Planches de Deauville

Les Planches de Deauville, célèbre promenade de la station balnéaire, sont caractéristiques de ces espaces où l’on voit (ici, la plage et les cabines de bains) et où l’on se donne à voir (en particulier par sa mode vestimentaire et par la présence de célébrités).

Un lieu emblématique de sociabilité de la station de Deauville

Deauville est pratiquement un archétype des stations balnéaires du 19e siècle. La morphologie de ces stations se distingue du centre ancien : en arrière de la promenade du front de mer, comme la Promenade des Anglais à Nice ou la Promenade des Planches à Deauville, la trame viaire est structurée en damier, en étoile, ou selon un modèle radioconcentrique. Le front de mer revêt donc une importance stratégique dans l’animation de la station touristique. Installées en 1923 sur plus de 600 mètres, les Planches de Deauville longent 250 cabines, formes pures du béton s’associant à la polychromie des mosaïques qui remplacent en 1921 les vétustes cabines en bois.

Dès leur installation, les Planches deviennent une des icônes de la station (Toulier, 2005), chemin piétonnier remplaçant symboliquement les piers que l’on trouve dans les stations anglaises et états-uniens (plus marginalement en France, comme à Nice jusqu’à la Seconde Guerre mondiale), ou les remblais automobiles qui commencent à coloniser les fronts balnéaires européens à l’époque. Avec les Années folles, la notoriété de la station balnéaire de Deauville devient internationale. Dans la pièce La comédie de Deauville, parue en 1929, et non sans critiques acerbes, « Deauville est une Mecque, moins son tapis, mais avec des planches en plus » ou, à un autre endroit de la pièce, « je ne sais plus qui ça fête, mais ça se passe sur les “planches” et il y a tout Paris. Tout Panam serait plus exact, car ne pensez pas que cette cohue bariolée et loquace soit de celle qui fréquente le Casino. » (Richter, 1929) Elles deviennent localement une étape incontournable de la journée touristique. Dans un article de L’Illustration daté du 24 août 1935, l’essayiste Robert de Beauplan dresse le programme : « Le matin sur les Planches ; de midi à deux heures à la Potinière ; l’après-midi au golf, au polo, aux courses ; le soir, au Casino pour le dîner aux Ambassadeurs, parfois au théâtre et puis dans la salle de jeu, autour des tables de chemin de fer et de baccara, jusqu’à l’heure où une aube fade faisait pâlir la factice lumière des lustres. »

Entrée de l'Encyclopédie "Planches de Deauville"

Illustration 1 : Photographie d’une élégante à Deauville sur les planches sous le regard des passants, par l’Agence Rol, années 1920 (coll. BNF)

Les Planches forment un long trottoir d’un bois exotique capable de supporter les intempéries et l’humidité sans en pâtir (actuellement du bois d’azobé imputrescible). Les sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot (1994 : 76-77) font l’analogie avec les promenades urbaines élégantes qui se déroulent au bois de Boulogne ou sur les Champs-Élysées. Grâce à cet équipement, les personnes élégantes – et les autres – peuvent marcher en bord de mer sans crainte de « salir » ou d’abîmer leur tenue.

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Illustration 2 : Photographie de personnes élégantes dans les années 1920, avec les cabines en arrière-plan (coll. BNF)

Si les Planches demeurent un lieu du spectacle dans la seconde moitié du 20e siècle, le public évolue : les familles s’y promènent en plus grand nombre, ce qui concurrence l’usage qu’en faisaient les groupes sociaux préalablement établis. Le changement dans les rythmes des loisirs, en particulier avec la démocratisation des brefs séjours à la mer, amène des personnes moins fortunées sur les Planches de Deauville. Trois établissements commerciaux (deux bars et un restaurant) y constituent des haltes.

Un espace patrimonialisé et transformé en « Walk of Fame » à la française

En parallèle, dans cette seconde moitié du 20e siècle, les Planches deviennent un objet culturel. Le film de Claude Lelouch, Un homme et une femme, Grand Prix du Festival de Cannes et Oscar du meilleur film étranger, les popularise en 1966 (Knafou, 2012 : 101-117), et le Festival du cinéma américain (1975) permet en septembre de prolonger la saison touristique et d’étendre la renommée du lieu.

À partir de 1987, la Ville ajoute une nouvelle fonction à cet espace en faisant inscrire les noms des acteurs, actrices, réalisateurs et réalisatrices sur les lices des cabines qui bordent la promenade. Chaque édition du festival du cinéma américain est l’occasion de réactiver l’imaginaire du lieu, en le transformant en un « Walk of Fame du Hollywood Boulevard » à la française… Cette nouvelle fonction est désormais visible dans d’autres sites touristiques, souvent balnéaires, plus précisément sur le front de mer ou à proximité, comme le Walk of Fame des Sables d’Olonne (sur le remblai, en lien avec le Vendée Globe), la promenade Lungomare à Opatija (empreintes de Croates célèbres), le mur du Corso Dante Alighieri à Alassio (en Italie)…

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Illustration 3 : Les lices des cabines et les planches le long de la plage de Deauville (cl. Johan Vincent)

Les Planches, inscrites au titre des monuments historiques en 2019, participent ainsi à la forte reconnaissance culturelle internationale de la station balnéaire (Blumrodt et Palmer, 2014 : 1602).

Voir également : Deauville (histoire de)

Johan VINCENT

Bibliographie

  • Blumrodt Jens et Palmer Adrian, 2014, « On-line destination branding: an investigation into the divergence between brand goals and on-line implementation », The Journal of applied business research. vol. 30, n°6, novembre-décembre, p. 1597-1605.
  • Knafou Rémy (sous la dir. de), 2012, Les lieux du voyage, Paris, Le Cavalier bleu.
  • Pinçon Michel et Pinçon-Charlot Monique, « L’aristocratie et la bourgeoisie au bord de la mer : la dynamique urbaine de Deauville », Genèses. n°16, juin 1994, p. 69-93.
  • Richter Charles de, 1929, La comédie de Deauville. Paris, Éditions Le Calame.
  • Toulier Bernard, 2005, « Architecture des loisirs en France dans les stations thermales et balnéaires (1840-1939) », dans Beck Robert et Madœuf Anna, Divertissements et loisirs dans les sociétés urbaines à l’époque moderne et contemporaine. Tours, Presses universitaires François-Rabelais, coll. « Perspectives historiques », en ligne https://doi.org/10.4000/books.pufr.637.