Mémoire et tourisme
« Tourisme de Mémoire » est une expression couramment utilisée aujourd’hui, habituellement associée au tourisme de conflits, mais qui recouvre pourtant une grande variété de pratiques touristiques et, surtout, masque la complexité des liens entre mémoire et tourisme. Des chercheurs de disciplines très différentes ont abordé l’étude de ces formes de tourisme prenant diverses appellations. Précisons que ces formes entretiennent notamment un lien très fort avec le pèlerinage, mais également avec le tourisme que l’on qualifie de sombre ou obscur, en anglais dark tourism, (formes de tourisme entourant la mort et la souffrance – le tourisme de guerre se réfère, lui, à l’attraction des visiteurs pour des zones en conflit au moment de la visite).
La question centrale posée est de savoir si le fait de se déplacer jusqu’à un site de mémoire constitue une forme de tourisme. En fait, il nous semble plus juste de dire qu’il existe des tourismes de mémoires.
L’expression « Tourisme de Mémoire » a été utilisée à partir du début des années 2000 en France, à la suite du rapprochement des Secrétariats d’État au Tourisme et aux Anciens Combattants, dans une volonté commune de transmettre aux générations récentes la mémoire des guerres mondiales du 20e siècle. Pourtant, les champs de bataille de la Grande Guerre (14-18) sont visités dès la fin du conflit. Le tourisme sur les lieux des combats et le développement des monuments aux morts ont ainsi permis aux acteurs de transformer leur expérience de la guerre en moment de l’histoire (Hertzog, 2012). Généralement, le « tourisme de mémoire » est donc associé aux guerres ainsi qu’aux lieux de batailles et de massacres. Le Ministère des Armées (secrétariat général pour l’administration) répertorie 10 Hauts lieux de mémoire (du feu) en France, qui représentent plusieurs générations de combattants : la première guerre mondiale, la deuxième, les guerres de décolonisation et les OpEx (opérations extérieures) auxquels on ajoute 275 nécropoles nationales.
https://www.defense.gouv.fr/sga/memoire-culture-patrimoines/memoire
La démarche des secrétariats d’état entendait « inciter le public à explorer des éléments du patrimoine mis en valeur pour y puiser l’enrichissement civique et culturel que procure la référence au passé ». Quatre principaux objectifs ont été mis en avant : témoigner des événements du passé/expliquer et mettre en perspective ces événements/contribuer à la réflexion des générations futures/favoriser le développement économique des territoires. Les retombées de ce tourisme sont estimées par Cheminsdememoire.gouv.fr – site administré par la DMPA, Direction de la Mémoire, du Patrimoine et des Archives au Ministère de la Défense – à 6 millions de visiteurs en 2010, avec un chiffre d’affaires direct évalué à 45 millions euros et plus de 1000 emplois.
Des exemples de hauts lieux de mémoire nationale
Cette forme de tourisme a été considérée comme étant directement en lien avec l’histoire et présentée comme un processus : d’un tourisme de souvenir (c’est le temps du recueillement, de la commémoration qui draine un public de pèlerins), elle évolue vers un tourisme de mémoire (c’est le temps de l’explication, de la pédagogie qui s’adresse particulièrement à un public scolaire) puis devient un tourisme d’histoire (c’est le temps de l’information, de l’élargissement des thématiques, on touche alors des publics diversifiés). Anne Hertzog parle d’ailleurs de l’émergence d’une « nouvelle catégorie de tourisme culturel », qui connaît une institutionnalisation et un développement en tant que filière économique depuis le début des années 2000 (Hertzog, 2012). Elle souligne également la diversité croissante des acteurs impliqués dans des politiques mémorielles et touristiques, ainsi que les modalités, non dénuées de tensions, concurrences ou conflits, de coopérations entre ces acteurs.
