Chansons et tourisme
Même si, quantitativement, le tourisme n’est pas un thème majeur des chansons populaires francophones, ces dernières y puisent un champ d’inspiration. Le travail qui suit ne fait pas qu’utiliser les données de ce corpus inexploré. À partir de ce corpus émergent deux angles, ici pris en compte: la dimension politique du phénomène, l’importance des couples comme acteurs touristiques, réciproquement celle du tourisme comme acteur des dynamiques de couples. Ainsi, s’ouvrent quelques perspectives de ce qu’habiter en touriste peut signifier.
Aborder le tourisme comme manière d’habiter le Monde (Lazzarotti (dir.), 2018), c’est se demander comment un tel point de vue peut inviter soit à renouveler, autant que faire se peut, des lectures classiques de ce phénomène, soit en faire apparaître des nouvelles. Dans tous les cas, et compte tenu de la relative richesse des publications scientifiques sur le sujet, la tâche n’est pas aisée. Peut-être l’exploration de matériaux neufs peut-elle y aider. Tel est le double pari engagé dans le croisement du tourisme et des chansons populaires (Lazzarotti, 2021).
Tourisme et chansons, deux phénomènes «populaires»
Si la définition du tourisme est en cause, celle de chanson populaire ne l’est pas moins. Disons, de manière trop courte pour ne pas être approximative, qu’une chanson populaire est composée et écrite pour plaire au plus grand nombre. En ne retenant, sauf exception, que les chansons francophones, entre autres présentes sur les ressources désormais offertes par l’Internet, YouTube notamment, il a été possible de réunir au 31 mars 2023 près de 250 chansons dont les paroles traitent expressément de tourisme ou, tout du moins, de pratiques touristiques. On n’en retiendra ici que quelques-unes, les plus caractéristiques pour ce qui veut être montré. Reste à définir la valeur heuristique de ces chansons: en quoi peuvent-elles alimenter une réflexion géographique, toujours différente d’un travail d’historiens, de sociologues, d’anthropologues ou de philosophes, pour ne citer que les représentants des sciences sociales et humaines les plus courantes et présentes dans le champ?
Un réservoir d’expériences
Faites pour être vendues, les chansons populaires doivent être saisies immédiatement par des oreilles à l’occasion peu attentives. Cela passe par des mélodies relativement simples, avec peu d’intervalles entre les notes et des tonalités qui ne le sont pas moins. C’est qu’elles doivent pouvoir être mémorisées immédiatement et répétées, plus ou moins justement peu importe. En outre, les textes doivent être directement parlant, et ce, au plus grand nombre. Chacun et chacune peuvent ainsi s’y reconnaitre, s’y projeter, en rêver… Les paroles doivent faire signe et, pour cela, évoquer des expériences largement partagées. C’est la raison pour laquelle ces chansons racontent des histoires plutôt banales, le plus souvent dans le champ des lieux communs. Encore que chaque chanson –et c’est ici que se joue la grâce du parolier– aborde singulièrement le lieu commun. C’est pour cela que les chansons populaires présentent une palette de situations touristiques et constituent ainsi un réservoir d’expériences dont la somme décrit, au bout du compte, un panorama assez ample et diversifié.
Une visée performative
Les chansons ne sont pas que les images du moment. Prenons le scopitone de Il fait trop beau pour travailler, chanté et interprété par Les Parisiennes et l’ensemble très jazzy de Claude Bolling (1964, paroles de Franck Gérard, musique de Claude Bolling). Sur fond d’aéroport et de la Caravelle Le Poitou, il consiste en une véritable pédagogie du voyage en avion et des pratiques de l’embarquement. De ce point de vue, les chansons ne sont pas descriptives. Elles sont aussi performatives. Elles participent à la promotion du tourisme, en particulier parce que la période faste de la chanson francophone tient dans les années 1960 pour déborder vers les années 1970. Or, ces années correspondent à celles de la Seconde Révolution touristique, celle de la popularisation du phénomène et de sa diffusion à l’intérieur des frontières du pays. Bref, ce que pointent ces chansons est un phénomène non pas nouveau, mais nouvellement populaire, participant ainsi à en accélérer la diffusion. Cela étant dit, qu’apprend-on sur le tourisme à en écouter les chansons?
Écouter “Il fait trop beau pour travailler”
Le tourisme, une pratique politique
Souvent présenté, si ce n’est un temps méprisé, comme divertissement futile, le tourisme mérite pourtant, en particulier dans ces années, une lecture plus attentive, en particulier à sa dimension politique.
