Cap d’Ail
La commune de Cap-d’Ail a eu 100 ans en 2008. Elle fait partie des autonomies municipales issues de la création par le tourisme de nouveaux lieux littoraux. Le mouvement débuta dans les Alpes-Maritimes en 1891 avec Beaulieu-sur-Mer, suivi de Saint-Jean-Cap-Ferrat en 1904, ces deux communes étant le résultat de l’amputation du territoire de Villefranche-sur-Mer. La même année, Beausoleil est créée aux dépens de La Turbie, tout comme Cap-d’Ail en 1908 (Ill. 1). L’antériorité du tourisme dans cette partie de la Côte d’Azur fait qu’à l’ouest de Nice les créations furent plus tardives avec Le Lavandou (Var) en 1913, Théoule-sur-Mer (A.-M.) et Cavalaire (Var) en 1929, La Croix-Valmer (Var) en 1934 et Le Rayol-Canadel (Var) en 1949.
Un lieu touristique créé ex nihilo
Le chemin de fer arrive à Nice en 1864, à Monaco en 1868 et à Vintimille (Italie) l’année suivante. Au départ il n’y a pas de gare à Cap-d’Ail tout simplement parce qu’il n’y a personne sur cette bordure littorale de la commune de La Turbie, dont le village est à 400 m d’altitude. En 1870, le rivage de Villefranche-sur-Mer à Monaco est totalement inexploité en l’absence de route.
Le chemin de fer et la Basse-Corniche, terminée en 1883, améliorent considérablement l’accessibilité de ce littoral et le transforment, sous l’impulsion notamment de promoteurs immobiliers qui flairent les bonnes affaires. En 1881, l’un d’entre eux, le baron de Pauville, fait l’acquisition, dans le secteur du cap Mala, de 21 hectares de terres agricoles pauvres.
Il s’agit d’un double programme immobilier: construire un hôtel et faire un lotissement voisin. Le principe est simple: attirer des touristes par une infrastructure d’hébergement luxueuse, puis les inciter à acheter une parcelle dans le lotissement voisin. Il est à noter que quelques années plus tard, la mise en tourisme du cap Martin, près de Menton, reposera sur la même stratégie. Il arrive à convaincre la compagnie PLM de construire une gare en contrebas du futur hôtel.
De 1881 à 1884, un important travail de voirie et de terrassement est mené pour permettre l’accès au futur hôtel et aménagé des replats nécessaires à la construction des maisons. Le baron revend, avec une très importante plus-value, les terrains viabilisés pour les villas au Comptoir d’Escompte de Paris (CEP) en 1885, qui achève la mise en valeur du lotissement et se charge de la commercialisation. Avec les bénéfices acquis, on suppose qu’il a pu achever l’hôtel Éden (Ill. 2). En 1897, affaibli et en difficulté, il revend son hôtel et les terrains qui lui restaient à Auguste Thomas, un autre financier, attiré par le succès de la station naissante, qui crée une société immobilière, la Compagnie du littoral de la Méditerranée (CLM). Elle rachète l’hôtel Eden et les terrains du CEP.
Cet hôtel est le bâtiment le plus remarquable du nouveau quartier. C’est un établissement luxueux, avec des chambres toutes équipées de salle de bain. Une usine électrique au charbon en bord de mer lui fournit de l’électricité et il est équipé d’un ascenseur, véritable attraction à la fin du 19e siècle. En 1910, on lui rajoute une annexe à l’ouest.
Les divertissements étaient rares pour les clients et, en 1901, on ouvre une promenade en bord de mer du cap Mala au cap Rognoso, avec un tir aux pigeons de la batterie du cap d’Ail. L’attrait de la baignade estivale, à partir des années 1920, va être fatal à cet hôtel, qui est isolé sur son piédestal, à 90 mètres d’altitude et qu’on n’a pas pensé à relier à la plage Mala. On songe, dans les années 1930, à construire un funiculaire permettant d’accéder facilement à la mer, mais il ne se fera pas. L’hôtel est transformé en appartements en 1947.
Autour de l’hôtel, on trouve un lotissement tout à fait remarquable avec de somptueuses villas, dont tous les premiers propriétaires furent d’abord des clients de l’hôtel Éden, preuve que la stratégie immobilière mise en place fut efficace. Les frères Lumière en possédaient trois, et celle que l’on appelle aujourd’hui la villa Lumière, construite en 1902, a une orientation symptomatique de l’organisation de cette enclave touristique, puisqu’elle est tournée vers l’hôtel est non vers la mer (Ill. 3).
À l’origine, ce cap est très sec et rocailleux. Il est aujourd’hui couvert d’une végétation riche et variée, constituée de nombreuses essences exotiques. Les travaux d’aplanissement ont été très importants, il a fallu entailler la roche, voire construire des plates-formes en béton armé supportées par des piliers. Les parcelles faisaient entre 1.000 et 2.500 m2. Le cahier des charges imposait un mur côté route, avec généralement un accès par le nord. Pour disposer du jardin le plus vaste possible, la villa était en fond ou en angle de parcelle. Elles font généralement trois à quatre niveaux.
