Sport et tourisme
Si la présence du sport dans le tourisme est omniprésent dans notre civilisation actuelle, ce phénomène date de l’antiquité, quand les Jeux olympiques attiraient en Grèce des concurrents et des spectateurs de tous les peuples de méditerranée. De nos jours, que ce soit sous la forme d’événements festifs et médiatisés ou comme activités de loisir, il est communément admis que les pratiques sportives évoluent dans leurs formes à l’image de la société dans laquelle elles se développent: éducation physique, activités compétitives, pratiques de santé… (Defrance,1976; Pociello, 1983; Loirand, 2006; Rennesson, 2006). Ce travail explore l’émergence et le développement des activités physiques et sportives liées au secteur du tourisme.
Le rapprochement du sport et du tourisme
Au cours des quarante dernières années, le sport se transforme en pratique de loisir. Il s’est affranchi de ses tutelles éducatives et culturelles pour s’émanciper de ses pouvoirs traditionnels et, sous sa forme ludique, devenir un produit de consommation et se rapprocher du secteur du tourisme. Avec l’entrée dans les années 2000 le phénomène s’accentue pour atteindre 11 millions de courts séjours (un à trois jours), 8 millions de longs séjours (plus de trois jours); représentant une totalité de 20 millions de séjours, soit plus de 66 millions de nuitées (Pigeassou, 2002). Ces chiffres concernent le territoire national. C’est un corollaire du temps des vacances qui occupe désormais une place importante de la vie et où l’on y voit apparaître l’attente d’une valeur ajoutée parfois liée à une pratique physique. La nature de la demande touristique, auparavant liée à une certaine oisiveté semble se transformer en une attente d’une offre de consommation plus «active».
Le tourisme en permanente recherche de nouveaux marchés, trouve une extension naturelle vers les sports, économiquement porteurs de valeur ajoutée. Les managers du tourisme semblent miser sur l’opportunité de la «sportivisation» de la société, pour développer, dynamiser ou revitaliser un secteur à la recherche d’opportunités de marché. Aujourd’hui, l’imbrication des activités physiques et du tourisme donne l’appellation de tourisme sportif:
«Le tourisme sportif est né d’une part de l’extension du sport aux activités de loisirs sportifs et d’autre part, de la nécessité du tourisme de développer des produits complémentaires aux services de base du tourisme»
(Pigeassou, 2002).
C’est une demande de consommation aux contours encore indéfinis que les organisations tentent de capter en jouant sur les symboliques sociales et de santé du sport qui intègre un choix d’offres touristiques élargies.
L’expression émergente de «tourisme sportif», ne semble pas totalement pertinente dans la mesure où l’engagement des touristes ne revêt pas l’intensité que vivent les sportifs. Son émergence est relativement récente et ne peut réellement se prévaloir d’une tradition comme celle des pratiques sportives. Au sein de la littérature spécialisée, essentiellement anglophone, il faut attendre les années 80 pour trouver un article traitant de ce sujet spécifique (Glyptis, 1982). On pourrait toutefois remarquer que, de longue date, le sport est intimement lié au tourisme. L’expansion du tennis, du yachting, du polo et des sports d’hiver dans les Alpes et sur la Côte d’Azur a suivi celle des touristes (Maccario et Gastaud, 2020). Mais cette forme de tourisme reste un espace morcelé:
«Les organismes qui offrent des loisirs sportifs à des clients ne sont pas organisés en réseau, sauf parfois sectoriellement pour des raisons commerciales. On ne peut donc pas parler d’univers des loisirs sportifs dans lequel un ensemble de valeurs seraient communes aux organisateurs et aux pratiquants»
(Chifflet, 2000)
À la suite de Chifflet qui évoque les loisirs sportifs, le concept de pratiques ludo-sportives cerne mieux la réalité des pratiques des touristes pour lesquels l’engagement du corps exclut la compétition institutionnelle, à l’exception de certaines formes situées aux limites entre les deux mondes comme des trails ou certains marathons au sein desquels se mêlent amateurs et professionnels. En effet, l’engagement du corps en situation touristique n’implique pas les mêmes concentration et intensité.
