Club Med

Club Méditerranée: une utopie réalisée?

Ce texte est la version actualisée de la notice publiée dans le Dictionnaire culturel du sport, sous la direction de Jean Saint-Martin et Michaël Attali, Armand Colin, Paris, 2010.

En 1935, les Ours Blancs (équipe de water-polo composés de Russes blancs) avec à leur tête Dimitri Philippoff, organisent un camp de vacances à Calvi. Cette première expérience inspire leurs amis nageurs et poloïstes (Paul Morihien, Gérard Blitz, Tony Hatot, Mario Lewis). Membres de l’équipe de water-polo du Racing Club de France durant la Seconde Guerre mondiale, ils créent avec leurs proches des clubs de vacances (1949), le Club Olympique (1950), les Villages Magiques et le Club Méditerranée. Il s’agit d’associer des activités sportives, des animations avec le transport, l’hébergement et la restauration dans une formule «tout inclus», un village. Avec ces clubs, les promoteurs vendent en quelque sorte leur mode de vie. Ils n’appartiennent pas à la bourgeoisie traditionnelle. Leurs familles ont récemment fait fortune. Plusieurs sont d’origine étrangère (Russes, Belges, Arméniens, etc.). Ils développent très tôt une forme de cosmopolitisme à travers les compétitions de natation. Pour la plupart, ils ont arrêté leurs études très tôt. La formule qu’ils proposent séduit un public qui est souvent assimilé à une nouvelle petite bourgeoisie et une bourgeoisie urbaine. Leurs clubs s’apparentent à un «bricolage réussi» dans la mesure où ils rencontrent les aspirations de catégories sociales montantes (diplômées et cultivées) et participent au renouvellement des loisirs. Ils produisent ainsi un îlot d’auto-promotion sociale et reconvertissent leurs ressources sportives. Pour le plus célèbre d’entre ces clubs, Gérard Blitz, son fondateur, voulait un nom qui exprime à la fois la lumière, l’eau et l’air: la Méditerranée symbolise pour lui ces éléments naturels. Il demande à Tony Hatot de déposer les statuts de l’association «Club Méditerranée» en préfecture au début de l’année 1950. Tous les deux sont des champions de natation, mais Blitz étant Belge, il ne peut pas être officiellement le président de l’association. 2 300 vacanciers se retrouvent à Alcudia aux Baléares le premier été.

Mettre à portée de ces nouveaux vacanciers des sports «de riche» comme le ski nautique participe de l’avant-gardisme des premières années. Les sports nautiques y sont très présents: natation et water-polo bien sûr, mais très rapidement aussi la plongée sous-marine, le ski nautique et la voile. En 1954, Gilbert Trigano rejoint le Club Méditerranée en tant que trésorier. En 1956, l’association fusionne avec les Villages Magiques soutenus par le magazine Elle. Dès 1957, avec déjà 22 000 clients, des Gentils Membres, le Club Méditerranée se transforme en Société anonyme à capital variable. Les décennies 1960-1970 marquent le passage d’une structure associative, animée par des amateurs qui souhaitent avant tout profiter de leur mode de vie, à une multinationale implantée dans de nombreux pays et dirigée avec des méthodes de management moderne. En 1963, Edmond de Rotschild devient l’actionnaire majoritaire de ce qui est maintenant une Société anonyme. En 1966, l’entreprise est cotée à la Bourse de Paris et compte 110 900 clients ; quatre ans plus tard, en 1970, le Club rachète son principal concurrent le Club Européen du Tourisme (CET). La réussite économique s’accompagne d’une image qui diffuse des valeurs bien au-delà de la seule clientèle de l’entreprise. L’hédonisme, l’abondance ou encore le souci de soi sont en adéquation avec certaines aspirations post-soixante-huitardes. Si des années 1950 aux années 1960, le Club a développé ses activités de loisirs sportifs (sports nautiques, volley-ball, tennis, équitation), les années 1970 marquent la fin de cet avant-gardisme. Par exemple, vers 1975, l’entreprise ne fait pas partie des premiers à proposer la planche à voile à ses clients. Si elle offre un large choix d’activités sportives et de loisirs, elle ne représente plus vraiment un prescripteur de goût. À la même époque, le Club devient aussi le symbole de la société de consommation. À ce titre, il est dénoncé. Il devient aussi célèbre, à ses dépens, à travers la caricature qu’en font la troupe du Splendid dans Les Bronzés, film de Patrice Leconte, sorti en 1978 qui participent à structurer les représentations à son égard: Gentils Organisateurs peu subtils, clients ridicules, etc. Dans les années 1980, l’entreprise poursuit pourtant son expansion mondiale en s’implantant aux États-Unis, puis en Asie; On l’appelle alors le Club Med.

On passe d’une phase artisanale à une industrialisation. À la même époque, les hôtels clubs émergent: ils proposent le même type de formule. Les offres de tourisme sportif se multiplient. La concurrence s’accroît. Toutefois, le développement stagne; les quelques 1 230 000 clients atteints en 1993 correspondent à une apogée suivie d’un déclin. En 1997, Serge Trigano, fils de Gilbert Trigano, nommé PDG en 1993, est remplacé par Philippe Bourguignon. Ce dernier met en place une politique de diversification des activités afin d’attirer une nouvelle clientèle. Le Club Méditerranée devient une société de services: Club Med World (restauration, spectacles), Club Med Gym ou encore Club Med Découverte sont créés. «Oyyo», un village de toile «bas de gamme» qui s’adresse aux jeunes, symbolise cette volonté d’élargir vers une clientèle moins fortunée. C’est un échec. En 2002, Henri Giscard d’Estaing prend la présidence du directoire. La stratégie de «montée en gamme» mise en place vise à réduire le nombre de villages, à améliorer la qualité des prestations en se recentrant sur une clientèle fortunée tout en négligeant les conditions de travail des employés. Celle-ci, de fait, représente la part la plus fidèle au Club depuis plusieurs décennies, permettant en 2019 d’atteindre 1,5 million clients. La crise de la COVID-19 a affecté son modèle très international, fondé sur une «mondialisation heureuse».

Bertrand Réau

Bibliographie

  • Raymond Henri, 1960,  «Recherches sur un village de vacances», Revue française de sociologie, I, p. 323-333. En ligne.
  • Laurent Alain, Libérer les vacances ?, Seuil, 1973.
  • Interview de R. Guinot et M. Joachim. par L. Charles et J. Defrance, janvier 1985, «Quand une philosophie engendre une technique », Culture Technique,  n° 13, p. 87-91.
  • Réau Bertrand, «S’inventer un autre monde: Le Club Méditerranée et la genèse des clubs de vacances en France (1930-1950)», Actes de la recherche en sciences sociales, n°170 décembre 2007, pp. 66-88.
  • Raynouard Yves et Peyre Christiane, Histoire et légendes du Club Méditerranée, Le Seuil, 1971.