Grands Hôtels parisiens

Avec New York et Londres, Paris est l’une des principales métropoles où les grands hôtels se sont implantés, tout au moins dans des quartiers huppés. L’hôtel Meurice, qui a connu plusieurs adresses, est souvent considéré, depuis son transfert vers son emplacement actuel rue de Rivoli, en 1835, comme le premier établissement de prestige qui ait subsisté jusqu’à nos jours dans la capitale. En l’espace de près de deux siècles, le paysage des grands hôtels a connu de nombreuses mutations, tout en offrant bien des traits pérennes, tels que la discrétion, la recherche du meilleur confort, le luxe des décors, la profusion du service, ainsi que des prix élevés et une importante clientèle étrangère.

Parallèlement à une évolution plus générale, des césures apparaissent. On peut distinguer une première phase, du premier tiers du XIXe siècle à la « Belle Époque », à partir de laquelle on commence à parler de « palaces ». Vient ensuite une deuxième époque plus contrastée, autour des guerres et des après-guerres, et de phases d’adaptation ou de créations (au temps de l’Art déco). Enfin, des années 1960 à nos jours, on passe d’années plutôt traditionnelles à des temps marqués par une recherche de modernisation, des formes de concurrence, y compris gastronomiques, et par la place de groupes souvent extra-européens, alors que de nombreuses grandes villes ou régions dans le monde ont vu se multiplier les établissements de luxe.

De la monarchie de juillet à 1914

L’hôtel Meurice occupe une place importante parmi les grands hôtels parisiens.

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Ill. 1. Hôtel Meurice, carte postale non datée (Collection personnelle)

Il est sans doute le seul dans ce cas durant la première moitié du XIXe siècle et commence à illustrer la prédominance de la rive droite au titre des hébergements des riches visiteurs de la capitale, ce que confirment les créations qui se succèdent lors des décennies suivantes. On peut citer, entre la rue de Rivoli et l’Opéra, le Grand Hôtel du Louvre (1855) et le Grand Hôtel. Ouvrant ses portes en 1862, ce dernier propose quelque 726 chambres et salons (voir Tessier, p.51).

Après les deux ouvertures majeures remontant au Second Empire, c’est dans le même secteur que s’établissent le Normandy (1877) et le Continental (1879), tandis que quelques années plus tard, en 1889, c’est un peu plus au nord que le Grand Hôtel Terminus, relié à la gare Saint-Lazare, est inauguré.

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Ill. 2. Hôtel Normandy (photo : Jean El Gammal, 2025)

Il reste assez isolé dans sa catégorie, avec le palais d’Orsay (1900), aménagé dans la gare du même nom. Contrairement à ceux que l’on a cités, il a fermé ses portes – comme la gare, du reste – et est incorporé à l’espace du musée d’Orsay.

Plus généralement, il convient de souligner que la « Belle Époque », que les historiens situent en général entre 1896 et 1914 et qui est liée à une phase d’expansion économique et de créativité culturelle, a vu, notamment dans la capitale, la création de nombreux grands hôtels, à commencer par le Ritz, l’un des premiers qui est qualifié de « palace » et auxquels – entre autres établissements – sont attachés les noms de l’hôtelier suisse César Ritz (1850-1918) et du célèbre cuisinier Auguste Escoffier (1846-1935). Toujours sur la rive droite, se succèdent l’Élysée Palace (1899), le Regina (1900), le Crillon (1909), le Lotti (1910) et le Plaza Athénée (1911). Le premier grand hôtel apparu sur la Rive Gauche, en dehors du palais d’Orsay, est le Lutetia (1910), à proximité du Bon Marché. Il n’existe quasiment pas d’hôtels relevant du luxe dans les quartiers plus modestes. On peut mentionner, outre le Moderne de la place de la République (1891), l’une des rares exceptions datant de l’avant-guerre, le Terrass Hôtel (1911), à Montmartre.

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Ill. 3. Hôtel Regina (photo : Jean El Gammal, 2025)

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Ill. 4. Hôtel Lutetia (photo : Jean El Gammal, 2023)

À travers les décennies, les grands hôtels construits à Paris jusqu’en 1914 sont l’un des cadres typiques de l’opulence d’alors, telle qu’on peut l’observer dans d’autres capitales ou métropoles, ainsi que sur la Côte d’Azur, les rives du lac Léman, ou la Côte fleurie normande. Ils se signalent à l’attention des voyageurs fortunés, parfois sur le modèle du palais ou de l’hôtel particulier très agrandi, par leur grand confort – même si, sauf rares exceptions, toutes les chambres ne sont pas dotées de salles de bains – la taille de leurs salons et leurs équipements modernes pour l’époque (ascenseurs, électricité). Ils s’inscrivent aussi dans le cadre architectural haussmannien ou post-haussmannien, les audaces architecturales étant alors fort rares dans l’hôtellerie de prestige, où l’éclectisme des styles est très répandu et la richesse de l’ornementation très appréciée. L’accessibilité, la proximité des gares et des grands axes des quartiers prestigieux importent également aux voyageurs fortunés.