Le développement des différentes formes de tourisme liées au sport
Pour présenter l’ensemble des formes de tourisme en lien avec le sport, nous parcourons les différents essais de définition. Ils témoignent de l’évolution des travaux qui œuvrent à rapprocher le sport et le tourisme depuis plus d’une vingtaine d’années. Si la définition générale du concept valorise «le rapport aux formes de déplacement et de participation» (Gibson, 2002), une typologie s’est construite pour embrasser l’ensemble des formes de tourisme qui permettent d’assister à un spectacle compétitif, de pratiquer une activité physique ou encore de visiter un patrimoine sportif (Gibson, 2002).
Nous pouvons tenter un premier rapprochement des différentes formes de tourisme sportif avec la typologie des quatre corps du touriste (Coëffé et al., 2016):
- Le tourisme centré sur le repos du corps et la farniente semble rapprocher du formes ludiques du sport. Cette forme de tourisme sportif cible l’utilisation des attractions sportives. Les musées sportifs, les congrès, les conférences sportives, les exhibitions, les démonstrations sportives, les parcs sportifs, les zones d’activités aquatiques et de rafting, les golfs, les pistes de ski, les stades, les patinoires…
- Le tourisme du corps métamorphosé peut se rapprocher du tourisme de spectacle sportif. Il concerne les déplacements qui permettent d’assister à des rencontres compétitives. Cette forme de tourisme est essentiellement liée au sport de haut niveau dans un cadre national et international.
- Le tourisme du corps engagé qui permet un rapprochement avec les activités physiques à risque. On y classe l’ensemble des voyages de tourisme permettant d’exercer une pratique engagée: randonnée, trekking, safari, marathon, cyclisme, escalade, excursions, expéditions.
- Le tourisme de coprésence se rapproche des pratiques collectives. On y trouve les séjours dans les centres, les stations ou les camps de loisirs ou d’entraînement sportif. Les activités peuvent être aussi diverses que la pêche, la chasse, le ski, le tennis ou les camps d’entraînement pour des sports comme le football, le basket, le volley-ball. La participation à des évènements de dimension régionale, nationale ou internationale: tout ce qui concerne les déplacements orientés vers les rencontres sportives entrent dans cette catégorie et s’insèrent dans la sociabilité.
Nous pouvons également dresser une seconde classification qui s’appuie sur «le type des prestations fournies et la façon dont ces services se présentent aux consommateurs» (Pigeassou, 1997):
- Les offres intégrées qui associent l’ensemble des prestations dans une ou un nombre limité de formules, dont le prototype est le tout-compris. On rangera dans cette catégorie les agences et les voyagistes qui promeuvent des séjours (UCPA, Club Med…), le tourisme d’aventure, la participation à des évènements sportifs…
- Les offres associées proposant à la clientèle captive une gamme de services sportifs plus ou moins étoffée, dont l’usage est personnalisé et dont le coût se rajoute aux prestations de base. Ces services sont rarement internalisés aux structures touristiques et se composent d’organismes indépendants, parfois rassemblés dans une aire déterminée et qui participent à la dynamique touristique.
- Les offres de diversification qui sont des services sportifs disponibles au sein d’un même espace touristique. Ils ont pour objectif de promouvoir les potentialités d’un espace et d’établir une image sportive et ludique d’une zone, relayé par les différentes organisations en charge du tourisme local, départemental ou régional.
Enfin, une troisième typologie peut s’opérée par ligne de produits. «La typologie regroupe les produits par leur ligne générique» (AFIT, 2000):
- Une ligne de produits liée à la mer: comprenant la plage, le bain, la voile de plaisance, les activités de nautisme et la thalassothérapie.
- Une ligne de produits liée aux activités de pleine nature: regroupant les activités d’eau-vive, la randonnée pédestre, le tourisme équestre, les activités du cyclisme sur route et sur tout terrain et les sports d’escalade.
- Une ligne de produits spécifiques à la montagne enneigée: associant le ski alpin et le ski de fond avec les activités de randonnées en raquettes et de chiens de traîneaux.
- Une ligne de produits résiduels hétérogènes: portant sur le golf, les sports aériens, les parcs de loisirs et les activités de la forme.