De multiples mémoires traumatiques
Inclut-on, dans ce tourisme, les mémoires des esclavages, des exils – politique, économique ou religieux – d’une industrie disparue ? Faut-il intégrer la mémoire individuelle et collective avec ses éléments symboliques et ses éléments immatériels ? Faut-il également intégrer les populations à cette construction ? De fait, la mise en tourisme des mémoires donne lieu à une grande diversité de propositions et types de sites historiques mais aussi d’édifices commémoratifs, bâtis après et indépendamment de l’évènement (musées et mémoriaux). Néanmoins, sont toujours présentes des questions éthiques de fond. Ces tourismes mobilisent un registre de la violence, des conflits et des guerres, en cherchant à le rendre au moins intéressant, si ce n’est « séduisant » ou « désirable », en positivant l’héritage de la guerre, en l’orientant vers un message à caractère universaliste sur la paix (Hertzog, 2013). De plus, ces tourismes de mémoire renversent, en filigrane, les représentations négatives et légitiment l’utilisation de mémoires douloureuses comme levier de développement territorial (Cousin, 2018).
Du point de vue du touriste, la motivation au déplacement touristique peut inclure, ou pas, une séquence de tourisme mémoriel. Ce dernier est-il alors voulu, choisi, ou est-il rencontré (par opportunité) sur le lieu d’un voyage de tourisme d’agrément ? comment concilier la volonté de découverte liée au déplacement touristique et l’attrait pour une mémoire, le plus souvent traumatique ? Notons d’ailleurs que le thème « tourisme de mémoire » n’est pratiquement pas proposé en tant que but de voyage par les agences, tours opérateurs ou dans les réservations d’hébergements. On le trouve plutôt proposé comme une activité complémentaire possible, parmi les possibilités du tourisme culturel. Selon les raisons de son déplacement, la perception du visiteur sera influencée. Si la raison principale du tourisme est la détente ou la découverte (par exemple : découverte de la Lorraine), les visites intégreront une ou des sessions culturelles (visites de Nancy ou Metz, festival, gastronomie…) et, potentiellement, une séquence spécifique dédiée au tourisme de mémoire (citadelle de Verdun, cimetières et ossuaire de Douaumont). Mais la perspective est toute autre si le tourisme de mémoire est le but du déplacement (« je vais visiter Verdun parce que mon grand-père s’y est battu – puis je découvre la Lorraine »), l’expérience vécue également.
Le projet Forêt d’exception à Verdun
Il est donc fondamental de comprendre que la clé d’entrée réside dans les visiteurs : que viennent-ils voir, découvrir ou chercher ? Or les « visiteurs » sont multiples : touristes, excursionnistes (visiteurs d’une journée), promeneurs locaux (habitants), résidents secondaires, étudiants… tous sont « visiteurs » à l’entrée sur un site et pourtant ils le pratiquent de manière différenciée et lui attribuent chacun un sens différent. On ne peut d’ailleurs déclarer qu’une population serait plus légitime qu’une autre. En arrière-plan, du point de vue de l’industrie touristique, se pose la question de la rentabilité du site, quand, du point de vue de ses promoteurs, c’est un devoir de mémoire qui s’impose, ou qu’il constitue, pour les pouvoirs publics, une « nouvelle catégorie de la promotion touristique (…) afin de thématiser le tourisme sur certains territoires dans l’objectif de singulariser les destinations » (Chareyron, Cousin, Jacquot, 2018).
Comment proposer aux touristes un site (intelligible pour tout visiteur extérieur) appuyé sur une mémoire (éventuellement locale, souvent traumatique) et que cela se traduise par, non seulement, des retombées économiques, mais également par la reconnaissance de cette mémoire, éventuellement sa transmission ? L’affirmation de mémoire étant aussi affirmation d’identité, il est difficile parfois de créer la rencontre avec cet Autre qui est venu en touriste. Ainsi, « Tourisme de Mémoire » ne nous semble pas désigner une catégorie d’objets homogènes, mais ne nous semble pas non plus une catégorie opérationnelle pour observer les diverses réalités touristiques de sites appuyés sur les mémoires.
