Saisonniers/Saisonnières
Sur les littoraux l’été ou dans les stations de montagne en hiver, les métiers de service dans le domaine du tourisme sont majoritairement caractérisés par des contrats de travail à durée déterminée (CDD), excédant rarement trois à quatre mois entre mai et septembre en période estivale et entre décembre et mars en période hivernale (Guibert, 2023).
Une situation juridique spécifique
Les saisonnières et saisonniers de l’économie touristique occupent en France des fonctions professionnelles pendant les périodes de fortes fréquentations touristiques. Ils répondent ainsi à l’accroissement de la demande en périodes estivales et hivernales et contractant des contrats des travail de plus ou moins courte durée. La rotation de main-d’œuvre et le renouvellement important des employés a pour effet des problèmes de fidélisation des salariés. La forte proportion de contrats courts, d’emplois à temps partiel et les possibilités d’évolution restreintes ont pour conséquence l’abandon des plus diplômés au profit d’autres secteurs d’activité. Il en résulte que « le saisonnier est la figure emblématique du travailleur précaire » (Dethyre, 2007). Ce secteur d’activité singulier se caractérise par ailleurs par des contours juridiques poreux. Le contrat de travail d’un saisonnier se distingue d’un contrat en CDD selon le ministère du Travail : « Le travail saisonnier se caractérise par l’exécution de tâches normalement appelées à se répéter chaque année, à des dates à peu près fixes, en fonction du rythme des saisons (récolte, cueillette…) ou des modes de vie collectifs (tourisme…). Cette variation d’activité doit être indépendante de la volonté de l’employeur. » (Source : https://travail-emploi.gouv.fr/droit-du-travail/les-contrats-de-travail/article/le-travail-saisonnier ; article L.1242-12 du Code du travail).
Des emplois variés mais peu qualifiés
Si les tâches et fonctions sont variées au sein de ce secteur professionnel éminemment pluriel (Guibert et Réau, 2023). Elles ne nécessitent pas de haut niveau de qualification et les rémunérations sont hétérogènes (du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) à plus du double du SMIC). Les saisonnières et saisonniers peuvent être embauchés dans la restauration en qualité de serveur, de plongeur, etc. ; dans l’hôtellerie en qualité d’agent d’accueil, de personnel d’entretien, etc. ; dans le domaine des services de loisirs en qualité d’agent d’accueil, d’animateur, de moniteur sportif diplômé d’État, etc. Ils peuvent également occuper des fonctions de surveillant de baignade, de « skiman », de vendeur dans les échoppes et autres magasins dans les destinations, etc. De l’étudiant en « job d’été » au salarié pluriactif qui cumule depuis de nombreuses années les saisons estivales de manière alternée avec les saisons hivernales, du « jeune en insertion » à l’autochtone profitant durant une ou deux saisons de la manne économique locale, les profils (âge, sexe, diplômes et qualifications, expériences professionnelles, trajectoires, etc.) sont pour le moins hétérogènes.
