Ritz César et Marie-Louise

Beaucoup d’auteurs affublent César Ritz (1850-1918) du titre de « roi des hôteliers et d’hôtelier des rois ». La formule n’est pas usurpée tant César Ritz a modelé l’hôtellerie dite de luxe à son point le plus raffiné. Les obstacles n’ont toutefois pas manqué dans ce qui apparaît comme une véritable ascension sociale et professionnelle. De sa naissance dans un petit village paysan en Suisse à la création des hôtels Ritz dans les grandes villes d’Europe et d’Amérique du Nord, César Ritz suit une trajectoire caractérisée par de multiples expériences dans la restauration puis l’hôtellerie. Il s’assure un réseau de personnalités de marque qui l’aident à sa reconnaissance dans le milieu. Mais son mariage avec Marie-Louise Beck (1867-1961) en 1888 et son partenariat avec le chef-cuisinier Auguste Escoffier marquent un tournant et le propulse au sommet de la profession.

Une enfance dans les montagnes

Qui si ce n’est César Ritz peut mieux prétendre être assimilé à un « self-made man » ? Né dans une famille paysanne d’un village de deux cents habitants, Niederwald, niché dans le haut de la vallée de Conches dans le canton du Valais où l’on parle couramment le haut-valaisan, un dialecte germanique difficilement compréhensible, César Ritz est le dernier fils d’une fratrie de 13 frères et sœurs. Son enfance est celle qui est réservée par des familles aux existences modestes et dures où vaches et chèvres servent de compagnie dans les champs et prés environnants. Pas à l’aise dans l’acquisition de nouvelles langues qu’à l’école, il est placé à l’âge de 14 ans comme apprenti sommelier à Brigue sans beaucoup de succès puisqu’il se retrouve apprenti serrurier chez un artisan avant d’occuper un poste d’intendant et de sacristain dans un collège de jésuites à Sion, capitale du canton du Valais. L’histoire aurait pu s’arrêter là ou Ritz tout au moins aurait-il pu mener une carrière loin des fastes qu’il va connaître par la suite (Illustration 1).

Ill. 1. En route pour une prestigieuse carrière.
Le monument de César Ritz dans le village de Niederwald qui le voit naître le 23 février 1850 est inauguré pour célébrer le centenaire de sa mort. Sa dépouille ainsi que celle de Marie-Louise et de leur fils René ont été transférées au cimetière du village en 1961. https://www.rtn.ch/rtn/Actualite/Suisse/Niederwald-VS-marque-le-centenaire-de-la-mort-de-Cesar-Ritz.html (consulté le 10 mars 2023).

Peu d’école, mais beaucoup d’expériences

En a-t-il assez de cette vie morne ? L’idée d’œuvrer dans la restauration ne le quitte pas. Avec l’ouverture de l’Exposition universelle de Paris, la recherche de personnel dans les restaurants le pousse, à 17 ans, à tenter la grande aventure. Sommelier, garçon d’étage, maître d’hôtel dans différents établissements parisiens puis viennois, il fait son ‘grand tour’ que tout employé dans le secteur de la restauration s’impose. L’apprentissage par l’expérience n’est pas dissociable de l’itinérance. Les contrats suivent les saisons et les lieux selon les places à disposition.
Passer de la restauration à l’hôtellerie n’a rien d’étonnant dans un contexte où les deux activités sont très liées. Ses qualifications lui ouvrent les portes de la direction d’un hôtel à Menton puis d’établissements prestigieux à Nice, Locarno, San Remo, Lucerne, Paris, Enghien-les-Bains, Monte-Carlo. Ces affectations suivent un schéma qui marque la géographie du tourisme au 19ème siècle. Pour la clientèle, le choix des destinations se base sur une condition : éviter la chaleur, on passe par conséquent l’été en montagne et l’hiver au bord de la mer. César Ritz ne fait que s’adapter à ces goûts. Les raisons à cette soudaine promotion seraient à rechercher, selon son biographe Claude Roulet, dans les contacts qu’il noue avec des personnalités fréquentant ces établissements, notamment le prince de Galles, futur Edouard VII. La qualité du réseautage joue à plein et César Ritz semble s’en délecter à souhait et avec efficacité.
A force d’occuper les emplois subalternes, intermédiaires et supérieurs, l’ambition d’acquérir un autre statut en possédant en propre un établissement n’est pas non plus surprenante. L’acquisition de l’Hôtel des Roches Noires à Trouville-sur-Mer, en Normandie, résulte d’une collaboration avec un collègue. Mais l’expérience se termine en eau de boudin et le force à revenir au statut de ‘saisonnier’ qu’il occupait auparavant.

