Village type campement
Campements villageois intégrés
Les campements villageois intégrés, parfois aussi nommés campements ruraux intégrés, sont une forme d’hébergement touristique née au début des années 1970 au Sénégal, plus particulièrement en Basse-Casamance. Comme leur nom l’indique, les campements villageois sont conçus et gérés par les populations des villages concernés.
Éléments de définition
Les campements villageois intégrés sont des structures d’hébergements touristiques conçues et gérées par les populations villageoises et principalement présentes en Basse-Casamance (Sénégal). Administration et gestion sont opérées, respectivement, par un Conseil d’Administration et un Conseil de gestion. Le premier est constitué, a minima, d’un président, d’un trésorier et d’un secrétaire tandis que le second est généralement formé de l’ensemble des employés du campement (avec en tête une personne qui assure la gérance). Contrairement aux campements privés de la région, les décisions concernant le campement sont prises collégialement et surtout, les bénéfices doivent servir à la communauté locale. En ce sens, les campements villageois constituent une forme de tourisme communautaire, lequel est caractérisé par un modèle de gouvernance participative et l’utilisation des revenus générés par l’activité touristique au profit des communautés réceptives (Delisle, Jolin, 2007). Selon les cas, les bénéfices dégagés par le campement villageois peuvent contribuer à la création d’une nouvelle école ou d’une nouvelle classe, à restaurer la maternité, etc. Par ailleurs, les campements villageois visent à favoriser la rencontre entre les touristes et les populations locales. Ils sont fréquemment un lieu de rencontre pour les habitants qui y viennent pour discuter, boire un verre, regarder la télé, etc. Enfin, les campements sont généralement considérés comme permettant de préserver le patrimoine local, mobilisant une architecture dite « traditionnelle » (case à impluvium, case à étages, etc.) et utilisant des matériaux locaux.

Figure 1 : Carte de localisation de la Basse-Casamance, au Sénégal. Réalisation : Annie Ouellet, 2024

Figure 2 : Le campement d’Enampore (bâtiment principal), installé dans une case à impluvium. Vues extérieure et intérieure. (Cl. : Annie Ouellet, mars 2023)
L’ensemble des éléments ci-dessus constitue les fondements de ce qui définit un campement villageois intégré et est ainsi commun à tous les campements. Toutefois, le contexte géographique, l’accessibilité ou encore le niveau de confort sont, eux, très hétérogènes. Certains campements sont uniquement accessibles par une piste ou en pirogue (par exemple celui d’Affiniam), tandis que d’autres occupent une situation de carrefour (par exemple à Oussouye, situé sur la route reliant la station balnéaire de Cap Skirring à la capitale régionale, Ziguinchor). Aussi, dans certains villages particulièrement isolés, le campement constitue le seul hébergement touristique (par exemple à Coubalan, Affiniam, ou Fintiok) tandis que le campement Sitokoto de Kafountine n’en constitue qu’un parmi la quinzaine de structures touristiques existantes (parmi lesquelles des campements privés, des hôtels, etc.) Également, si le confort est réputé spartiate, là encore, l’hétérogénéité prévaut, entre des campements avec ventilateur et salle d’eau privée (avec eau chaude) et d’autres qui ne bénéficient d’aucune de ces commodités.