Entre guerres et regains

Si les grands hôtels parisiens, à partir d’août 1914, ressentent les effets de la guerre, certains d’entre eux accueillant des blessés ou restreignant leurs activités, tout en simplifiant un peu, les mois passant, la nourriture servie, leur activité ne disparaît pas, avec des fluctuations. On dispose d’évocations littéraires à leur sujet, parfois postérieures au conflit, comme dans Le Temps retrouvé de Marcel Proust (1927), client assidu du Ritz. Les grands hôtels ont également joué un rôle pendant la conférence de Versailles de 1919, accueillant nombre de délégations des pays victorieux.

Il n’y a guère eu de constructions pendant le conflit. La vague reprend vers 1925, en partie influencée par le style Art déco. Apparaissent en l’espace de quelques années le Bristol et le Raphaël (1925), le Commodore (1927), le George V, le Napoléon, le Pierre Ier de Serbie et le Royal Monceau (1928, l’année de l’apogée, probablement), le Prince de Galles (1929) et le Lancaster (1930). La crise touchant la France l’année suivante, cette vague de constructions se révèle très brève, même si les effets de la conjoncture sont variables pendant la décennie. En outre, alors que le Guide Michelin met en place à partir de 1933 un système stable d’attribution des étoiles, on constate que quatre tables de grands hôtels parisiens en obtiennent deux. En 1936, c’est le cas du Ritz, du Meurice, du Crillon et du George V, tandis que le Raphaël, le Lutetia et le Palais d’Orsay s’en voient attribuer une.

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Ill. 5. Hôtel Raphaël (photo : Jean El Gammal, 2023)

À partir du début de l’Occupation, en juin 1940, les grands hôtels sont pour la plupart réquisitionnés, au profit des services de l’armée, de la marine et de la police allemandes. Ils sont fréquentés par de nombreux officiers allemands, ainsi que par des collaborateurs – mais pas uniquement. Les restrictions y sont inégalement présentes, notamment pour ce qui concerne les tenants de l’Allemagne nazie. De l’Occupation et/ou de la Libération, ont rendu compte de nombreux journalistes ou écrivains, tels Hemingway, et bien plus récemment Pierre Assouline pour le Lutetia ou Philippe Collin pour le Ritz. Après la fin de la guerre, d’autres réquisitions ont été opérées sous l’autorité des pouvoirs publics et les grands hôtels traversent une période intermédiaire, non sans difficultés d’approvisionnement.

L’entrée dans les Trente Glorieuses se fait progressivement, et le modèle traditionnel de la grande hôtellerie semble quelque peu figé. Si la clientèle des années 1950 et 1960, en partie étrangère, est très aisée, les adresses sont longtemps restées les mêmes, et la modernité demeure assez peu apparente. Il y a du reste fort peu d’inaugurations de grands hôtels à Paris entre la Libération et le milieu des années 1960.

Chaînes, groupes et mutations du prestige

Dans de nombreux pays, notamment aux États-Unis, les hôtels de chaîne se sont implantés. Il s’agit là d’une sorte de modèle alternatif adapté à des hébergements modernes et diversifiés, les grands hôtels n’étant que partiellement concernés. Toujours est-il que l’inauguration de l’hôtel Hilton de l’avenue de Suffren, en 1966, se situe sur le terrain du luxe. Si les ouvertures qui suivent relèvent d’autres marques, elles renouvellent l’offre, y compris en termes d’architecture et en proposant des centaines de chambres, en relation avec l’essor du tourisme aérien international, avec le PLM Saint-Jacques (1972), le Concorde Lafayette, le Méridien de la porte Maillot, le Sheraton Montparnasse et le Sofitel Sèvres (1974) et le Nikko (1976). Plusieurs de ces vastes hôtels disposent de tables gastronomiques : Joël Robuchon, par exemple, obtient deux étoiles dans le restaurant de prestige du dernier établissement cité.

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Ill. 6. Hôtel Le Méridien Etoile de la porte Maillot (photo : Jean El Gammal, 2023)

Il est vrai qu’en termes de restauration, des grands hôtels de tradition, qui modernisent leurs équipements intérieurs, veillent aussi à la qualité de l’offre. Le Ritz, et dans une moindre mesure le Crillon, le George V, le Plaza Athénée et le Meurice retiennent l’attention. C’est surtout au tournant du siècle que s’opère une « course aux étoiles » qui correspond à une sorte de contre-offensive gastronomique de plusieurs palaces, avec les chefs renommés tels Yannick Alléno, éric Frechon ou Alain Ducasse, qui ont parfois la responsabilité de plusieurs restaurants au sein ou à l’extérieur du même établissement.