« La situation d’expérience du visiteur constitue la clef de compréhension du site mémoriel. Or les sites touristiques intègrent et s’appuient sur une matière première mémorielle qui fait tout autant leur qualité que leur fragilité. »
La matière mémorielle mise en tourisme: une matière mouvante appuyée sur le patrimoine
La mémoire mise en jeu touristiquement apparait centrale : a-t-elle des ramifications internationales, nationales ou locales ? Qui est concerné par cette mémoire ? car c’est bien la résonance de cette mémoire qui peut créer le déplacement touristique. Il faut noter d’ailleurs que le vécu de chacun créé un tourisme de mémoire : par l’exil, une diaspora ou une recherche généalogique, ou encore la fin d’une culture ancestrale, d’une activité (l’industrie minière par exemple). La matière première de ces tourismes relève en fait des « Lieux de mémoire » tels que les définit Pierre Nora, c’est-à-dire des lieux autant réels, incarnés, comme des éléments de patrimoine, que symboliques (Nora, 1997). Leur fonction est mémorielle et non historique, ces lieux s’appuient sur une mémoire vive qui les distingue des lieux d’histoire. Et ces lieux de mémoire, agissent, comme l’a suggéré Pierre Nora, comme des sites qui abritent des souvenirs fonctionnels pour maintenir le lien d’un groupe avec son passé (Nora, 1992 et 1997). Or, pour les personnes extérieures au groupe, la mémoire convoquée demeure un objet extérieur si elle n’est pas expliquée, notamment par une médiation et/ou une mise en tourisme. Il faut alors que les éléments que l’on souhaite intégrer à ces tourismes « fassent réellement sens pour certaines catégories de population, qu’ils participent à leur identité profonde » (Rieutort, Spindler, 2015). Pour cela, est mobilisé le patrimoine, cet « héritage du passé dont nous profitons aujourd’hui et que nous transmettons aux générations à venir » (Unesco.org ), valeurs que l’on retrouve dans les tourismes de mémoire.
Des liens peuvent être tissés entre histoire, patrimoine et mémoire. Par exemple, la ville de La Rochelle a créé « Les Chemins vers le Québec ». La Rochelle a été un des ports de départs des migrants pour aller travailler ou pour s’établir au Québec. L’office de tourisme a créé un itinéraire touristique (inauguré en 2015) de 15 lieux emblématiques de cette mémoire dans la ville de La Rochelle. Le touriste québécois y trouve une expérience mémorielle quand le visiteur peut y voir une approche de l’histoire de la ville. La valorisation de lieux où ont vécu des personnages célèbres, largement répandue, établit un lien avec la mémoire personnelle du touriste et ses goûts autour des « Maisons » d’illustres, de Cézanne à Aix, de Berlioz à la Côte Saint André… Le berceau de certaines industries anciennes ou disparues se trouve également à la croisée de l’histoire et de la mémoire à travers le témoignage des anciennes générations : la tradition du chantier naval à Saint-Nazaire, les mines dans Nord de France… Toutes ces propositions touristiques peuvent être organisées et sont fondées sur une demande de découverte et d’expériences. Les opérateurs touristiques ne sont d’ailleurs pas isolés dans la mise en tourisme de sites mémoriels : interventions des collectivités territoriales, implications des habitants et des visiteurs dont le vécu les relie au site. Les motivations à la mise en tourisme peuvent être diverses, voire contradictoires.
