Zoo
Plus de 600 millions de personnes se rendent annuellement au zoo. Lieu du spectacle vivant des animaux, de qualification de ce qu’ils sont (des êtres sauvages et exotiques ?), les zoos sont des dispositifs où expérimenter une proximité avec des êtres qui restent rares. Espaces de loisirs d’abord fréquentés localement ou parfois équipements touristiques structurants, les zoos proposent de vivre une expérience du hors-quotidien par les animaux qu’ils présentent et en mobilisant, pour certains, les codes du voyage, de la découverte et de l’aventure. Dans le cadre de l’urbanisation planétaire et de la sixième extinction de masse, certaines espèces banales au début du XXe siècle, deviennent extraordinaires et entrent dans les collections des zoos.
Le zoo, un équipement touristique ?
La captivité d’animaux, conservés pour leur beauté, leur étrangeté, leur puissance, est attestée en Égypte ancienne dès 3500 av. J.-C., en Mésopotamie et en Chine ancienne au XIe siècle av. J.C. Cette relation aux animaux, d’abord essentiellement déployée par les élites, n’est pas fondée sur la consommation ou l’usage en tant que force motrice, mais comme source de prestige, de pouvoir, de jouissance esthétique, voire de compagnie. Les zoos se comptent aujourd’hui par milliers (1 300 pour les principales institutions) et sont implantés dans quasiment tous les pays du monde. Pour autant, ils ne relèvent pas d’une forme d’universel. Dans les sociétés pour lesquelles il existe des continuités fortes entre l’esprit des humains et celui des animaux, il est impensable de les enfermer pour son simple plaisir. Il y aurait ainsi, anthropologiquement, des sociétés à zoo et des sociétés sans zoo. Ce n’est finalement qu’à la faveur de la mondialisation, et notamment des colonisations, que le phénomène se déploie et s’impose partout.
Combien y a-t-il de zoos aujourd’hui ? Où sont-ils ? Voici deux questions auxquelles il est difficile de répondre, tant elle dépend de la manière dont sont collectées les données et ce qu’elles incluent en tant que zoo dans leur décompte. Il y aurait plus de 10 000 zoos dans le monde, même si les associations zoologiques reconnues considèrent qu’on ne compte que 1200 zoos principaux. La carte de localisation des zoos dans le monde par établissement, fait apparaître un modèle attendu de Triade, avec cependant une présence particulièrement marquée de la Chine et dans une moindre mesure de l’Inde. En dehors de ce cas, la concentration des zoos est assez conforme à leur histoire. Maximale en Europe, où ils ont étés inventés, elle est forte dans des territoires qui ont étés sous influence, d’une manière ou d’une autre: Japon sous l’ère Meiji, Australie, Nouvelle Zélande, Inde ou États-Unis, du fait d’héritages coloniaux contrastés. En Afrique subsaharienne, les rapports s’inversent avec une majorité de pays sans zoos. C’est que le budget d’un zoo est très élevé et difficilement compressible (personnel, nourriture notamment). Aux États-Unis, un petit tiers des zoos ont un budget qui est inférieur à un million de dollars; un tiers un budget inférieur à cinq millions et un gros tiers un budget supérieur à cette somme.
Malgré les critiques que les zoos subissent autour de la question de l’enfermement des animaux ainsi que la concurrence d’autres espaces de loisirs, ils restent des espaces très visités. Plus de 600 millions de personnes s’y sont rendu en 2023 et le zoo de San Diego (États-Unis, 4 millions de visiteurs) ou de Beauval (France, 2 millions de visiteurs) apparaissent comme des pôles touristiques et de loisirs majeurs. Rares sont les espaces urbains dans lesquels le zoo n’est pas mentionné dans les guides touristiques comme une activité à réaliser en famille voire comme une des visites incontournables de la ville (comme à San Diego voire à Amsterdam). Le zoo de Beauval, qui dispose d’une stratégie touristique avérée et de moyens importants, déploie depuis peu une offre d’hébergement à l’instar des parcs à thèmes.
Vivre une expérience extraordinaire: la mobilisation des codes du hors-quotidien
Le zoo est un espace où l’on vient participer à des récits sur l’ailleurs. Au fondement de ces récits se trouve l’altérité du vivant non humain. La fascination qu’exercent certains animaux sur le public vient du trouble que nous procure la rencontre. Dans des cultures pour lesquelles la séparation entre l’humain et l’animal est essentielle –précisément celles qui ont inventé le zoo-, l’institution est le lieu d’une transgression contrôlée. Il ne faut pas regarder longtemps un ours ou un gorille pour comprendre qu’on est face à une forme d’intelligence non-humaine. Les proximités qui apparaissent sont alors autant de questionnements qui renvoient nécessairement à notre identité. Les zoos encouragent cette déconstruction de la frontière humain/animal à travers des panneaux qui insistent sur la continuité entre les espèces ou sur la culture et les identités animales, sans jamais remettre en cause la dissymétrie qui existe entre les spectateurs et les animaux par le simple fait d’être enfermés et montrés.
