Cabine de bain
La cabine de bains accompagne l’évolution du bain, qui pouvait se pratiquer nu ou dans des tenues considérées par les contemporains comme peu appropriées encore au début du XIXe siècle en Europe. Elle devient progressivement l’élément indispensable dans l’équipement d’une station balnéaire dans le monde occidental.
Un élément historique d’une plage/d’une station balnéaire
La première fonction de la cabine de bain est de se changer à l’abri des regards indiscrets mais, à l’origine des bains de mer «modernes», à partir de la fin du XVIIe siècle, la cabine n’est pas encore créée. L’inflexion ludique n’apparaît véritablement qu’au XVIIIe siècle, et elle s’incarne dans un habitat temporaire de loisirs avec l’émergence d’objets précis tels que le chalet suisse en 1723, l’abri de haute montagne en 1762, le cabanon comme chalet de plage en 1867, ou encore la cabine de plage en 1886. On retrouve, dans les récits des écrivains français tels que Guy de Maupassant ou Gustave Flaubert, la présence de vieilles cabanes, de tentes bivouac ou de cabines de bain lors de leurs robinsonnades sur les bords de Seine (Raveneau et Sirost, 2016).
Faute de cabines, le baigneur, et plus particulièrement la baigneuse, doit s’adapter dans de nombreux endroits, parfois jusqu’au début du XXe siècle. Édouard Richer (1823: 635) n’aborde le sujet des bains aux environs de Piriac-sur-Mer que pour décrire la cavité rocheuse où se déshabillent les femmes. L’endroit présente un caractère bien informel, même si «on lui donne dans le pays le nom de Trou du moine fou» (Ill.1), probable conséquence de la vision des bains aux effets dévastateurs sur certains. Nous savons, par l’intermédiaire de G.Touchard-Lafosse (1844:373), que ce sont des dames du pays qui s’y baignent.

Ill. 1. Le Trou du moine fou, à Piriac-sur-Mer, photographié pour une carte postale des années 1970 (coll. privée)
La cabine de bain est souvent historiquement le premier bâtiment d’une station balnéaire au XIXe siècle, qui devient systématique quand survient l’obligation de devoir s’habiller pour le bain. En 1841, l’année suivant la réglementation des bains au Croisic, M. Le Barbier de Pradun, négociant, demande à construire vingt-cinq cabanes sur la côte de cette commune et près des baies destinées aux bains. Dans un premier temps toutefois, les cabines de bain servent autant aux touristes l’été qu’aux populations locales le reste de l’année. Ainsi, Simon Roguet, douanier de Préfailles, est autorisé en 1853 à construire «quatre petites loges, dans les rochers, au bord de la mer, pour servir à la commodité des baigneurs pendant l’été, et pouvant servir aux besoins pour abriter [les douaniers] contre les mauvais temps de l’hiver» (Vincent, 2011). À Argelès-sur-Mer, dans le dernier quart du XIXe siècle, des cabines de bain en bois sont implantées sur le sable et quelques autochtones, eux aussi installés eux aussi sur le sable dans des cabines de bois, commencent à vendre quelques boissons et sucreries aux promeneurs (Simon, 2008).
La cabine de bain –au début appelée cabane– est un élément majeur du paysage occidentalisé de la plage, indice de l’espace où la police a autorité grâce aux arrêtés des maires vigilants quant à la bonne réputation de leur commune. Sur certaines plages, le mélange des sexes est alors strictement prohibé, à l’image de l’Angleterre. Cette partition des plages cesse au milieu du XIXe siècle dans les stations balnéaires françaises.
Un élément emblématique d’une plage/d’une station balnéaire
La cabine de bain peut prendre plusieurs formes et être installée ailleurs que sur la plage: sur la dune, sur des terrains communaux ou privés à l’arrière (ce pourquoi nous utilisons l’expression «cabine de bain» et non «cabine de plage», ill.2).