Plusieurs types de tourismes sont apparentés aux tourismes de mémoires
Les tourismes liés à la mémoire personnelle peuvent être assimilés aux tourismes de mémoires. Le tourisme des racines désigne ainsi la circulation touristique des individus issus de la primo-migration, ou de la migration, qui essayent de se rapprocher d’un lieu d’origine (mythique ou non, mythifié ou pas) de façon physique provisoire. Le lieu visité est fondamental et, donc, son accessibilité très importante (des Américains traversent l’océan Atlantique pour venir visiter l’Irlande). Le lieu sert, dans ce cas, de support matériel à la fixation du souvenir et l’industrie touristique peut proposer circuit découverte ou séjour d’immersion. Proche de cette démarche, le tourisme affinitaire désigne le retour du touriste sur les lieux de ses ancêtres. Les pratiques touristiques constituent alors des repères identitaires dont les objectifs sont la quête de « repaysement » et la reconnexion avec des lieux qui sont un héritage culturel. Le retour peut se dérouler dans les lieux de vacances où s’est passée l’enfance, le visiteur est attaché aux paysages et à la continuité familiale (reprise des maisons familiales ou investissement dans des maisons secondaires). Lié à celui-ci, le tourisme intergénérationnel, pratiqué par des seniors surtout, vise la transmission interpersonnelle, notamment culturelle : histoire, langue, pratiques culinaires… et donc la transmission de patrimoines (matériels et immatériels), le partage des expériences, le rapprochement entre les générations. Cet objectif influence les activités pratiquées et le choix des destinations. Ensuite, plus proches d’un tourisme culturel, on trouve les formes de tourismes historiques : tourisme de prison, de champs de bataille ou de guerres, visite de cimetières, tourisme du patrimoine esclavagiste et tourisme de génocide ou de camp de concentration, ces derniers en lien avec le tourisme sombre. Il faut remarquer à ce sujet que, dans une étude sur les motivations des touristes qui visitent Auschwitz-Birkenau, Biran et ses co-auteurs (Biran et al., 2011) affirment que la plupart des touristes qui visitent des sites sombres le font pour des raisons très éthiques. Ils identifient quatre catégories de motivations :
- Le voir pour le croire
- L’apprentissage et la compréhension
- L’attrait de morts célèbres
- L’expérience émotive patrimoniale
La grande majorité des touristes se rendent sur un site de tourisme de mémoire pour des raisons éducatives et commémoratives et non pour satisfaire une quelconque curiosité morbide. Souvent le recueil et le deuil accompagnent la commémoration.
Limites spécifiques posées à l’industrie touristique par les tourismes mémoriels: l’accès, dans les multiples sens du terme
L’accès spatial, tout d’abord, peut s’avérer compliqué. Se déplacer dans plusieurs lieux distants pour retrouver une même mémoire complexifie la création du voyage. Le déplacement lui-même peut nécessiter des moyens de transport spécifiques et, éventuellement, poser des problèmes de sécurité, on pense aux mines désaffectées dont l’accès se fait par d’anciens puits. Parallèlement à l’accès au site mémoriel, l’hébergement des visiteurs peut poser question : où loger les visiteurs ? sur le site, à côté ? Il n’est simplement pas envisageable de créer des logements dans Auschwitz ou sur le Ground Zero. Notons également que le territoire de la mémoire ne correspond pas forcément au territoire du projet touristique, ce qui pose le problème de la cohérence du voyage proposé au visiteur. L’exemple des sites de la Grande Guerre éparpillés sur plusieurs pays (de langues différentes), plusieurs régions, départements et communes est éloquent. Les accès à un lieu peuvent également s’avérer difficile à cause de la configuration géophysique du site ou bien les conditions physiques requises pour les visiteurs en limitent l’accès comme c’est le cas dans les tunnels de Cu Chi au Viet Nam. Et que dire de l’accès (à défaut d’autre terme) à la mémoire de l’esclavage quand les navires ont disparu, les ports négriers se sont modernisés et les victimes ont été englouties par millions ?