Militer pour la «nouvelle société»
Écoutons, par exemple, comment Henri Salvador, très présent sur le front de la chanson touristique, brocarde le travail avec Le travail, c’est la santé (1965, paroles de Maurice Pon, musique de Henri Salvador). Et même si le parolier de la chanson est un acharné de travail, cela ne l’empêche pas de porter une critique virulente contre ses apparents méfaits. Mais, au-delà, c’est tout un projet de société alternative qui est le cœur du propos, avec un Henri Salvador. Étant passé du rôle du bagnard à celui du touriste, il profite des joies du transat pour siroter quelque délicieuse boisson.
Écouter “le travail c’est la santé”
Écoutons encore comment Sheila s’en prend sans ambages aux maîtres du temps dans L’école est finie (1963, paroles de Jacques Hourdeaux et André Salvet, musique de Claude Carrère). Faisant le mur sitôt entendus les tintements d’une vieille cloche, très vite, on se retrouve le long d’un fleuve, –avec vue directe sur usines du reste–. L’endroit est idéal pour brûler livres et cahiers, –un classique dans les chansons de cette époque– et s’apprêter à prendre son autonomie dans le cadre d’un temps libéré selon la législation des vacances.
Écoutons toujours Sheila dans Papa t’es plus dans l’coup (1963, paroles de Jil, musique de Jan). Le décor du scopitone est on ne peut plus touristique, avec piscine et bungalows. Ici le visuel fait plus qu’illustrer les paroles. Il les met en perspective. Et ce pauvre Papa qui n’a rien compris à la vie moderne: le travail, c’est dépassé. L’honnêteté, ça ne fait plus recette, etc. La seule chose qui vaille, bien sûr, c’est l’amour. Et avec lui, toute une fraternité associée. On en parle comme du «copinage» (Morin, 1963). Et c’est Sheila, encore, qui en fait la description en même temps que l’apologie: Vous, les copains (1964, paroles de Claude Carrère, musique de Manfred Barry). Comme un cri de ralliement, la chanson affirme la solidarité entre tous. Cela n’est pas nouveau. La Révolution française en a fait un fondamental de sa devise.
Écouter “Papa t’es plus dans l’coup”
Un programme politique
En s’en prenant à ce qui avait pu constituer les «valeurs» fondamentales des Républiques précédentes, le travail, la famille et… l’école, ces chansons constituent les pièces d’un puzzle dont l’assemblage laisse planer peu de doute sur le projet d’ensemble: changer la société.
De fait, la Renault 4 L est l’une des grandes actrices de cette mobilisation. Celle que Sheila s’est vue offerte par la Régie répond au nom de Parisienne, tient donc. Beaucoup plus «Flower Power» est celle dont Michel Fugain se fait le promoteur: «Fais un tour en Renault 4», etc. (1973). Bref, en voiture automobile, en train ou en avion, la France touristique se mobilise. Et elle se mobilise avec le tourisme. Tout bouge donc. Les pratiques touristiques aussi, avec Sheila, toujours elle, dans son En maillot de bain (1968, paroles de Jacques Monty et Claude Carrère, musique de Georges Aber). Venues du modèle britannique, les pratiques des générations précédentes y sont raillées au profit de celles, renouvelées, où les plaisirs de la remise en forme tiennent le haut du pavé. Nouvelle société, nouveau tourisme? À moins que ce ne soit l’inverse…
Écouter “Fais un tour en Renault 4”
Faire du tourisme, être touriste, se référer au tourisme, ce n’est pas, –démonstration est faite ici pour cette époque–, une pratique hors société, hors du temps de soi et des autres, dans un ailleurs insignifiant. Faire du tourisme, c’est, de ce point de vue, militer pour une «nouvelle société» dont, finalement, le politique Jacques Chaban-Delmas fit la promesse en 1969 après que les révolutionnaires de mai 1968 en ont fait l’un de leur slogan… Dans tous les cas, les uns et les autres ont trouvé un «terrain social» prêt à entendre et intégrer leurs discours et idées. C’était parce que, dans un lent et, pour partie invisible mais pas inaudible travail de sape, les bases même de la société d’Après-Guerre avaient été subrepticement fragilisées par des chansons qui, sur fond de tourisme, ont œuvré à achever le temps un peu figé du Gaullisme.
