Côte d’Azur
Le roi des littoraux touristiques français et un des plus célèbres du monde, a été un modèle pour nombre de littoraux étrangers sous le nom de French Riviera. Sur le plan national, il est à l’origine de la création d’appellations géographiques nouvelles, correspondant à l’émergence de nouvelles identités territoriales sous la forme de marques. Sa longévité, puisqu’il accueille des touristes depuis plus de deux siècles et demi, démontre une grande capacité à s’adapter et à répondre aux transformations profondes du système touristique.
La Côte d’Azur avant la Côte d’Azur
1763 est une date importante, car c’est cette année-là que le médecin écossais Tobias Smollett (1721-1771) s’installe à Nice. Le philosophe et mathématicien suisse Johann Georg Sulzer (1720-1779) s’y arrête quelques années plus tard. Les deux publient des ouvrages dans lesquels ils vantent les qualités du climat. La douceur du climat hivernal niçois est la raison principale des séjours des premiers hivernants à laquelle se rajoute le goût pour une campagne jardinée, surplombée de collines et, au loin, de hautes montagnes. On compte une centaine de familles étrangères séjournant à Nice en 1787.
Une ville nouvelle apparaît de l’autre côté du Paillon, à la fin du 18e siècle. Ce nouveau faubourg, appelé «Newborough», se couvre de maisons avec jardin, construites par les notables locaux qu’ils proposent en location. Simultanément, les hôtels se multiplient: il y en a deux en 1808 et 13 en 1858. Nice devient une «ville de saison». Hyères accueille également des hivernants dès la fin du 18e siècle et Nice. Pendant plus d’un demi-siècle, le tourisme sur ce littoral méditerranéen se limite à ces deux localités distantes de 150 km environ. Il faut attendre 1834 et la découverte de Cannes par lord Brougham (1778-1868) pour qu’un troisième lieu touristique apparaisse (ill. 1). Suivent dans les années 1860, Menton, grâce au docteur Bennett (1816-1891), Monaco et Golfe-Juan. D’autres stations touristiques hivernales suivront, telles Beaulieu-sur-Mer, Cap-d’Ail, Mandelieu…
L’invention de la «Côte d’Azur»
Quand l’avocat, homme de lettres, haut fonctionnaire et dandy Stéphen Liégeard (1830-1925) baptise, en 1887, une mince bande côtière allant de Cassis à San Remo de «Côte d’Azur», il engage un processus concernant les littoraux français les plus touristiques et qui souligne l’intensité de leur mise en tourisme, avec la création, en 1894 de «Côte d’Émeraude», de «Côte fleurie» en 1903, de «Côte d’Argent» en 1905, de «Côte d’Opale» en 1911 ou de «Côte Vermeille» l’année suivante.
Les limites de la Côte d’Azur, appellation très vite adoptée, puisque dès 1902 elle est revendiquée par le syndicat d’initiative de Nice se qualifiant de syndicat de la Côte d’Azur, sont l’objet de nombreux débats. Dans l’esprit de son créateur ses contours sont flous, mais son caractère évocateur génère des stratégies d’accaparement. Ainsi, le comité régional du tourisme des Alpes-Maritimes, créé en 1942, va tâcher de monopoliser l’appellation à la fin des années 1940. Le Commissariat général au tourisme, dans les années 1960, confirme le nom «Riviera-Côte d’Azur» pour le littoral de Théoule-sur-Mer à Menton, mais dénomme la région côtière de Marseille à Saint-Raphaël de «Provence-Côte d’Azur» (Callais, 2016). En 2009, le Comité régional du tourisme Riviera Côte d’Azur dépose cette dénomination auprès de l’INPI. Côte d’Azur devient une marque. Toutefois, aujourd’hui l’appellation Côte d’Azur déborde sur l’est varois, avec le territoire touristique Estérel-Côte d’Azur, qui comprend Fréjus, Saint-Raphaël et le pays de Fayence. Plus à l’ouest, l’office du tourisme de Saint-Tropez se dit «être à la fois en Provence et sur la Côte d’Azur».