Fortement articulé à l’espace, l’accès dans le temps est également problématique. En effet, la proposition touristique est confrontée à la disparition des traces et/ou des témoins avec le temps. Comment rendre visible et audible les mémoires ? Il est possible que le territoire de la mémoire proposée à la visite ne soit plus visible dans le paysage (c’est le cas sur les plages du Débarquement) et la question de la préservation des paysages face aux évolutions du territoire, et notamment la pression foncière, se pose avec acuité. En lien avec le temps disponible du visiteur, est posée également la question de la nature de la visite ou de l’activité proposée aux touristes : est-ce une visite libre, encadrée, guidée ? par qui ? Cela nous renvoie à une double dimension de la mémoire mobilisée par le site. Dimension spatiale : si le lieu possède une résonance internationale, nationale, ou régionale, si la mémoire est plutôt locale, voire seulement familiale ; dimension temporelle : si le lieu concerne une mémoire récente, dont les témoins en vie sont encore nombreux et donc peuvent faire œuvre de transmission ou si cette mémoire, éloignée, appartient déjà à l’histoire.
L’accès culturel, enfin, demeure central. Le public drainé sur les sites mémoriels est qualifié, indistinctement, de touristique. Il vient y chercher des émotions, des expériences, mais comment est-il disponible psychologiquement ? Comment transmettre la matière mémorielle ? Quelle médiation proposer : le mémorial, l’exposition, le musée ? Quelle forme d’implication est proposée aux visiteurs : un jeu, un divertissement, un cours d’histoire ou un mixte relevant de l’édutissement (Édutissement : contraction de éducation et divertissement – en anglais : Edutainment, Education and Entertainment). ? S’agit-il de proposer des narrations imaginaires à un visiteur sollicité pour y participer sur une application mobile ? Et qui sont les personnes qui assurent la médiation du site : des personnes avec des souvenirs du lieu ou des guides formés à la saison ?
Il est possible que les sites soient incompris parce que les visiteurs éprouvent des difficultés face à une culture ou une mémoire disparue ou trop spécifique ou totalement étrangère. Se pose également le problème de rendre une mémoire marchande et les questions éthiques qui y sont associées, dans le respect des sensibilités de chacun. Pour les publics de culture britannique et nord-américaine par exemple, l’idée d’un pèlerinage est liée au caractère sacré des lieux du Débarquement. Il est hors de question de proposer une attraction touristique. Mais le public des champs de bataille et des musées liés aux guerres est un public majoritairement scolaire et composé de nombreux étrangers qui demande des explications, il faut créer l’émotion ou faire du public un acteur de l’événement.
L’articulation vécue du tourisme et de la mémoire par le visiteur
Les visiteurs, face à une mémoire qu’ils ne comprennent pas, ne se sentiront pas concernés. Ce sont « des témoins intéressés par l’histoire et non des sujets historiques concernés par leur héritage » (Amirou, 2000). Contrairement à ces touristes, les visiteurs de la mémoire replongent dans quelque chose de connu qu’ils n’abordent pas en explorateurs, mais en « témoins ». Cela se traduit notamment par une identification, parfois revendiquée. Les dimensions du vécu personnel et de la transmission, aux enfants et petit-enfants, apparaissent alors fondamentales. Néanmoins, quel que soit leur profil – entrée par l’histoire ou entrée par la mémoire – les visiteurs expérimentent tous des émotions. Les motivations à la visite, bien que diverses, ne sont pas exclusives, ce qui favorise l’accueil, la compréhension et la reconnaissance de la séquence mémorielle incluse dans le déplacement touristique. Cette conscience du partage d’une mémoire commune à une culture, une nation, l’Humanité, génère une relation affective, symbolique, parfois imaginaire ou fantasmée, entre les touristes et les populations portant cette mémoire.
C’est là l’essence même des tourismes de mémoires.