Un heureux mariage et des certitudes stratégiques

Faut-il voir dans son union avec Marie-Louise Beck en 1888 la clé à son envol définitif vers les hautes sphères de l’hôtellerie ? Peut-être. D’origine alsacienne, Marie-Louise est fille d’hôtelier et nièce de propriétaire d’hôtels. Elle permet non seulement à son mari de remettre le pied à l’étrier mais elle prend une part active aux affaires. César n’est rien sans l’apport de Marie-Louise.

Ill. 2. César et Marie-Louise Ritz en 1888. https://commons.wikimedia.org/wiki/File:C%C3%A9sar_und_Marie-Louise_Ritz_1888.jpg – domaine public.

Une certitude stratégique qui annonce le succès des expériences futures s’ajoute à l’esprit entrepreneurial du couple. En prenant la direction du Grand Hôtel de Monte-Carlo, César Ritz s’attache les services d’Auguste Escoffier, un cuisinier à la réputation bien établie. Ce duo marque l’avènement d’un système qui fonde l’hôtellerie de luxe, soit l’alliance indéfectible d’hébergement hors norme où les derniers cris de la technologie alimentent décorum et fonctionnement de l’établissement ainsi que d’une cuisine qui doit prendre rang dans les hauts lieux de la gastronomie. Un hôtel de classe supérieure telle que César Ritz veut promouvoir ne peut être dissocié d’une attention constante à l’innovation qui est le fondement du luxe. Être au service du client ou de la cliente, c’est être à sa disposition jour et nuit, répondre à tous ses goûts même les plus farfelus tout en anticipant ses désirs. C’est l’éblouir aussi à souhait. Cette vision de l’hôtellerie très créative ne sera réellement mise en place qu’avec la création en 1898 du premier hôtel qui porte son nom, l’hôtel Ritz, place Vendôme à Paris. Entretemps, plusieurs événements entachent la réputation de César, un licenciement en bonne et due forme de l’Hôtel Savoy à Londres qu’il a dirigé entre 1889 et 1898. Accusé par le propriétaire d’avoir profité de sa position pour s’enrichir illégalement, César quitte Londres de même qu’Auguste accusé lui de s’être corrompu. Ce qui ne l’empêche pas d’inaugurer l’hôtel de Paris, inauguration suivie de bien d’autres : Londres, Madrid, Le Caire, Johannesburg, Montréal, New York.

Ill. 3. Un exemple parmi d’autres: l’hôtel Ritz de Londres inauguré en 1906. Un lieu où défilent têtes couronnées, personnages politiques et vedettes de cinéma. https://www.lesechos.fr/industrie-services/mode-luxe/le-ritz-la-legende-dun-hotel-londonien-charge-dhistoire-1185245 (consulté le 10 mars 2023).

Loin de devenir l’unique propriétaire de ces établissements, César Ritz adopte une formule qui lui évite de supporter d’éventuels déboires avec seulement la prise d’une part du capital, la gestion restant celle qui est adoptée dans les autres établissements. Le nom Ritz devient synonyme de l’hôtellerie de luxe dans sa définition la plus étroite. La constitution d’un véritable empire s’arrime à l’engagement de plus en plus actif de Marie-Louise qui supplée peu à peu les surmenages, épuisements ou autres dépressions de César. La mort le rattrape finalement le 26 octobre 1918 quelques mois après celle de son second fils, René. Marie-Louise reprend les affaires et poursuit les activités avec son fils Charles. Les hôtels sont cédés au fil des ans. Le dernier en date, le Ritz de Paris, est vendu en 1976 à l’homme d’affaires égyptien Mohamed Al-Fayed. En souvenir de son époux, Marie-Louise créé, en 1929, une fondation qui vient en aide aux jeunes de Niederwald durant leur formation. Elle publie aussi un ouvrage en 1938 César Ritz, host to the world [Philadelphia, New York J.B. Lippincott Company].

Laurent Tissot

Bibliographie

  • Claude Roulet, Claude Roulet, Ritz : une histoire plus belle que la légende, Quai Voltaire, 1998.