De l’hiver à l’été
La renommée de la Côte d’Azur ne l’a pas empêché d’évoluer à partir des années 1920, sous l’influence des États-Unis, avec l’avènement de la plage et de la saison d’été, à la suite des Murphy, un riche couple d’Étatsuniens qui décident incongrûment de passer l’été 1923 à Antibes. John Dos Passos, Ernest Hemingway, Francis Scott Fitzgerald et Zelda leur tiennent compagnie, tout comme Picasso, Cocteau, Stravinsky ou Fernand Léger. Au tout début de son roman Tendre est la nuit (1934) Scott Fitzgerald écrit: «À mi-chemin entre Marseille et la frontière italienne, on rencontre sur l’aimable rivage méditerranéen un vaste hôtel de luxe au mur teintés de rose. […] C’est depuis peu devenu un lieu de rendez-vous pour nombre de gens la mode. Il y a dix ans, le départ, dès avril, de la clientèle anglaise laissait l’hôtel presque désert. Maintenant, de nombreuses villas ont été bâties alentours.»
La société des bains de mer de Juan-les-Pins est créée. Une nouvelle station tournée vers le soleil et la mer apparaît: Juan-les-Pins. L’homme d’affaires Frank Jay Gould (1877-1956) en est le promoteur principal. L’influence californienne est évidente; le casino s’appelle «Hollywood». L’ambiance y est plus décontractée qu’à Nice; les femmes déambulent en pyjama de plage.
L’architecture s’ouvre sur l’extérieur et le soleil. La villa E1027 à Roquebrune-Cap-Martin, construite en 1929 par l’architecte et designeuse irlandaise Eileen Grey et l’architecte et critique d’art Jean Badovici, avec ses baies vitrées, son balcon filant et son solarium le démontre (ill. 2). Sur la même commune, à 1 kilomètre de là et la même année, ouvre le Monte-Carlo Beach répondant à la mode des bains de mer estivaux. Son architecture rappelle celle de certains hôtels de Floride. La Principauté fait appel à Elsa Maxwell (1883-1963), qu’on qualifierait aujourd’hui d’«influenceuse», qui vient de faire la réputation du lido de Venise, pour lancer le nouveau Monte-Carlo.
En 1931, le Monte-Carlo d’Eté et sa «Cité de la Mer» offre des nombreux équipements sportifs, balnéaires et nautiques. À Saint-Tropez ouvre, en 1932, le groupe touristique Latitude 43. Le programme comporte, outre l’hôtel de 110 chambres, un restaurant, des piscines et courts de tennis, un casino, des commerces pour une clientèle estivale. L’hivernant n’a plus le monopole de la Côte d’Azur. Le participe présent «estivant» est substantivé dans les années 1920, donnant naissance au terme d’«estivant» (Dictionnaire historique de la langue française, Le Robert, 1998).
Des usages oubliés
Il ne faut toutefois pas croire que l’on a attendu les Étatsuniens pour profiter de l’été et se baigner dans l’eau chaude. À Nice, on avait pensé à la saison estivale dès le rattachement à la France. Ailleurs, celle-ci existait bel et bien, mais cette méconnaissance tient dans le fait qu’il s’agissait d’une pratique plus populaire, adoptée par une population moins riche et moins célèbre que celle fréquentant le cœur de la Côte d’Azur.
Le cas de La Seyne-sur-Mer, sur sa marge varoise occidentale, est symptomatique de cette dynamique ignorée. À la suite de la construction, dans les années 1880, de la station d’hiver de Tamaris, par l’action de Marius Michel, surnommé Michel Pacha parce qu’il avait fait fortune dans la modernisation des phares et balises de l’Empire ottoman, une corniche du bord de mer est construite pour relier Tamaris à la plage des Sablettes qui devient, à la fin du 19e siècle, son annexe balnéaire et estivale (Bertrand, 2003). Le docteur de Lignières, dans son ouvrage L’Eté sur le littoral méditerranéen (1888) cherche à prouver «la supériorité du climat estival du littoral […]. Les bains de mer pris dans la Méditerranée offrent de précieux avantages qu’on n’a pas encore fait ressortir. […] En faut-il davantage pour expliquer la raison de la nouvelle concentration balnéaire?» Il apparaît à l’évidence que les bains estivaux prennent de l’ampleur dans les années 1880, pour une population avant tout locale ou régionale en villégiature, mais aussi nationale à Tamaris-Les Sablettes, grâce au chemin de fer.