Attention toutefois: le propos global n’est pas de dire que le tourisme est toujours, à ce point et de cette manière, associé à un processus de transformation des sociétés. La leçon de ces chansons est de souligner que le tourisme est toujours aussi une pratique politique ou, pour le dire autrement, que le tourisme a une portée politique, même si cette portée ne se reproduit pas de la même manière d’époques en époques et de lieux en lieux. Son rôle dans les constructions coloniales du XIXe siècle (Boujrouf et al., 1998) ou celui, plus actuel de la Chine-Monde, pour reprendre les études et les propos de Benjamin Taunay (2022) le confirment.
Cela dit et ainsi, Henri Salvador, Sheila ou Les Parisiennes, qui n’ont pas la réputation d’être des interprètes «engagés», sont donc bel et bien des chanteurs politisés. Et ce, d’autant plus peut-être, qu’ils pourraient passer pour ne pas l’être.
Les couples, acteurs du tourisme
Si les études sur les touristes les ont étudiés aussi bien individuellement qu’en groupe, plus rares sont les analyses qui portent sur une catégorie d’acteurs qui, elle, crève les tympans dans les chansons: les couples. À les entendre toutes, la grande affaire du tourisme, en effet, c’est l’amour. Dès lors, il ne s’agit pas seulement de constater que le tourisme et l’amour ont partie liée, du moins en chansons. Il faut aussi se demander ce que, à partir de ce qu’en disent les chansons, le tourisme fait aux couples… Et réciproquement. Sans penser faire le tour de la question, et reprenant des chansons et des réflexions déjà abordées (Lazzarotti, 2023), prenons quelques exemples.
Quand l’amour transfigure les lieux
Avec Les gondoles à Venise (1973, paroles de Michaële et Claude Carrère, musique de Lana et Paul Sébastien), la toujours présente Sheila, désormais accompagné de son mari, le très viril Ringo Willy Cat, chante l’amour fusionnel. Ses effets sur les lieux sont immédiats avec, en fond de teint, la critique de certains sites déjà bien fréquentés. Plus besoin de partir, donc, puisqu’ils s’aiment. Les lieux et les pratiques les plus quotidiennes sont transfigurés, touristiquement.
Écouter “Les gondoles à Venise”
En écho, Serge Reggiani procéde pour ainsi dire de la même manière. Et voici que Venise n’est pas en Italie (1977). Il suffit donc de s’aimer pour faire de n’importe quel lieu –et même un sinistre grenier– une Venise.
Écouter “Venise n’est pas en Italie”
Dans ces deux cas, le lieu, échafaudé comme lieu touristique, vient après l’amour, comme sa récompense, mais aussi sa preuve. Pour ne pas dire, ironiquement, son inutilité.
L’un vers l’autre
Cela ne vaut pas pour toutes et tous.
Une improbable rencontre
Avec Une belle histoire (1972, paroles de Pierre Delanoë, musique de Michel Fugain), Michel Fugain décrit une autre situation touristique. Quand l’un revient du Sud et rentre vers le Nord, l’autre, parti du Nord, va vers le Sud. Et ils se croisent sur une banale aire autoroutière, le dernier lieu où il semblerait possible que se noue une rencontre heureuse. C’est pourtant bien ce qui se passe. Dira-ton que, décidément, le tourisme déjoue les statistiques?
Deux analyses, parmi d’autres, viennent ici à l’esprit. La première est que le tourisme multiplie les opportunités de rencontres dans les lieux touristiques, y compris marginaux. La seconde est que ces rencontres peuvent bien être éphémères, elles n’en sont pas moins marquantes. Peut-être parce qu’elles pourraient bien être les premières.
L’attente amoureuse
Est-ce que tu viens pour les vacances? (1988, paroles de Didier Marouani, musique de Didier Barbelivien et Jean Vanloo) est une chanson beaucoup plus intéressante qu’il n’y parait. Notons d’abord que, pour être compréhensible, David et Jonathan font appel à un modèle touristique lié à la répétition des pratiques estivales, au fait que d’année en année et dans un même lieu, la société des touristes s’y retrouve. Pour autant, se reconstitue-t-elle à l’identique?
La chanson atteste que les expériences touristiques ne se limitent pas à la durée des vacances. D’une part, pendant celles-ci, elles participent à la formation des uns et des autres, –on se doute ici que les expériences amoureuses touristiques sont en partie du moins initiatiques–. De ce point de vue, les pratiques touristiques facilitent, par une relative levée des contraintes sociales, les expériences amoureuses. De l’autre, l’absence liée à la séparation pendant le reste de l’année en amplifie, peut-être, l’idéalité. Elle reste, en outre, bien présente dans la mémoire, l’attente et l’espérance de l’autre.