De cette façon, l’altérité est contrôlée: pas de risque matériel d’être attaqué, pas de risque symbolique de voir s’effondrer la distinction entre humains et animaux. L’expérience du zoo, comme celle du tourisme, est bien celle de l’altérité maîtrisée par des dispositifs (que ce soit les guides, les agences de voyages, les hôtels ou les enclos, les dispositions, les panneaux) et par son détachement du quotidien: l’un comme l’autre peuvent rester des parenthèses, isolant de notre ordinaire les questions fondamentales mais troublantes qui y émergent.
Quel est cependant le lien de cette altérité à l’ailleurs ? Avoir un chat à son domicile, n’est-ce pas déjà être face au vivant non humain ? A vrai dire, au zoo, nous venons voir des lions et des babouins, pas des vaches ou des chiens. Ceux-ci, précisément parce qu’ils sont entrés dans notre quotidien, ont perdu une grande part de leur altérité et donc de leur attrait. Au zoo, on vient d’abord rencontrer des animaux sauvages et exotiques.
Si tous les zoos ne se ressemblent pas exactement, on retrouve pourtant une grande stabilité des collections d’animaux présentés: les grands singes, les lions ou les girafes suffisent à définir l’établissement, où que l’on soit dans le monde. Au contraire, un lieu présentant une grande diversité d’animaux, sans ces quelques espèces charismatiques, sera plutôt qualifié de parc animalier.
L’exotisme et la sauvagerie ne sont bien sûr pas de caractéristiques propres aux animaux mais le résultat d’un processus de qualification dont le zoo participe par des décors, des plantations et des bâtiments stylisés pour renvoyer à un imaginaire de l’ailleurs largement postcolonial.
Si un lion ou un gorille suffisent à constituer un zoo c’est qu’ils reflètent la construction asymétrique de l’exotisme, comme écart à une norme située, produite par les anciennes métropoles coloniales. Pas plus que la pomme n’est pensé comme un fruit exotique, la vache n’est un animal a priori exotisable.
L’ailleurs du zoo est ainsi assez peu varié, reflété en cela par l’étonnante stabilité de ces collections à travers la planète, avec une surreprésentation de découpages, de décors et d’espèces figurant l’Afrique, parangon du sauvage et de l’exotique.
L’altérité tendant à s’émousser avec l’habitude, au zoo, le mécanisme n’est plus tant d’amener des animaux d’ailleurs ici –les barreaux et les bâtiments donnant à voir le travail de domination et d’organisation du vivant mené par le zoo-, que de recréer ici l’ailleurs afin d’en renforcer l’expérience pour nous.
Le spectacle du zoo, à l’image de ce qu’on vit comme touriste, est en effet une expérience physique et participative, certainement pas livresque: on montre, on crie, on commente, on essaye d’attirer les animaux en tapant sur les vitres, on s’imprègne des découpages par le simple fait de marcher d’un enclos à l’autre ou en regardant des décors. Il est donc peu étonnant que l’institution cherche parfois à nous faire jouer le rôle de ceux qui, par excellence, sont supposés rechercher l’ailleurs: les touristes.
Le voyage y est figuré sous la forme de la frontière qu’il faut passer avec toutes les tracasseries administratives que cela implique. Le touriste dont on nous propose de jouer le rôle se lance en effet pleinement dans l’altérité, avec tous les risques qu’elle représente. Cela peut être un simple retard à la douane (zoo de Chicago), une confrontation avec des gardes armés ou encore une possibilité d’attaque par des tigres (zoo de Melbourne). De fait, le touriste dont il s’agit est toujours une figure idéalisée: celle du voyageur voire de l’aventurier.
Si l’expérience des visiteurs de zoos permet de contribuer à penser celle des touristes, c’est bien à partir de la question de l’ailleurs et de l’altérité contrôlée, qui peut émerger à proximité immédiate du quotidien, pour peu qu’une rupture avec celui-ci soit possible, et non pas sur le fondement de la nuit en dehors de son domicile. Être touriste ne renvoie sans doute pas à une localisation mais bien plutôt à une modalité de l’être qui peut être déclenchée ou soutenue par des dispositifs dont le zoo fait partie.
