Cheval et tourisme

Le cheval, autrefois animal de transport, de combat et des travaux des champs, voire de boucherie, est aujourd’hui confiné, en dehors du sport et des compétitions, à la sphère des loisirs et du tourisme, au sein de laquelle il excelle désormais. Sous cette nouvelle forme, la pratique équestre se diffuse dans les sociétés du Monde et transforme des lieux et espaces.

Le cheval, réinventé par la société du tourisme et des loisirs en Occident

Les prouesses de l’industrie et la mécanisation intensive des campagnes semblent devoir sceller l’avenir du cheval en Occident dans la première moitié du XXe siècle. Les tracteurs rendent d’ores et déjà obsolètes le travail de l’homme et de l’animal dans les plaines américaines des années 1930 (Kaspi, 1986). En France, le cheptel s’effondre de 3 millions de chevaux -dont plus des deux tiers sont de traits- en 1935 à moins de 0,5 millions au soir des années 1960 (IFCE, 2012). Pourtant, cette société urbaine mais aussi de loisirs et de consommation (Viard, 1982, 2000; Rauch, 1996; Bertho-Lavenir, 1999; Corbin, 2001) qui se diffuse de part et d’autres de l’Atlantique au XXe siècle (MIT, 2005), dessine un nouvel avenir au cheval. Au-delà de ses fonctions utilitaires devenues désuètes –guerre, transport, force motrice (Roche, 2008)- il est redéfini dans le prisme de l’affectivité et de l’hédonisme triomphant (Pickel-Chevalier et Grefe, 2015). À la logique du bien succède celle du lien avec le cheval, qui participe au processus de réinterprétation sensible des animaux, initié par Rousseau deux siècles auparavant –concept des «frères inférieurs» (Larrère et Larrère, 1997). Cette ré-identification favorise plus particulièrement son appropriation par les enfants, qui bénéficient d’un statut central émergeant depuis l’aube du XXe siècle (Key, 1910). Il favorise un changement de paradigme, remplaçant le mythe du cheval prolongation du corps -chevalerie- à celui du cheval alter ego, largement façonné par la littérature enfantine, entre la fin du XIXe siècle -Black Beauty, 1877- et la fin du XXe siècle (Pickel-Chevalier, 2017). Ce dernier phénomène accompagne et renforce le processus, progressif puis intensif, de féminisation de l’équitation. En effet, la transformation du rapport au cheval est contemporaine de l’émancipation des femmes. Au détour de quelques initiatives audacieuses au soir du XIXe siècle notamment en Amérique du Nord (Beck, 2006), et plus largement au lendemain de la Grande Guerre, ces dernières se saisissent de l’équitation comme un vecteur de transgression, en usurpant la monte à califourchon naguère réservée aux hommes (Tourre-Malen, 2006). La domination de l’animal puissant atteste, aux yeux du monde, de leurs capacités similaires à leurs congénères masculins (Bettelheim, 1976). Cette utilisation du cheval dans une volonté de libération, qui caractérise particulièrement les classes privilégiées (Haragreaves, 1994; Defrance, 2003), préfigure une adoption plus générale de l’équitation par les femmes, au travers d’autres schèmes (accomplissement, affectivité, plaisir), jusqu’à y devenir prépondérante au soir du XXe siècle en Occident (Adelman et Knijnik, 2017).