Figure 3 : Affiniam, un campement accessible uniquement par une piste ou en pirogue. À gauche : la piste (1,3 km) reliant le campement à l’embarcadère. À droite : une pirogue villageoise reliant Affiniam à Ziguinchor. (Cl. : Annie Ouellet, février 2022)
Origines et évolutions
L’origine de ces campements villageois (ou campements ruraux) intégrés remonte aux années 1970. Face au constat de la prédominance, en Afrique de l’Ouest, d’un tourisme balnéaire déconnecté de l’arrière-pays, l’Agence de Coopération Culturelle et Technique met en œuvre un projet de « tourisme de découverte » en 1971 (Masurier, 1998). Des circuits découvertes devaient être implantés dans quatre pays, soit au Bénin, au Mali, au Niger et au Sénégal. Néanmoins, le projet ne se concrétisera que dans ce dernier État. Aussi, ce projet de « tourisme de découverte », dont l’appellation sera rapidement remplacée par le « tourisme rural intégré », prendra essentiellement forme via la création de campements touristiques, les circuits ne fonctionnant que très ponctuellement. Il s’agissait alors d’inventer un modèle où les touristes seraient accueillis au sein des communautés villageoises (d’où le terme de tourisme « intégré ») par opposition au « tourisme enclavé » (Delisle, Jolin, 2007), alors prédominant dans la région.
Christian Saglio (conseiller technique au département du tourisme sénégalais) et Adama Goudiaby (directeur du centre artisanal de Ziguinchor), portent le projet et vont à la rencontre des habitants des communes basse-casamançaises pour leur présenter le projet et les convaincre de l’intérêt à créer un campement villageois. Si les premières rencontres s’avèrent infructueuses (entre autres à Carabane et Niomoune), les habitants d’Élinkine se montrent intéressés et seront donc les premiers à ouvrir un campement villageois intégré en 1973, lequel hébergera des premiers clients en 1974 (Saglio, 1979). A la fin des années 1970, une dizaine de campements sont en opération et ils attirent un nombre croissant de touristes, passant d’un peu plus de 6000 touristes en 1979 à plus de 20 000 en 1985 (Masurier, 1998).
Toutefois, leur développement est stoppé par le conflit opposant les rebelles indépendantistes du MFDC (Mouvement des Forces Démocratiques de Casamance) à l’armée sénégalaise. Le début du conflit remonte à 1982 lorsqu’une marche pacifique organisée à Ziguinchor par le MFDC est violemment réprimée par les forces de l’ordre, poussant une partie des indépendantistes à prendre les armes. Si le conflit est d’abord de faible intensité, on observe ensuite une recrudescence des affrontements au milieu des années 1990 (Bassene, 2015). Entre autres, la disparition de quatre touristes Français (dont les corps ne seront jamais retrouvés) en 1995 est un coup dur pour le secteur touristique, tandis que l’essentiel de la clientèle régionale est Européenne (Principaud, 2010).
Après une dizaine d’années de désertion de la région, les touristes commencent à revenir au milieu des années 2000, alors que la région retrouve un certain apaisement à la suite de la signature d’un accord de paix en 2004 (Marut, 2010). Néanmoins, le conflit n’a pas été sans conséquences pour les campements. Certains d’entre eux ont été détruits par les rebelles, tandis que d’autres ont été réquisitionnés par l’armée sénégalaise au plus fort de la crise. Même pour les campements qui n’ont pas été directement impactés par le conflit, cette période d’abandon a entraîné des états de délabrement important et des travaux de réfection majeure ont dû être menés dans la plupart d’entre eux.
Un réseau fédéré en expansion malgré une faible fréquentation
Actuellement, il existe douze campements villageois en Basse-Casamance. Néanmoins, l’affluence touristique qu’ont connus les campements dans les années 1980 semble aujourd’hui un lointain mirage. A titre d’exemple, le campement de Coubalan cumulait en 2019 (soit avant la pandémie de Covid-19) 274 nuitées, alors que ce nombre était de 939 en 1981 et 1175 en 1982. Celui d’Enampore cumulait 289 nuitées en 2018 et 236 en 2017, contre 1949 en 1982.

Figure 4 : Carte de localisation des campements villageois intégrés en Basse-Casamance. Réalisation : Annie Ouellet, 2024
Cette faible fréquentation peut s’expliquer par différents facteurs. D’une part, les campements villageois souffrent de la concurrence exercée par les campements privés, lesquels semblent plus à même de répondre aux besoins et attentes des clientèles actuelles. Ces derniers bénéficient souvent à la fois de moyens financiers et de compétences en matière de gestion touristique plus conséquents que les campements villageois (Ouellet, 2024). D’autre part, la Basse-Casamance est toujours le théâtre de combats sporadiques entre des rebelles et l’armée sénégalaise. La région souffre également de l’instabilité qu’a connue le Sénégal ces dernières années, laquelle a été marquée par les émeutes meurtrières de 2021 et 2023 (ibid.) Malgré ces difficultés, plusieurs villages ont entrepris les démarches auprès de la FECAV (Fédération des campements villageois de Casamance) pour créer leur structure d’accueil, démarche d’ailleurs encouragée par l’Office de tourisme régional.
Annie Ouellet
Bibliographie
- BASSENE René Capain (2015), Casamance. Récit d’un conflit oublié (1982-2014), Paris, L’Harmattan, coll. « Etudes africaines », 302p.
- DELISLE Marie-Andrée, JOLIN Louis (2007), Un autre tourisme est-il possible ? Éthique, acteurs, concepts, contraintes, bonnes pratiques, ressources, Québec, Presses de l’Université du Québec, coll. « Tourisme », 144p.
- MARUT Jean-Claude (2010), Le conflit de Casamance. Ce que disent les armes, Paris, Karthala, 420p.
- MASURIER Didier (1998), Hôtes et touristes au Sénégal : imaginaires et relations touristiques de l’exotisme, Paris, L’Harmattan, coll. « Tourismes et sociétés », 256p.
- OUELLET Annie (2024), « Tourisme rural intégré en Basse-Casamance (Sénégal). Survie d’un projet de développement touristique communautaire en contexte de crise(s) » Belgeo [En ligne], 1 | 2024, DOI : https://doi.org/10.4000/127hj
- PRINCIPAUD Jean-Philippe (2010), « De la difficulté de développer le tourisme solidaire en Afrique subsaharienne L’exemple (déjà ancien) du « tourisme rural intégré » en Basse-Casamance », Teoros, vol.29, n°1, pp.90-99
- SAGLIO Christian (1979), « Tourisme à la découverte : un projet au Sénégal, en Basse-Casamance », (de) KADT Emmanuel (dir.), Tourisme, passeport pour le développement ?, Paris, Economica, pp.316-330