La villa Les Violettes est caractéristique de la volonté de lumière et d’air des touristes. On y a multiplié les espaces de repos et de contemplation ensoleillés et à l’abri du vent, avec des terrasses d’angle, des balcons aux chambres… En poursuivant sur le boulevard Gramaglia, on passe à côté de la villa Les Funambules, achetée par Sacha Guitry en 1927. Là encore, on tire parti de la vue et du climat en multipliant les baies vitrées, les belvédères et avec un toit constitué d’une terrasse d’agrément. La villa Castel del Mare, construite en 1911, dispose d’un escalier traité de façon rustique en faux branchage et qui rappelle l’importance du goût pour la rocaille en ciment, des années 1870 à la Première Guerre mondiale. Ces rocailles sont utilisées pour créer des grottes garnies de stalactites, de rochers déchiquetés, pour masquer des piliers soutenant des terrasses, où comme éléments de décoration: piliers de portail, marches d’escaliers, garde-corps…
L’héritage de la Belle Époque a été patrimonialisé, avec une communication de Cap-d’Ail sur son histoire, un circuit de découverte et l’action, depuis 1995, du ministère de la Culture et de la DRAC en faveur de la valorisation de l’architecture balnéaire du canton de Villefranche-sur-Mer. C’est donc une véritable mise en abyme du tourisme.
L’impossible centralité cap-d’ailloise
Mais le territoire cap-d’aillois, malgré son exiguïté (204 hectares), ne se résume pas au quartier autour de l’hôtel Eden. La partie orientale de la commune a un destin étroitement lié à la principauté de Monaco, qu’elle jouxte. En effet, au 19e siècle, le long de la frontière se développe, comme à Beausoleil, des quartiers populaires, en l’occurrence ceux de Saint-Antoine et des Salines. Il s’agit surtout d’Italiens attirés par le développement économique de Monaco. Et quand Cap-d’Ail s’autonomise, deux parties très différentes, distante d’environ deux kilomètres, la composent:
- à l’ouest, une enclave touristique en train de s’ouvrir et donc de se transformer en station;
- à l’est, un quartier populaire fait d’immeubles, d’ateliers, de garages et d’une gendarmerie, construite en 1900 pour surveiller la frontière monégasque.
La commune n’a pas réussi à articuler ces deux secteurs et à générer un véritable centre-ville: les bâtiments publics (maire, école, gendarmerie ou église) ont été disséminés le long de la Basse-Corniche entre les deux quartiers historiques, ce qui n’a pas fait disparaître la solution de continuité: s’il y eut des projets de création d’une vaste place à l’angle de la Basse-Corniche et de l’avenue qui la met en relation avec la Moyenne-Corniche, le modeste square Beaverbrook, seul réel point central de Cap-d’Ail, sur un terrain cédé à la commune par ce lord anglais, grand ami de Winston Churchill, témoigne de leurs échecs. En rachetant en 2002, le château des Terrasses pour en faire un centre culturel, la mairie a injecté un peu plus de centralité dans cette partie de la commune et augmenter les espaces publics, assez réduits à Cap-d’Ail.
Force est de constater que cette commune de 4.500 habitants en 2019 est toujours sous la forte influence de la principauté de Monaco, qui emploie deux tiers de sa population active, quoiqu’elle fasse partie de la Métropole Nice Côte d’Azur. C’est d’ailleurs la Principauté qui a racheté en 2004 le Centre méditerranéen d’études françaises, né en 1953 de l’utopie de Jean Moreau (1917-2004). Il accueille toute l’année des milliers de jeunes venus suivre des cours de langue. Un amphithéâtre dessiné par Jean Cocteau (1889-1963) se rajoute aux salles de classe et aux 60 chambres.
Cap-d’Ail a profité de la construction par Monaco du terre-plein de Fontvieille (22 hectares), à la fin des années 1970 et au début des années 1980. Monaco y a installé un port de plaisance, des logements sociaux, des usines, le stade Louis-II, etc. De l’autre côté de la frontière, Cap-d’Ail a ainsi pu aménager un port et jouir de terrains, sur lesquels on a construit, dans les années 1990, une plage avec des équipements balnéaires (Ill. 4), des logements et l’hôtel Marriott. Et c’est une autre grande réalisation monégasque, la mise en tunnel en 1999 de la ligne de chemin de fer (Gay, 2000), qui est à l’origine de la ZAC Saint-Antoine, inaugurée en 2013. En lisière de la Principauté, on y a construit une cinquantaine de logements gérée par le Service des Domaines monégasque et destinée aux fonctionnaires et agents de l’État ou assimilés.
Cap-d’Ail est une localité hybride, à la fois station touristique, par son parc d’hébergement comprenant près de 1.400 résidences secondaires (37%), 250 chambres d’hôtels et la centaine d’appartements en résidences de tourisme, à la suite de l’abandon par Pierre et Vacances de sa résidence Costa Plana, construite par Jean Nouvel en 1987 et internationalement connue.
C’est également un site touristique par son remarquable quartier Belle Époque avec plus de 70 villas et son sentier littoral (Ill. 5). C’est enfin une commune-dortoir de Monaco, à la fois pour les Français y travaillant et pour des centaines de résidents monégasques, officiellement domiciliés en Principauté mais logeant dans les communes limitrophes. La commune a fait parler d’elle récemment, car après une bataille juridique de plusieurs années, qui a opposé la municipalité et la préfecture, les cabanons de la plage de La Mala ont été détruits en 2021, en infraction au regard de la loi Littoral.
Bibliographie
- Collectif, 2003, Cap-d’Ail (Alpes-Maritimes). Aix-en-Provence, Inventaire général des monuments et richesses artistiques de la France, 72 p.
- Gay Jean-Christophe, 2000, «Monaco enterre ses trains», Mappemonde. n° 2, en ligne.
- Gay Jean-Christophe, 2008, «Cap-d’Ail a 100 ans», Mappemonde. n° 3, en ligne.
- Sur le site Internet de l’inventaire général du patrimoine balnéaire et de villégiature: http://www.inventaire.culture.gouv.fr/inventaire_chantiers_balneaire.htm