Ill. 2. Aux abords de certaines plages, les cabines deviennent de véritables petites habitations. C’est le cas à Damgan (Morbihan), où elles sont installées sur un terrain communal au début du XXe siècle (coll. privée)
Il existe des cabines mobiles (originellement dénommées bathing machine), des cabines fixes temporaires (enlevées à chaque fin de saison balnéaire) et des cabines fixes permanentes.
La première bathing machine apparaît en Angleterre au début du XVIIIe siècle, semble-t-il du côté de Scarborough. Elle est mentionnée dans le journal de Nicholas Blundell en 1721 (Allen: 62). La bathing machine est placée sur une plateforme, généralement d’1,2 mètres sur 1,8 mètres, déplacée par un cheval afin d’amener le baigneur ou la baigneuse jusque dans l’eau, où la personne peut alors sortir se baigner, pour ensuite remonter dans la cabine et ainsi rester à l’abri des regards indiscrets. Bien qu’elles soient un équipement attendu d’une partie des touristes, le nombre limité de bathing machines entraîne leur marginalisation: Margate n’en a ainsi que 30 à 40 en 1793. Brighton n’en a pas encore en 1816. Mais le modèle se diffuse en Europe. La municipalité des Sables-d’Olonne se documente dans les années 1820 et lit avec intérêt la dépêche sur le sujet du consul de France à Londres, le baron Séguier:
«les machines à baigner de Weymonth n’ont rien qui les distingue de celles que l’on trouve dans presque tous les ports des côtes anglaises. Elles consistent dans une espèce de grande caisse carrée et longue, surmontée d’une toiture en bois placée sur quatre roues, avec une porte aux deux bouts pour monter et descendre, et deux petits escaliers portatifs. Un cheval s’attelle à cette chambre ambulante et la conduit dans l’eau à la hauteur requise» (Ill. 3).
La bathing-machine s’installe sur la plage des Sables-d’Olonne en 1830, et jusque dans les années 1950 (au XXe siècle avec des petites roues qui ne permettent plus à la cabine d’être déplacée dans la mer, comme pouvait le faire la vraie bathing-machine; Vincent, 2008). On en trouve aussi à Trouville-sur-Mer dans les années 1830 et jusqu’au début du XXe siècle, à Deauville, dans les stations balnéaires belges…

Ill. 3. Une cabine de bains mobile tirée hors de l’eau par un cheval (Agence Rol, 1911, coll. Bibliothèque nationale de France)
La majorité des autres stations balnéaires, en particulier sur les côtes atlantique et méditerranéenne, optent pour la cabine fixe.
La cabine fixe temporaire est d’une installation facilitée quand les autorisations d’occupation temporaire (AOT) du domaine public maritime est systématisée à partir du décret du 4 juillet 1853. Il faut toutefois attendre la loi de finances du 20 décembre 1872 pour que le principe de ces AOT cesse d’être contesté (Vincent, 2008). Au début du XXe siècle, notamment avec la popularisation du bronzage en Occident, les baigneurs optent pour une installation sur la plage toute la journée, autour de la cabine (Ill. 4).

Ill. 4. Construction d’un château de sable sur la plage de Knokke, à proximité de cabines de bains fixes (cl. Emile Henri t’Serstevens, coll. Royal Institute for Cultural Heritage, Belgium – CC BY-NC-SA). À l’arrière-plan, on devine des cabines de plage mobiles.
C’est la forme désormais la plus connue de la cabine de bain sur les plages du monde occidental, complétée par les tentes de plage. Construite avec quelques planches de bois, souvent un toit à double pente, elle est installée en début de saison, puis enlevée en fin de saison pour être entreposée. Désormais, ces cabines fixes temporaires sont souvent gérées par les collectivités ou les entreprises concessionnaires.
