Paréo
«Paréo» est un mot attesté sous cette graphie chez Pierre Loti en 1880 selon le Dictionnaire historique de la langue française (Le Robert, 2022, p. 1787). Il désigne un vêtement traditionnel tahitien dont on s’est inspiré pour en faire un vêtement de plage. Son équivalent en Asie du Sud-Est est le sarong, alors qu’on l’appelle manou en Nouvelle-Calédonie, un pagne constitué d’un morceau de tissu attaché autour des reins et couvrant ainsi le bas du corps des hanches aux genoux ou aux chevilles (Base de données lexicographiques panfrancophone). Ils se différencient par leurs couleurs et leurs motifs. Contrairement à son cousin tahitien, le manou est quasiment inconnu en Occident, ce qui démontre la place de la Polynésie dans l’imaginaire touristique et l’occultation de la Mélanésie, victime d’un a priori racial négatif, à la base de l’opposition entre la figure érotisée et fantasmée de la vahiné, côté polynésien, et du cannibale, côté mélanésien (Boulay, 2001, Tcherkézoff, 2009, Blondy, 2017 et Gay, 2017)
L’influence polynésienne est calquée sur les réseaux coloniaux. L’archipel d’Hawaï, annexé en 1898 par les États-Unis, attire ses ressortissants, alors que les Établissements français de l’Océanie, renommés Polynésie française en 1957, ont le même effet sur les Français. Ces deux pays, par l’influence qu’ils ont eue sur la dynamique des pratiques touristiques, sont aux sources d’un imaginaire devenu presque universel. Le paréo fait partie de ces éléments «exotiques» introduits dans le monde du tourisme. C’est un des souvenirs habituels que les touristes ramènent de leurs séjours balnéaires ou insulaires, a fortiori s’ils sont tropicaux (photo 1) alors que la visite d’artisans en fabriquant fait partie des circuits touristiques à Bora Bora par exemple (photo 2). Paul Gauguin (1848-1903) immortalise ces tissus colorés dans ses toiles. C’est Titaÿna, alias Élisabeth Sauvy-Tisseyre (1897-1966), journaliste, globe-trotteuse, aventurière et sœur du démographe Alfred Sauvy (Heimermann, 1994) qui le fait découvrir au Tout-Paris lors d’une conférence sur les Tahitiennes, au musée d’Ethnographie du Trocadéro en 1929, à la suite d’un séjour à Tahiti. Il apparaît pour la première fois sur la plage à Biarritz en 1934, quand le grand couturier Jacques Heim (1889-1967) lance sa collection de maillots de bain deux-pièces et ses paréos assortis (Gay in Violier et al., 2021). On peut lire dans le magazine Vogue:
«Voici une idée toute nouvelle et des plus seyantes: le pagne pour la plage. Plus besoin, pour les femmes très féminines, d’avoir l’air d’un garçon manqué. Heim s’est heureusement inspiré des costumes des îles du Pacifique pour ce paréo que l’on enroule autour des hanches. Il est complété d’un soutien-gorge fait également dans une toile blanche imprimée noir. Une cordelière brique le retient sur les épaules.»
(juillet 1934, p. 28-29).
À Hollywood, Dorothy Lamour (1914-1996), qui va être qualifiée de «sarong girl», le porte en 1936 dans le film The Jungle Princess (Hula, fille de la brousse en France). Ce vêtement, va être associé à la plage, aux îles des mers du Sud et aux pin-up qui feront rêver les GI’s durant la seconde guerre mondiale.
Le Club Méditerranée, à partir des années 1950, en fait un de ces symboles, associant ses villages de vacances, d’abord méditerranéens, aux «paradis lointains» polynésiens, une idée de la seconde épouse de Gérard Blitz, fondateur du Club, Claudine Blitz, qui avait séjourné à Tahiti dans les années 1940 (Peyre et Raynouard 1971). Les GO (gentils organisateurs) vont le porter et les GM (gentils membres) l’achètent dans les boutiques du Club. Elle introduit également les colliers de fleurs qui accueillent les GM, à l’imitation de l’accueil des visiteurs à leur arrivée à Tahiti (Gay, 2013). Léger et pouvant être noué de différentes manières (il y a souvent des démonstrations de nouage dans les grands hôtels en Polynésie française, territoire où sont édités des guides touristiques pour savoir le porter), ce vêtement chic et estival reste prisé près d’un siècle après être devenu à la mode.
Bibliographie
- Base de données lexicographiques panfrancophone
- Blondy Caroline, 2017, « La fabrique d’un haut lieu du tourisme insulaire tropical: Tahiti et ses îles », in Coëffé Vincent (dir.), Le tourisme, de nouvelles manières d’habiter le monde, Paris, Ellipses, 456 p., p.376-399.
- Boulay Roger, 2001. Kannibals et Vahinés. Imagerie des Mers du Sud, Paris, Réunion des Musées Nationaux.
- Gay Jean-Christophe, 2013, « Les îles du Pacifique dans le monde du tourisme », Hermès, n° 65, p. 89-93. En ligne
- Gay Jean-Christophe, 2017, Un Coin de paradis. Vacances et tourisme en Nouvelle-Calédonie, Nouméa, Musée de la ville [en ligne: Gay103.pdf (mgm.fr)]
- Heimermann Benoît, 1994, Titaÿna. L’aventurière des années folles, Paris, Flammarion, 360 p.
- Peyre Christiane et Raynouard Yves, 1971, Histoire et légendes du Club Méditerranée, Paris, Le Seuil, 267 p.
- Tcherkezoff Serge, 2009, Polynésie / Mélanésie – L’invention française des « races » et des régions de l’Océanie (XVIe-XXe siècles), Pirae, Au Vent des Iles, 393 p.
- Violier Philippe, Duhamel Philippe, Gay Jean-Christophe et Mondou Véronique, 2021, Le Tourisme en France 2, approche régionale, Londres, ISTE.