La seconde Côte d’Azur
Une nouvelle Côte d’Azur émerge à partir des années 1950, après la période de transition de l’entre-deux-guerres. En quelques décennies, le système touristique se transforme totalement par un changement d’acteurs et de pratiques, avec l’inversion de la saisonnalité, le déclin de l’aristocratie, la démocratisation des vacances ou la concurrence accrue et à l’échelle planétaire d’autres destinations. Le tiers de son offre hôtelière disparaît, soit 500 établissements et plus de 10.000 chambres dans les Alpes-Maritimes. De nombreux établissements sont victimes des faits de guerre.
Dans l’après-guerre, l’offre hôtelière est insuffisante pour répondre à la nouvelle demande touristique et l’hôtellerie de plein-air prend provisoirement de l’ampleur avant de refluer face à la pression de l’urbanisation. Malgré ces vicissitudes, la Côte d’Azur est non seulement restée très touristique mais sa fréquentation a également fortement progressé, passant de 320.000 touristes en 1925 à 1 million en 1956, 8 millions en 1985 et 11 millions à la fin des années 2010.
La première raison de sa résilience tient dans la grande plasticité de la Côte d’Azur face aux mutations du monde et des pratiques touristiques. Elle a aussi eu la chance de ne pas connaître de grosses turbulences géopolitiques. La Côte d’Azur est aussi restée touristique parce que le littoral méditerranéen a su capter plusieurs nouvelles pratiques au fil du temps. La pérennité touristique azuréenne est également due au fait que ce lieu se situe dans un des pays les plus riches du monde, dans l’espace de plus forte concentration de richesse au monde: l’Europe du Nord-Ouest.
Diversification économique
L’économie résidentielle est venue compléter l’activité touristique et constitue le second pilier de la fonction d’accueil. En France, dès les années 1920, les classes aisées se retirent dans des villes d’eaux (Vichy, Pau) ou de plaisance, comme Biarritz ou Nice. Le rôle de la décolonisation entre 1954 et 1962 dans le développement de la Côte d’Azur est fondamental, avec le retour des colons et des fonctionnaires d’Indochine, d’Afrique noire et d’Afrique du Nord. À un premier flux de personnes aisées venant s’ajouter à la bourgeoisie locale se rajoute un second flux beaucoup plus massif et socialement plus hétérogène correspondant à l’arrivée des Pieds-Noirs d’Algérie en 1962. On en dénombre 48.000 dans le département des Alpes-Maritimes à la fin des années 1960, soit plus de 6% de la population.
Cette arrivée provoque un boom du BTP et du commerce. Entre 1946 et 1975, les Alpes-Maritimes passent de 453.000 à 809.000 habitants, une des plus fortes progressions dans l’Hexagone. Cette économie résidentielle littorale est le facteur déterminant de la croissance démographique de la Côte d’Azur et elle est intimement liée au tourisme par les aménités touristiques (climat, animation, infrastructures…) très appréciées des personnes âgées.
Les industries de haute technologie qui apparaissent découlent également du tourisme par les équipements qu’il a générés et par l’image de marque qu’il a donnée à cette région. La qualité du cadre de vie et de ces équipements favorise toujours l’attractivité du lieu auprès des professionnels de haut niveau. Le tourisme, activité à l’origine de cette dynamique, est progressivement rattrapé par d’autres, qu’ils s’agissent de l’industrie de pointe, du BTP ou du commerce ou des services liés à la population résidente. Le tourisme ne concentre plus que 16% de l’emploi total et, avec les emplois indirects, c’est environ un tiers des actifs des Alpes-Maritimes qui lui doit sa situation.
Du littoral touristique à la conurbation
Cette dynamique contemporaine a donné naissance à une des rares conurbations touristiques dans le monde, qui dépasse le million d’habitants dans sa partie française et monégasque, à laquelle il faut rajouter une partie de la Riviera du Ponant, jusqu’à San Remo, soit encore 100.000 habitants approximativement. Cette urbanisation a rempli les espaces littoraux entre les stations touristiques initiales et s’est répandue vers l’intérieur.