Difficile conciliation avec la vie privée
Dans le contexte français au sein duquel la contraction d’un emploi annualisé à temps plein en contrat à durée indéterminée (CDI) demeure « la forme normale et générale de la relation de travail » selon l’article L1221-2 du Code du travail, la question qui se pose est de savoir ce qui « fait tenir » ou non ces salariés spécifiques dont les occupations professionnelles se caractérisent par des contrats à durée déterminée, des conditions de travail parfois « pénibles », où « les heures ne se comptent pas », où « le rythme de travail est dense », selon les expressions de saisonniers interrogés sur les terrains d’enquête, notamment balnéaires (Guibert, 2023). Les effets de la structure de l’emploi touristique sur les conditions de vie, en particulier sur le plan familial lors de l’avancée en âge, ne sont pas non plus à délaisser. La « conciliation famille-emploi » (Périvier et Silvera, 2010) est parfois problématique : l’exigence de rentabilité économique des entreprises en saison, l’absence d’aménagement d’emploi du temps pour la garde d’enfant et des mesures des entreprises du secteur pour limiter les contraintes domestiques sont autant d’éléments qui se posent directement aux saisonniers. Décalé avec les temporalités « typiques » du travail, le contre-temps des saisonniers « les rend aussi décalés avec certaines temporalités de la vie familiale, où les week-ends, jours fériés et vacances scolaires peuvent être considérés comme des moments importants » (Guillaud, 2017). S’ajoute à ces problématiques celle, très sensible à chaque saison d’été ou d’hiver – sauf pour les « locaux » toutefois qui résident sur le territoire –, de l’hébergement des saisonnières et saisonniers dans des lieux touristiques où le prix du foncier et de la location de logement sont souvent très dispendieux. Des collectivités locales ou des entreprises (par exemple des campings) proposent néanmoins des solutions adaptées à ces travailleurs du tourisme sans qui l’économie et la dynamique touristique localisées ne serait pas aussi affirmée. À l’approche de saisons touristiques, au printemps dans les zones balnéaires et à l’automne dans les stations de montagne, les collectivités locales, notamment à l’échelle des Établissement public de coopération intercommunale (EPCI), proposent de multiples « forums de l’emploi » ou encore des « forums des jobs saisonniers ». Relayés ou co-organisés par les agences locales de France Travail et les Chambres de commerce et d’industrie (CCI), ces dispositifs attestent bien de l’intérêt porté à cette main d’œuvre pour les territoires concernés.
Entre passion et nécessité
Les conceptions de l’État social relatives à la solidarité et à la maîtrise de l’avenir consistant à anticiper des trajectoires de mobilité sociale s’adaptent donc difficilement aux caractéristiques du métier de saisonnier. Au contraire, être saisonnier, c’est, en termes d’organisation de la production, une « déstandardisation du travail » reposant sur une flexibilité des durées des contrats et des horaires, puis sur une variation des tâches, des lieux et des contextes professionnels. Les trajectoires deviennent erratiques, fragmentées, non linéaires et géographiquement mobiles. Pour autant, des saisonniers déclarent s’engager sur le mode de la « passion » tandis que d’autres le font davantage par nécessité. Loin d’un isolement supposé qui caractériserait ce type d’emploi, les amitiés retrouvées chaque saison sont aussi justificatives : des saisonniers déclarent en effet penser leur cercle professionnel telle une communauté où l’entre-soi prévaut. Les métiers de service, par le fait de travailler à contre-temps dans des lieux jugés « agréables », peuvent être perçus comme symboliquement profitables.
Il résulte de ces quelques développements que, malgré les conditions de travail, le « bonheur » (Baudelot et Gollac, 2003) qui fait tenir les saisonnières et les saisonniers de l’économie touristique balnéaire ne se situe pas dans les critères sociaux classiques (niveau de rémunération, statut d’emploi, temps de travail), mais dans des perceptions et des sens davantage subjectifs (sociabilité, reconnaissance et utilité, brouillage des frontières entre passion et travail, etc.).
Bibliographie
- Baudelot Christian et Gollac Michel, 2003, Travailler pour être heureux ? Le bonheur et le travail en France, Paris, Fayard, 348p.
- Dethyre Richard, 2007, Avec les saisonniers. Une expérience de transformation du travail dans le tourisme social, Paris, La Dispute, 250p.
- Guibert Christophe, 2023, « Le sens du travail. Être saisonnier l’été en station balnéaire », Téoros, Revue de recherche en tourisme, n°42-2, https://journals.openedition.org/teoros/12273
- Guibert Christophe et Réau Bertrand (dir.), 2023, Employment and Tourism. New Research Perspectives in the Social Sciences, Springer, Series SpringerBriefs in Sociology, 143p.
- Guillaud Etienne, 2017, « Faire face au contretemps pour faire son temps », Temporalités, n°25, http://journals.openedition.org/temporalites/3685.
- Périvier Hélène et Silvera Rachel, 2010, « Maudite conciliation », Travail, genre et sociétés, n°24, p. 25-27.