En outre, progressivement, les pouvoirs publics entendent promouvoir le luxe hôtelier en mettant en place, à partir de 2010, un label destiné aux palaces, au-delà donc de la catégorie supérieure des « cinq étoiles » (qui ne concernent pas, rappelons-le, la gastronomie). Parmi les douze palaces parisiens au sens officiel, on trouve certes des hôtels implantés de longue date, tels le Meurice, le Plaza Athénée, le Lutetia – seul représentant de la rive gauche), le Crillon, le Bristol, le George V et le Royal Monceau. La plupart, du reste, relèvent à présent de groupes implantés à l’étranger.

Du reste, certains palaces reconnus comme tels sont de création récente et appartiennent à des chaînes de luxe dont ils portent le nom : il en va ainsi du Park Hyatt (2002), du Shangri-La, ancien hôtel particulier du prince Roland Bonaparte (2011), du Mandarin Oriental (2011) et du Peninsula (2014). Ce dernier a ouvert en 2014 avenue Kléber à la place d’un centre de conférences international, lui-même issu de la transformation en 1936 de l’hôtel Majestic. Le palace parisien le plus récent figurant sur la liste actuelle est la Réserve (2016), avenue Gabriel, dont le chef Jérôme Banctel a obtenu sa troisième étoile en 2024. Bien évidemment, il existe d’autres hôtels de grand luxe à Paris, qu’il est d’usage de qualifier de palaces, tels le Ritz ou les récents Bulgari et Cheval Blanc, ouverts en 2021.

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Ill. 7. Photographie de l’hôtel du prince Roland Bonaparte avant sa transformation, 1896 (don de l’abbé Alphonse Bourzeix, le 26 juin 1896, Gallica)

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Ill. 8. Shangri-La Paris (photo : Jean El Gammal, 2022)

Au-delà de l’appellation à la fois traditionnelle et remise à l’honneur, il convient d’ajouter que les grands hôtels d’apparat peuvent être en partie concurrencés par des établissements de plus petite taille et de caractère moins solennel, même si la clientèle des « boutiques-hôtels » ou d’hôtels particuliers transformés est en partie différente. On peut citer, par exemple, l’hôtel Costes (1995), le Brach (2018) ou Madame Rêve (2021, dans l’ancienne poste de la rue du Louvre, ainsi que le Saint-James, qui avait abrité la fondation Thiers et figure parmi les « 3 clefs » de la liste d’hébergements sélectionnés à l’échelle internationale par le Guide Michelin depuis 2024, les palaces « officiels » obtenant la même distinction ou en ayant deux.

Dans le cadre de la capitale française, les grands hôtels font souvent figure de lieux de mémoire. Des hôtels classés « monuments historiques », tels le Lutetia, le Plaza Athénée ou le Crillon, constituent des pôles connus, non seulement pour leur riche clientèle ou ses héritiers, mais pour les familiers des beaux quartiers. Ils demeurent pour beaucoup associés, par la date de leur ouverture ou leur style, par les brèves mais intenses phases d’inaugurations de la « Belle Époque » et de la seconde moitié des années 1920. Bien plus proches, voire actuelles, sont les inaugurations récentes, parfois dans des bâtiments anciens. Parfois critiqués pour leur solennité ou leur caractère formel, les grands hôtels cherchent néanmoins à offrir à leur clientèle un service très personnalisé et sans doute un peu moins protocolaire qu’il ne l’était. L’ensemble demeure évidemment très coûteux, particulièrement pour les suites. La hiérarchie existe non seulement à l’échelle du personnel, mais en un sens pour les chambres elles-mêmes. Il est vrai qu’il ne s’agit pas d’une spécificité parisienne.

Jean EL GAMMAL

Bibliographie

  • El Gammal, Jean, 2025, « Grands Hôtels », Publictionnaire-Dictionnaire encyclopédique et critique des publics, https://publictionnaire-huma-num.fr.
  • El Gammal, Jean, 2024, Les Grands Hôtels à l’épreuve du temps 19e-21e siècle, Nancy, Éditions de l’université de Lorraine.
  • Gay, Jean-Christophe, 2024, « Hôtel », Encyclopédie scientifique du tourisme et des loisirs, https://gisetudestouristiques.fr>encyclopedie.
  • Sabbah, Catherine et Namias, Olivier (dir.), 2019, Hotel Métropole-Depuis 2018, Paris, Pavillon de l’Arsenal.
  • Tessier, Alexandre, 2012, Le Grand Hôtel-l’invention du luxe hôtelier 1862-1972, Rennes-Tours, Presses universitaires de Rennes- Presses universitaires François-Rabelais.
  • Tissot, Laurent, 2023, « Ritz, César et Marie-Louise », Encyclopédie scientifique du tourisme et des loisirs, https://gisetudestouristiques.fr>encyclopedie.
  • Vajda Joanne, 2015, Paris Ville Lumière. Une transformation urbaine et sociale (1855-1937), Paris, L’Harmattan, coll. « Histoire de Paris ».