La cabine fixe, en dur, est généralement l’œuvre des établissements de bains de mer ou des municipalités. Ces éléments, parfois devenus des vestiges après la disparition de l’établissement qui les exploitaient, sont généralement les seuls qui ont été patrimonialisés sur la plage. Ainsi, à Deauville, les 250 cabines, formes pures du béton s’associant à la polychromie des mosaïques (Ill.5) qui remplacent en 1921 les vétustes cabines en bois, deviennent une des icônes de la station (Toulier, 2005).

Ill. 5. L’actrice Suzy Solidor et son chien en août 1925 devant une des cabines de bains de Deauville situées le long des Planches (Agence Rol, coll. Bibliothèque nationale de France). Cette photo nous permet de voir l’intérieur de la cabine.
Il s’agit de concilier deux types d’urbanisation, sur les dunes de manière définitive (théoriquement) avec les villas, et sur la plage de manière temporaire, avec les cabines. Pour plaire à l’Administration, et ainsi espérer prolonger leurs autorisations, certains concessionnaires sont vigilants quant à la qualité de leur matériel. Dès 1862, les époux Berteau précisent que les huit cabines de bain qu’ils ont fait construire pour les installer sur la plage de Port-Lin, au Croisic, «sont sur le modèle du jour, celui de l’établissement de bains du lieu, de M. Deslandes», un des plus importants établissements de bains de Loire-Atlantique à l’époque, et qui se situe sur la plage Saint-Goustan du Croisic. Les cabines de bain et les tentes servent de cachet pour la plage. Le guide «Les Petits trous pas chers» (Anonyme, 1903: 298) rappelle que «ce qui donne à la plage des Sables un aspect tout particulièrement original et charmant, ce sont les tentes de toutes les couleurs, de toute forme, de toute dimension qu’on y voit installées à foison sur toute sa longueur, parfois sur plusieurs rangs».
Du promontoire à la ligne de rivage
La cabine de bain, devenue le premier élément de l’urbanisation balnéaire, est l’objet d’un commerce actif, entraînant un dynamisme nouveau. Le modèle des cabines mobiles, à l’image des bathing-machines de l’Angleterre, se propage sur le littoral de la Manche et de la Mer du Nord mais il est marginal en Atlantique et en Méditerranée.
La cabine de bain est également un marché pour les menuisiers et les charpentiers, comme constructeur d’un nouvel objet, quand ils ne sont pas gérants des établissements de bains. Dans les années 1820, le consul de France à Londres, le baron Séguier, précise qu’il n’y a pas «un charpentier au village qui ne soit capable d’en faire une pareille». À La Bernerie-en-Retz, Alphonse Barathon, menuisier, gère un établissement de dix-neuf cabines en 1874, puis trente-six cabines et une buvette en bois l’année suivante. Ces artisans sont les interlocuteurs idéaux pour bénéficier de cabines de bains de bon rapport. Les demandes de la part de menuisiers se multiplient à Piriac-sur-Mer à partir de 1914: M. Mabot pour sept cabines en avril, M. Lethiec pour sept cabines et M. Lagré pour six cabines en mai. Les demandes de ces trois menuisiers locaux sont acceptées et, pour MM. Mabo et Lagré, prolongées pendant la période de guerre (Vincent, 2011).
La multiplication des cabines de bain pose le problème d’une trop forte anthropisation du site, comparable à l’urbanisation balnéaire. Les petites plages sont les plus exposées à cet écueil. Le conseil municipal de Noirmoutier émet en 1908 le vœu «que désormais le service des Ponts-et-Chaussées n’accorde plus de concession pour cabines de bains sur les deux extrémités de la Plage aux Dames. Les deux points de cette anse qui présente un caractère très artistique seraient complètement défigurés si l’on continuait dans cette voie». La plage de Noëveillard, à Pornic, est réaménagée en 1912, avec déplacement des cabines et nouvel emplacement d’un café (Ill. 6).