Être touriste dans l’anthropocène: les zoos et la sixième extinction de masse
Une sixième extinction de masse est en cours depuis plusieurs siècles, avec le début de la société industrielle. Si environ deux espèces de mammifères sur 10 000 s’éteignait par siècle dans les périodes entre les cinq dernières extinctions, le taux actuel de disparition de vertébrés est jusqu’à cent fois supérieur. L’impact de l’activité humaine est ainsi inédit depuis 65 millions d’année et l’épisode ayant marqué l’extinction des dinosaures. Or depuis les années 1960, se développe l’idée que le simple plaisir de voir des animaux n’est plus suffisant pour justifier l’existence des zoos, et certaines associations militant pour leurs droits vont mener des actions qui les déstabilisent. Les zoos sont alors présentés comme des prisons et des lieux d’exploitation où se déploie une mauvaise relation aux animaux, qu’il s’agit de supprimer.
Dans ce cadre d’extinction de masse, les zoos se décrivent de plus en plus comme des «arches de Noé», préservant des espèces en voie de disparition pour pouvoir ultérieurement les réintroduire dans leur milieu naturel. Il s’agit de sacrifier la liberté d’un groupe d’individus pour le bien de l’espèce, dans une relation de protection, qui est jugée légitime. Beaucoup de zoos sont ainsi devenus de véritables élevages, attentifs au maintien de la qualité et la diversité génétique des individus et, par-delà, des espèces, en planifiant soigneusement leur reproduction.
Du côté des visiteurs, l’attrait d’espèces charismatiques ne fait que croitre du fait de la menace qui pèse sur eux et de l’idée que ceux-ci n’existeront probablement plus à une échéance temporelle désormais réduite. A défaut de voyager vers les pôles ou la forêt amazonienne avant leur disparition, les zoos peuvent apparaitre comme des substituts au tourisme de la dernière chance.
L’entrée dans l’Anthropocène est due à de multiples facteurs, de plus ou moins long terme, comme la sédentarisation humaine et le passage à l’agriculture conduisant progressivement à une recomposition des rapports entre les vivants. L’industrialisation, qui recompose le rapport aux ressources naturelles et à leur consommation sans limites et jusqu’à épuisement, avec le largage de particules nouvelles dans l’atmosphère sont d’autres critères mobilisés pour définir le début de cette nouvelle ère géologique.
Cette recomposition passe notamment par un détachement d’une part toujours plus grande de la population d’animaux domestiques, du fait des transformations de l’élevage (devenant d’abord des productions animales, concentrées dans des bâtiments fermés), de l’urbanisation et de la disparition massives d’espèces du quotidien. A titre d’exemple, en France, les oiseaux perdent près du tiers de leurs effectifs en quinze ans. Des espèces relativement communes comme la grande outarde, la sarcelle marbrée, où le pluvier guinard, dont on faisait le pâté de Chartres, lors de son passage pour les migrations, sont désormais éteintes en France.
Dans le cadre de ces transformations, émergent depuis une quarantaine d’année des espaces spécifiques, nommés «ferme du zoo» ou «zoo des enfants» dans lesquels des animaux domestiques sont présentés. S’il semble encore utile de les présenter dans une partie spécifique du zoo, les vaches, les chèvres ou les cochons semblent avoir suffisamment glissés du côté du hors-quotidien pour pouvoir intégrer leurs collections vivantes. A la manière des écomusées dont les faucilles ou les araires sont devenues étranges, et en cela digne d’intérêt, la recomposition –même marginale- des espèces présentées au zoo est un signe de la décomposition d’attachements anciens aux animaux, qui façonnent pourtant l’histoire de l’humanité. Que le bélier ou le mouton commun puissent être touristifiés ou pour le moins deviennent des êtres exceptionnels est ainsi une trace parmi beaucoup d’autres de la crise écologique contemporaine.
Bibliographie
- Baratay Eric et Ardouin-Fugier Élisabeth, 1998, Zoos. Histoire des jardins zoologiques en occident (XVIe-XXe). Paris, La Découverte, 276 p.
- Estebanez Jean, 2010, «Le zoo comme dispositif spatial: mise en scène du monde et de la juste distance entre l’humain et l’animal», L’Espace géographique, vol. 39, no. 2, pp. 172-179, https://doi.org/10.3917/eg.392.0172
- Estebanez Jean, 2022, Humains et animaux. Une géographie de relations. Paris, CNRS Editions, 64 p.
- Mullan Bob and Marvin Gary, 1987, Zoo Culture. Londres, Weidenfeld & Nicolson, 228 p.
- Pouillard Violette, 2019, Histoire des zoos par les animaux. Impérialisme, contrôle, conservation. Ceyzérieu, Champ Vallon, 467 p.
- Rothfels Nigel, 2008, Savages and Beasts: The Birth of the Modern Zoo. Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 288 p.