Le développement incomplet de l’offre de tourisme associée au sport
Nombre de travaux s’accordent à dire que si l’offre s’insère dans le contexte général des vacances et son développement n’épouse pas vraiment celui du tourisme. Les pratiques sportives restent souvent une offre d’accompagnement et de diversification. Différents rapports soulignent le rôle de l’offre sportive dans l’attractivité des destinations. «Le sport ne représenterait pas réellement un gisement de marché, mais il revêt une dimension stratégique pour certaines offres touristiques en recherche d’attractivité et de dynamisation de leur activité traditionnelle, à l’image des destinations du haut pays azuréen qui se mettent au goût du jour en cherchant à y développer des activités physiques de pleine nature (eaux-vives, via ferrata…)» (Origet du Cluzeau, 2002). Ainsi, ce type d’offre sportive s’inscrit dans un contexte favorable au développement de son intégration au sein du marché du tourisme. La tendance à la généralisation des départs en vacances apparaît bénéfique au tourisme ludosportif et l’augmentation du niveau de vie représente également un facteur de progression du secteur. Si ces informations laissent entrevoir de réelles possibilités de développement pour le tourisme ludosportif, dans les faits, il présente une structuration limitée et un développement parcellaire.
On constate bien l’apparition d’un volet sportif dans l’offre touristique, conséquence des évolutions sociales d’une population à la recherche d’activités de loisirs où priment la convivialité, l’autonomie, l’esthétique et les préoccupations de forme et de santé. Mais si le couplage des sports et du tourisme existe bien depuis une vingtaine d’années, la structuration professionnelle du secteur n’est pas d’une lecture évidente (Glyptis, 1982). Alors que le taux de départ en vacances en France est proche de 60 % depuis une vingtaine d’années (Daudey, 2016) et que celui des pratiques sportives atteint 68 % (Muller, 2023); ce contexte, qui semble a priori porteur de croissance pour les services sportifs, ne l’est que modérément dans la réalité (figure 1).
Si un nombre croissant de petites structures de loisirs sportifs apparaissent, elles présentent de nombreuses insuffisances en matière de service. De très petites entreprises, techniquement peu équipées, composent l’essentiel du secteur et dévoilent la déficience d’une logistique d’accueil et de service aux clients. En France, la réponse à la demande de consommation ludosportive réside dans une offre qui n’est pas véritablement structurée. La dimension professionnelle semble difficilement s’imposer. Le constat présente une offre partielle, limitée à certaines aires géographiques, parfois incohérente et fortement déficitaire en matière de services marchands. Le secteur d’activités apparaît composé d’un tissu économique de petites entreprises au mode de gestion privilégiant essentiellement les réalités quotidiennes et les contraintes de terrain. Ces petites structures fonctionnent avec une vision patrimoniale et une gestion à court terme (figure n°2).
Il y a là pour les professionnels de cette branche d’activités, une nouvelle façon de travailler, en posant les problèmes, en les analysant, en cherchant des solutions qui s’intègrent au fonctionnement de l’organisation. Dans la réalité, la mise en œuvre des évolutions permettant de s’adapter à l’actualité économique est défaillante. Les solutions organisationnelles du tourisme ludosportif ne s’inspirent pas de l’expérience conséquente de l’industrie touristique. La stratégie de la majorité des entreprises de loisirs sportifs se compose seulement de quelques points d’amélioration du quotidien. Cette situation se matérialise dans la récurrence des propos recueillis lors d’entretien avec des professionnels du secteur: Le club de plongée s’équipe de nouvelles bouteilles plus légères, le centre d’escalade installe de nouvelles voies pour varier les difficultés, l’école de ski équipe ses moniteurs d’une tenue au «design» plus actuel… Ce sont pour l’essentiel des actions qui restent ponctuelles. Il semble que la visée managériale reste l’apanage des grandes organisations qui se développent par stratégies, projets et plans d’actions. Les petites structures, condamnées à réaliser des actions au coup par coup, passent à côté du développement professionnel de leur offre de service. Au sein de ces structures, les préoccupations quotidiennes s’imposent et provoquent un mode de fonctionnement à dominante empirique sans capitalisation de l’expérience ni recul par rapport au quotidien. Dans ce contexte et aux vues des enseignements extraits des tendances du secteur touristique, adopter un management visant à la labélisation du service par une certaine standardisation de la qualité du travail fourni, la recherche systématique de gain de productivité et le travail sur projet se présente encore quelque peu à contre-courant. Le secteur des entreprises de loisirs sportifs exerce bien dans un marché en croissance qualitative et quantitative, mais il semble encore simplement passer à côté de son développement.
Bibliographie
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