Elle laisse apparaître de fortes disparités. Le tourisme est toujours en bord de mer. Les caps d’Antibes ou Martin et Saint-Jean-Cap-Ferrat ont su rester des quartiers élitistes, aux demeures prestigieuses, espacées et habitées quelques semaines par an par leurs richissimes propriétaires (ill. 3). Les collines ayant vue sur la mer se sont couvertes d’immeubles de standing constitués de résidences secondaires ou occupés à l’année par des actifs et des retraités aisés. Quant aux masses laborieuses, on les retrouve dans les vallées et dans des grands ensembles au milieu de zones industrielles et commerciales, de voies rapides, etc.
Ainsi se présente aujourd’hui la Côte d’Azur, avec sa façade littorale éblouissante et une zone en retrait où on retrouve la même ségrégation résidentielle que dans nombre de villes européennes et les mêmes problèmes de chômage, de précarité et de délinquance. La difficulté croissante qu’ont les actifs à se loger est un autre problème auquel doit faire face la Côte d’Azur. La forte demande internationale a provoqué une augmentation des prix et une pénurie immobilière, expliquant le développement de localités de plus en plus éloignées du littoral.
Sur le rivage, la navigation de plaisance est en plein boom, comme le révèle l’apparition du mot «nautisme» en 1966 (Dictionnaire historique de la langue française, Le Robert, 1998), la même année que le permis de Port-Grimaud est délivré et l’année suivant l’inauguration de Port-Canto (ill. 4) à Cannes, premier port européen financé par des fonds privés établi sur le domaine public. Il faut dire qu’une loi de 1965 facilite ces infrastructures puisque l’État abandonne une partie du domaine public maritime en accordant aux investisseurs privés des «concessions à charge d’endigage». En conséquence, on dénombre en 1975, 26 ports de plaisance dans les Alpes-Maritimes et 63 dans le Var.
La Côte d’Azur assassinée
Les critiques sur la Côte d’Azur sont anciennes, remontant au 19e siècle déjà, mais l’urbanisation rapide et massive depuis l’après-guerre les a amplifiées. Regretter la Côte d’Azur de la Belle Époque est devenu un lieu commun et de nombreux intellectuels d’horizons divers ne se privent pas de l’égratigner. Par exemple, pour expliquer l’évolution du sens du mot «mythe», le dictionnaire Nathan de la mythologie gréco-romaine fait appel à la Côte d’Azur en opposant «le “mythe” de la Côte d’Azur (criques à l’eau limpide bordées de pinèdes où chantent les cigales) à sa réalité bétonnière et polluée» (p.258).
Dans un ouvrage publié en 1971 et intitulé La Côte d’Azur assassinée? (Éditions Roudil), René Richard et Camille Bartoli s’en prennent, entre autres, à Marina-Baie-des-Anges (ill. 5), considéré comme «un mur de béton se dressant devant la mer» (p.60). Cinquante ans plus tard, cette réalisation de l’architecte André Minangoy (1905-1985) a reçu le label Patrimoine du XXe siècle et l’office du tourisme de Villeneuve-Loubet organise des visites guidées!
Bibliographie
- Bertrand Nathalie, 2003, Tamaris, entre Orient et Occident. Arles, Actes Sud, 240 p.
- Bottaro Alain et al. 2013, Trois siècles de tourisme dans les Alpes-Maritimes. Milan, Conseil général des Alpes-Maritimes et Silvana Editoriale, 213 p.
- Boyer Marc, 2002, L’Invention de la Côte d’Azur. L’hiver dans le Midi. La Tour d’Aigues, Éditions de l’Aube, 379 p.
- Callais Alain, 2016, «La Côte d’Azur: une expression à histoire et géographie variables», Recherches régionales. n° 210, p. 6-19, en ligne [pdf].
- Liégeard Stéphen, 1887, La Côte d’Azur. Paris, Maison Quantin, 430 p.
- Recherches régionales, 2017, n° 212, n° spécial consacré à la Côte d’Azur des Trente Glorieuses, 165 p., en ligne [pdf].
- Toulier Bernard (dir.), 2010, Villégiature des bords de mer. Architecture et urbanisme XVIIIe-XXe siècle. Paris, Éditions du patrimoine, 400 p.
- Violier Philippe, Duhamel Philippe, Gay Jean-Christophe et Mondou Véronique, 2021, Le Tourisme en France 2, approche régionale. Londres, ISTE, 221 p.
- Ring Jim, Riviera: The Rise and Rise of the Côte d’Azur, Londres, John Murray, 272 p.