Georges Dikansky, à l’Hôtel Juana et au café le Colombier, les villas de l’architecte américain Barry Dierks, telle sa villa Aujourd’hui. La musique est nouvelle et jeune aussi: en France, seule la vie nocturne estivale de Juan-les-Pins peut rivaliser avec les nuits parisiennes. On y écoute du jazz dans les cabarets. La vie nocturne et musicale reste florissante encore dans les années 1970, bien après la fin du moment américain.
Si les visiteurs américains ont incarné la modernité sur la Côte d’Azur des Années folles, ils n’ont pas constitué un groupe important dans la population touristique totale de Juan-les-Pins. Sitôt passées les années de guerre, leurs effectifs restent modestes vis-à-vis des Britanniques, des Suisses ou même des Tchécoslovaques durant l’Entre-deux-guerres (Arch. mun. Antibes, 3R2). Pour la saison d’été 1935, le recensement communal relève 308 résidents américains et 368 pour 1936. Les Britanniques sont 1050 pour 1935 et 1617 pour 1936. Les Suisses sont 768 pour 1935 et 818 pour 1936. Les Tchécoslovaques se révèlent plus nombreux que les Américains : 490 en 1935 et 708 en 1936. L’image de station américaine n’est donc pas due à une concentration de ressortissants mais elle réside plutôt dans la fascination qu’exerce le mode de vie de la petite colonie des Américains à Juan-les-pins sur l’opinion publique. Il faut mettre en perspective l’impact durable de la Première Guerre Mondiale sur les régions touristiques d’Europe. En effet, les autorités officielles nationales et locales comme les professionnels mesurent la conséquence de la disparition de la clientèle traditionnelle de la villégiature: les révolutions politiques en Europe, la disparition des empires centraux et des aristocraties, leur ruine y compris dans les nations victorieuses, sonnent le glas du tourisme d’avant 1914.
Dans le même temps, les États-Unis passent du statut de débiteurs à celui de principaux créanciers envers la vieille Europe. La puissance industrielle et financière de l’Amérique dans la guerre fascine les Européens, l’idée s’impose que les touristes d’outre-Atlantique constituent les nouveaux bataillons de la clientèle touristique de la Côte d’Azur. Dès 1917 et jusqu’en 1919, le séjour des soldats convalescents et des permissionnaires américains est pris en charge et planifié par des entités franco-américaines pour le bien des troupes mais aussi pour soutenir les économies locales. L’organisation de la Riviera leave area dédiée aux permissionnaires et celle du Riviera Hospital center pour les convalescents réquisitionnent les hôtels et organisent les loisirs des militaires sur la Côte. Ils sont appelés à devenir les acteurs de la renaissance du tourisme national (UBEDA Nathalie, La Côte d’Azur réinventée? Repos, escales et démonstration de puissance de l’armée américaine, Nice, Université Côte d’Azur, thèse de doctorat, 2022). On espère fidéliser ces futurs visiteurs quand la paix sera revenue en jouant sur le thème de la fraternité d’arme et de «l’esprit Lafayette» (Arch, Mun. Antibes, 3R6). Dans ce contexte de fascination pour la puissance américaine, l’opinion publique française apparaît prête à s’ouvrir à une modernité qui se présente comme l’american way of life. La puissance de séduction du style de vie américain s’observe à Juan-les-pins dans les familles de l’ancienne villégiature aristocratique d’avant-guerre. Les lettres de Louise de Vilmorin évoquent sa vie l’été à Juan-les-Pins qui imite le nouveau style de vie.
En 1927, elle est invitée par son frère à venir séjourner à la propriété de Juan-les-pins alors qu’elle est mariée à un entrepreneur américain. En avril 1929, elle s’y installe avec sa cousine Colette d’Arjuzon et son cousin Louis d’Estienne d’Orves: “Notre matinée entière est consacrée au bain de soleil que nous prenons sur la terrasse après nous être copieusement enduit le corps de graisse» (Bibliothèque littéraire Jacques Doucet |désormais BLJD], lettre Colette d’Arjuzon et Louise de Vilmorin à Félix d’Arjuzon, 1er avril 1929). «Nous nous amusons beaucoup dans notre Ermitage: nous peignons, jouons de la guitare, faisons une grande revue en vers de notre séjour ici… et nous sortons à peine du jardin! C’est la vie idéale!» (BLJD, lettre à sa tante Thérèse d’Arjuzon, 5 avril 1929).
Les limites de la saisonnalité
Ainsi, le cercle de la lost generation installé à Antibes dans l’entre-deux-guerres a suscité le moment américain de Juan-les-pins. Un transfert de modèle de vie et d’attitude s’opère et Juan-les-Pins devient durant une trentaine d’année le moment de lieu qui donne le départ d’une culture de la plage et du soleil sur la French Riviera, avant d’être appelée à devenir mondiale dans la seconde moitié du XXe siècle.
Dès lors que l’attrait pour l’été à la mer se généralise, Juan perd peu à peu son caractère unique. C’est dans la musique que le moment américain se prolonge: en 1960, le Festival de jazz à la pinède connaît sa première édition. Il devient rapidement le rendez-vous annuel en Europe des jazzmen américains qui n’avaient jamais cessé de fréquenter Juan-les-Pins.
Cependant, la station semble figée dans sa mono activité estivale. La plupart des commerces et des lieux d’hébergements continuent à fermer à la fin de l’été pour rouvrir au printemps, comme un pendant aux stations de sport d’hiver du haut pays. A la suite du modèle juanais qui fut précurseur, les grandes stations de la Côte ont su se rendre attractives en été sans perdre leur attractivité hivernale. L’étalement sur l’année du tourisme ne s’est pas opéré à Juan comme si la station restait prisonnière de son modèle estival: la mono activité touristique reste concentrée de mai à septembre.
Bibliographie
- Andral Jean-Louis, McCully Marylin et Raeburn Michael (dir.), 2018, Picasso Côte d’Azur, Paris, Hazan, 160p.
- Dumenil Renaud, 2010, Antibes, Juan-les-Pins, le plaisir déployé, Paris, Ed. Equinoxe, 224 p.
- Gay Jean-Christophe, 2023, «La Riviera franco-italienne, modèle de lieu touristique et notion géographique» in actes du colloque, Riviera française et italienne, similitudes et différences, Bordighera, Istituto internazionale di Studi liguri.