Écouter “Est-ce que tu viens pour les vacances ?”
L’un avec l’autre?
Et ce n’est pas tout, car le tourisme est aussi associé à certains moments, y compris décisifs, des couples.
Se trouver?
Dans Tes vacances avec moi (2004, paroles de Sonia Dierson, musique de Joël Grégoire), Sonia Dierson poursuit son projet amoureux en imaginant une stratégie d’aboutissement: inviter l’autre à partir en vacances avec elle. Ainsi, la promesse touristique sert, tout à la fois, de prétexte et d’appât. Et notre amoureuse se dit alors que, peut-être, après un essai concluant, l’affaire pourrait durer au-delà des vacances.
Écouter “Tes vacances avec moi”
Se retrouver?
Pierre Lalonde se place dans la situation de l’homme qui a trompé. Gaffe, se dit-il, mais un peu tard. Comment récupérer le coup? Eh bien qu’à cela ne tienne. Le temps des vacances (1963, paroles de Donald Lautrec, musique de Howard Greenfield) suggère une recette. Proposer à l’autre une remise à zéro de l’histoire par un nouveau départ. Il passe par une pratique touristique accompagnée, comme il se doit, d’une longue série de promesses: fidélité, exclusivité, etc. Et si une pratique touristique partagée était une bonne manière d’engager un travail de réconciliation et de lui donner plus de chances?
Écouter “Le temps des vacances”
L’un sans l’autre
Les couples peuvent aussi se séparer et le tourisme est alors l’une des manières de signifier à l’autre que l’histoire est bien finie.
Partir, seul
Fraîchement quitté dans la chanson Les grandes vacances (2005, paroles de Pascal Mathieu, musique de Florent Marchet), Florent Marchet cherche à dépasser sa peine. C’est la solution de faire une marche touristique qu’il retient, sans doute parce qu’elle semble la mieux propice à lui faire oublier la rupture. Mais c’est le contraire qui se passe, car chaque micro-événement, habituellement partagé, le renvoie à sa solitude. La chanson esquisse ainsi certaines limites du tourisme, et au-delà même. Se déplacer, y compris pour une activité choisie et ludique, ce n’est pas tout oublier. C’est aussi partir avec ses interrogations, doutes et regrets. Le pire, peut-être, serait de revenir avec.
Écouter “Les grandes vacances”
Êtres seuls
Un autre cas de solitude est présenté par Patricia Ferrari (1976), Il pleut sur mes vacances. Dans un lieu que l’on identifie assez vite comme une station balnéaire un peu désuète comme il pourrait y en avoir dans le sud de l’Angleterre, tout ce qui devrait faire joie se retourne contre la pauvre touriste qui n’y voit que le miroir grossissant de ses douleurs, en l’occurrence l’absence de l’autre. Dès lors, et bien que l’on ne sache rien du temps estival qu’il fait, sa météorologie intérieure est au mauvais fixe. Ici donc, la pratique touristique amplifie la souffrance, sans doute parce qu’il est plus difficile d’être seul dans des lieux où rayonne aussi le bonheur de tous ceux qui sont deux.
Écouter “Il pleut sur mes vacances”
Une déclinaison plus dynamique de cette situation est donnée par le Que c’est triste Venise de Charles Aznavour (1964, paroles de Françoise Dorin, musique de Charles Aznavour). La chanson raconte l’histoire un couple à Venise. La destination est commune pour tous ceux qui sont amoureux. Seulement, dans ce cas, rien ne se passe comme d’habitude. En effet, rien de ce qui fait normalement l’expérience vénitienne n’arrive à ce couple. Bref, le fait d’être à Venise le confronte à sa vérité intime, ils ne s’aiment plus. Une vérité que, peut-être, ils auraient bien aimé se taire un peu plus longtemps mais qui, ici, s’impose dans son éclatante crudité: le tourisme est toujours une épreuve pour les couples.