Ill. 6. La plage de Noëveillard avant son réaménagement, où les cabines de bains ont commencé à coloniser par terre-plein le domaine de la plage, tandis que des tentes rognent encore plus l’espace disponible (carte postale ayant voyagé en 1909, coll. privée)
Pour les propriétaires, la vue sur mer doit particulièrement être protégée car elle donne une grande plus-value à l’habitation. La disposition de cabines sur la plage peut donc créer certains conflits avec les propriétaires. En 1926, un propriétaire de villa à La Bernerie-en-Retz se plaint auprès de l’Administration de la gêne occasionnée par la construction d’une cabine à 15 centimètres de son mur de clôture. En 1927, face à une occupation toujours plus dense de la plage du Nau, le conseil municipal du Pouliguen délibère contre l’édification de toute construction susceptible de gêner la vue que les propriétaires ont sur la mer. La cabine de bains fait partie intégrante de la vie balnéaire mais sa gestion se heurte aux multiples intérêts qui régissent le destin d’une station balnéaire.
L’activité balnéaire est si rentable que, dès la sortie de la Seconde Guerre mondiale, les industriels en France réclament la location de la plage, jusqu’alors entravée par l’occupation allemande, pour y installer des cabines de bains. Durant la seconde moitié du XXe siècle, l’implantation des cabines de bains se propage, sous l’action de concessionnaires (Vincent, 2018) ou en lien avec les clubs de plage. Même des activités connexes exploitent au début du XXIe siècle cette architecture, comme ces bibliothèques de plage à ciel ouvert qui abritent leur collection dans des cabines, à l’image de Granville (Groleau, 2013). La cabine de bains, habitat récréatif et inventif (Raveneau et Sirost, 2011), est profondément enracinée dans l’imaginaire balnéaire occidental.
Bibliographie
- Allen Louise, 2016, The Georgian seaside. The English resort before the railway age. À compte d’auteur, 116 p.
- Anonyme, 1903, «Les petits trous pas chers»; Guide des familles aux bains de mer, plages de la Manche et de l’Océan. Paris, La Fare.
- Gay, De la propriété des rivages de la mer et autres dépendances du domaine public. Paris, Cotillon éditeur-libraire, 1870, 47 p.
- Groleau Brigitte, 2013, Sous les galets, la page: enquête de terrain sur les bibliothèques de plage en Seine-Maritime. Diplôme de conservateur de bibliothèque, Université de Lyon.
- Raveneau Gilles et Sirost Olivier, 2011, «De l’émergence des abris de loisirs aux formes contemporaines», dans Raveneau Gilles et Sirost Olivier (dir.), Anthropologie des abris de loisirs. Nanterre, Presses universitaires de Paris-Nanterre, p. 13-28.
- Richer Édouard, 1823, Voyage pittoresque dans le département de la Loire-Inférieure. Paris, Éd. du Palais royal.
- Simon Anthony, 2008, «Itinéraire d’une plage méditerranéenne: Argelès-sur-Mer», Géographie et culture. n°67, p. 113-124. En ligne
- Touchard-Lafosse Georges, 1844, La Loire historique, pittoresque et biographique. t IV, 3e partie, Tours/Nantes, Pornin et Cie/Suireau, p. 373.
- Toulier Bernard, 2005, «Architecture des loisirs en France dans les stations thermales et balnéaires (1840-1939)», dans Beck Robert et Madœuf Anna, Divertissements et loisirs dans les sociétés urbaines à l’époque moderne et contemporaine. Tours, Presses universitaires François-Rabelais, coll. «Perspectives historiques». En ligne
- Vincent Johan, 2007, L’intrusion balnéaire. Les populations littorales bretonnes et vendéennes, Rennes, PUR, coll. «Histoire». En ligne
- Vincent Johan, 2011, «Les cabines de bains: l’implantation des cabines de bain dans les stations balnéaires ligériennes», 303, Arts, Recherches, Créations. n°118 Hors-série Le temps des vacances, novembre, p. 118-129.
- Vincent Johan, 2018, «Touristes confrontés au recul des plages: l’exemple des cabines de bain à Saint-Gilles-Croix-de-Vie», Recherches vendéennes. n°23, p. 397-406.