Comme le rappelle Jean-Didier Urbain, un lieu de mémoire n’est pas une destination comme les autres. Il n’existe pas en soi, mais par un regard spécifique, le regard de celui qui se souvient et le fait devenir et demeurer le réceptacle d’un passé toujours vivant dans les mentalités et les sensibilités collectives (Urbain, 2003). Ainsi la question de la reconnaissance est toujours au cœur de l’expression des mémoires (comme des patrimoines). La tension demeure souvent perceptible, entre le vécu des acteurs et l’attente du visiteur. Le fossé peut être large entre le témoignage que souhaitent transmettre les acteurs d’un drame ou d’un moment fort et ce que sont prêts à entendre ceux qui visitent le site, en quête de connaissance, voire de distraction familiale. La tension peut même émerger dès le choix de la mémoire à proposer aux touristes. Pierre Nora explique ainsi que les lieux de mémoire ne sont pas une histoire « du passé tel qu’il s’est passé », mais un « réemploi permanent, des usages et des mésusages » de celle-ci (Nora, 1997). Ce n’est pas la continuité d’une mémoire vivante, mais une réélaboration après-coup : « L’histoire est la reconstruction toujours problématique et incomplète de ce qui n’est plus, la mémoire est un phénomène toujours actuel, un lien vécu au présent éternel… elle est affective et magique et se nourrit de souvenirs flous… ».
Bibliographie
- Atout France, Le tourisme de mémoire en France, Mesure et analyse du poids et des retombées économiques de la filière, Atout France, observation touristique, dgcis, 2012.
- Amirou Rachid, 2000, Imaginaire du tourisme culturel, Paris, Presses universitaires de France.
- Aquilina Manuelle et Mahéo Claire, 2015 «Construire la mémoire et élaborer un produit touristique : une même stratégie pour des publics différents est-elle possible ? Le cas de l’Anjou bleu» dans Rieutort Laurent et Spindler Jacques dir., Le Tourisme de Mémoire, Un atout pour les collectivités territoriales? éditions L’Harmattan.
- Biran Avital, Poria Yaniv et Oren Gila , «Sought Experiences at Dark Heritage Sites», Annals of Tourism Research, 2011, 38(3), p 820–841.
- Chevalier Dominique, Lefort Isabelle, «Le touriste, l’émotion et la mémoire douloureuse», Carnets de géographes, n°9, UMR 245 – CESSMA, 2016, Géographies des émotions, p 22.
- Denys Catherine, Deruelle Benjamin, Malandain Gilles, dir. Après la bataille – Mémoires et usages des champs de bataille, du XVIe siècle à nos jours, coll. War Studies, Presses Universitaires du Septentrion, 2023.
- Dossier spécial «Tourisme noir ou sombre tourisme?» Téoros, 35- 1, 2016
- Hertzog Anne, «Quand le tourisme de mémoire bouleverse le travail de mémoire», dans Le tourisme de mémoire, Cahier Espaces, n°313, juillet 2013, p16-26.
- Hertzog Anne, «Tourisme de mémoire et imaginaire touristique des champs de bataille», Via [En ligne], 1, 2012.
- Jacquot Sébastien, Chareyron Gaël et Cousin Saskia, «Le tourisme de mémoire au prisme du «big data». Cartographier les circulations touristiques pour observer les pratiques mémorielles», Mondes du Tourisme [En ligne], 14 | 2018
- Legrand Caroline, «Tourisme des racines et confrontations identitaires dans l’Irlande des migrations», Diasporas. Circulations, migrations, histoire, Presses Universitaires du Midi, 2006, p 162-171.
- Nora Pierre, dir., «Entre mémoire et histoire. La problématique des lieux», Les lieux de mémoire, tome 1 : La République, Paris, Gallimard, coll. «Quarto», 1997, p 23-43.
- Rieutort Laurent et Spindler Jacques, dir. Le Tourisme de Mémoire, Un atout pour les collectivités territoriales? édition L’Harmattan, 2015.
- Urbain Jean-Didier, «Tourisme de mémoire, un travail de deuil positif», dans Le Tourisme de mémoire, outil de développement local, Cahier Espaces, 2003, p5.
- Wadbled Nathanaël, «Le musée-mémorial comme lieu d’une expérience touristique spécifique, entre mémorial, musée d’histoire et lieu récréatif : le cas d’Auschwitz-Birkenau», Mondes du Tourisme [En ligne], 13 | 2017.