Écouter “Que c’est triste Venise”
Se quitter
Par Adieu jolie Candy (1969, paroles de Alain Boulbil et Michel Hursel, musique de Raymond Jeannot) en effet, Jean-François Mickael ne fait pas que raconter l’histoire d’une séparation, suggérant au passage que les amours touristiques ne dureraient pas plus longtemps que le tourisme lui-même. Dans cet aéroport, Orly en l’occurrence, la jeune touriste anglaise est tombée amoureuse du jeune français. Mais, si elle choisit de le quitter, ce n’est pas uniquement parce qu’arrive la fin de son séjour. En effet, c’est à la suite d’une assez mûre réflexion qu’elle le décide, mettant en balance les raisons qu’elle aurait de rester et celles qui la poussent à partir. Passons ici sur la modernité évoquée dans la chanson, celle des transports en particulier, pour retenir que l’expérience touristique de la jeune femme aura été, pour elle, l’occasion d’un choix essentiel, un choix d’habiter. Vivre son amour en France ou retourner poursuivre sa vie en Angleterre passe par une décision qui engage une bonne part de sa vie. L’intérêt de la chanson dépasse alors sa situation. Il est de montrer que le tourisme peut aussi être une épreuve impliquant des choix existentiels.
Ainsi le phénomène touristique est décrit comme un faiseur d’histoires: le thème croisé de la rencontre, de l’amour et, le cas échant, de la séparation font le miel des chansons parce qu’il est bel et bien l’un des temps forts de la vie amoureuse, pour ne pas dire de la vie tout court. On notera au passage que ces chansons populaires exposent des situations bien dans le champ dominant. Les couples sont équilibrés en âge et, dans la très grande majorité des cas, hétérosexuels. De ce point de vue-là, rien n’est dit qui pourrait déranger le public visé.
Le tourisme est ainsi le terme, un peu sourd mais pas anodin, de l’exaltation de ces grands moments de la dynamique des couples, amoureux ou non. Et cela souligne ceci: le tourisme est non seulement un opérateur émotionnel, mais il est un amplificateur de sentiments. Des heureux comme des malheureux. Bref, conformément à tout ce qui peut être tiré d’une réflexion avec l’habiter, les lieux touristiques sont un terme de ce cas particulier de cohabitation, la cohabitation à deux. Un terme qui ne fait pas mécaniquement l’amour, mais qui contribue, selon toutes les modalités possibles, à ses dynamiques, par formation, entretient ou dé–formation des couples. Alors même que, comme il est encore dit, les couples amoureux participent, réflexivement, à iriser d’une irremplaçable touche de désirs les lieux touristiques.
Habiter en touriste
En insistant sur le tourisme comme pratique politique flirtant, mais l’air de rien, sur quelques douces rives révolutionnaires, en éclairant, bien au-delà des situations vécues du reste, l’importance des couples sur les lieux touristiques, et réciproquement, le corpus des chansons donne à voir le tourisme sous ces angles un peu inhabituels.
En croisant ces données avec les réflexions sur l’habiter, elles alimentent l’idée que les relations de cohabitations passent par une dimension géographique et un peu comment elles le font. Le lieu et son moment sont toujours les termes des interrelations humaines qui elles-mêmes font de ces lieux non pas des décors, mais des enjeux. Si la norme, quand on est deux, est celle du modèle du couple amoureux, bonheur à ceux qui le sont, malheur à ceux qui ne le sont pas, ou plus. Et voilà bien quelques perspectives qu’une analyse du tourisme comme manière d’habiter le monde peut se donner comme projet de développer.
Bibliographie
- Boujrouf Said, Bruston Mireille, Duhamel Philippe, Knafou Rémy et Sacareau Isabelle, 1998, «Les conditions de la mise en tourisme de la haute montagne et ses effets sur le territoire. L’apport d’une comparaison entre le Haut-Atlas et le Népal mise en perspective à l’aide du précédent alpin (exemple du massif du Mont-Blanc)», Revue de Géographie Alpine, n° 1, T. 86, p. 67-82, https://doi.org/10.3406/rga.1998.2865
- Lazzarotti Olivier, 2023, «Un imaginaire sans images? Des touristes en (dés)amour», dans OpenEdition Journals, https://journals.openedition.org/viatourism/9783. [06 septembre 2023]
- Lazzarotti Olivier, 2021, Vivent les vacances. Tourisme et chansons. Septentrion, Coll. Sciences sociales, 216 p.
- Lazzarotti Olivier (dir.), 2018, «Habiter le Monde en touriste», Mondes du tourisme, dans OpenEdition Journals, http:// journals.openedition.org/tourisme/1484. [28 septembre 2018].
- Morin Edgar, 1963, «Salut les copains» dans Le Monde, 6 juillet 1963
- Taunay Benjamin, 2022, «Contrôler et normaliser l’habiter touristique. Enjeux pour la projection de la Chine dans le monde contemporain», Diplôme d’HDR soutenu en février 2022 à l’Université de Picardie-Jules-Verne, garant O. Lazzarotti, deux volumes, 291 et 553 p.