Nouvelle place dans la société, nouveaux profils de pratiquants

Ainsi, à défaut de périr de la modernisation, le cheval et l’équitation vont s’y inscrire en s’adaptant aux mutations sociétales profondes qu’elle engendre. À titre d’exemple, la Fédération Française d’Equitation, qui comptait à peine plus de 20 000 licenciés en 1949 (Chevalier V. et Dussart, 2002), en dénombre 145 071 en 1984 et 675 186 licenciés en 2023 (FFE, 2024). Certes, cette prise d’ampleur fait écho au développement des loisirs contemporains (Terret, 2007), mais elle est exponentielle : alors que le nombre de licenciés toutes fédérations confondues est multiplié par 8 en 73 ans, le nombre de cavaliers recensés à la FFE est multiplié par 34, la propulsant 3ème fédération au seuil du XXIe siècle. Cette évolution a toutefois été marquée par une rupture de 10 ans, s’illustrant par une baisse du nombre de licenciés continue entre 2012 (706 449 licenciés) et 2020 (601 166), qui la conduit à la perte de plus de 100 000 adhérents. Néanmoins, depuis 2021, l’équitation profite de la redynamisation post-Covid des loisirs d’extérieur, qui lui permet de redevenir, en nombre de licenciés, la 3e fédération française et la première féminine (FFE, 2024).

Cet essor résulte d’une évolution des profils des pratiquants tendant à une diversification, marquée par la jeunesse (en 2023, 61% des cavaliers ont 18 ans ou moins et 47% ont moins de 14 ans), la féminisation (85% des cavaliers sont des cavalières) -FFE, 2024 – et une relative démocratisation (prédominance des classes moyennes et moyennes supérieures). Près de 80% des licences fédérales sont fléchées loisirs (FFE, 2024) -figure 1.

Figure 1. Le nouveau profil dominant des équitants : la petite fille. S. Pickel-Chevalier, 2021

La prédominance du loisir et de la féminisation dépasse largement l’équitation française, pour s’inscrire dans un phénomène occidental beaucoup plus large. Ainsi, Aux États-Unis, the American Horse Council recense 7.25 millions de chevaux, dont 43% sont des chevaux de loisirs. L’Allemagne comptabilise, pour sa part, 687 000 adhérents à la Fédération Équestre Nationale, dont 88% sont fléchés loisirs (IFCE, 2019). Elle rassemble le premier cheptel équin européen, avec 1,7 millions de chevaux en 2020, devant la France (1 million) et le Royaume-Uni (850 000). Ce dernier comptabilise, quant à lui, 1.8 millions de cavaliers réguliers, dont 90% ne pratiquent que des activités de loisirs ou de tourisme selon la British Equestrian Society. Parallèlement, les femmes représentent 78% des pratiquants licenciés en Allemagne (German Equestrian Federation, 2022), 88 % au Royaume-Uni (British Equestrian Society, 2023) et 92.6% des propriétaires de chevaux aux États-Unis, selon le American Horse Council Equestrian Statistics (2022).

Loisir, féminisation, et souvent jeunesse, caractérisent la pratique de l’équitation en France et en Occident. Elle est aussi marquée par un développement du tourisme équestre et du tourisme équin, qui nécessitent d’être distingués.

Le tourisme équestre : terme générique définissant les pratiques équestres d’extérieur

Le tourisme équestre est défini par la Fédération française d’équitation (FFE) et la fédération internationale de tourisme équestre (FITE) comme un déplacement d’agrément avec un équidé, monté, attelé ou bâté. Il intègre l’itinérance sur plusieurs journées -randonnées- mais aussi les promenades de quelques heures (FFE.com/tourisme). Ainsi, le terme de «tourisme équestre» identifie en réalité, d’un point de vue fédéral, l’équitation d’extérieur, qu’elle soit une véritable pratique touristique -induisant

«Un système d’acteurs, de pratiques et d’espaces, qui participent de la «recréation» des individus par le déplacement et l’habiter temporaire hors des lieux du quotidien»

(Knafou et Stock, 2003, p.931),

ou un loisir inscrit dans le quotidien et défini comme

«Un ensemble d’occupation auxquelles l’individu peut s’adonner de son plein gré, soit pour se divertir, soit pour développement son information ou sa formation désintéressée, sa participation sociale volontaire ou sa libre capacité créatrice après s’être dégagé de ses obligations professionnelles, familiales et sociales»

(Dumazedier, 1962, p.28).

Le tourisme équestre constitue, donc, une activité récréative, reposant sur la mise en mouvement du corps d’un individu, conjointe à celle d’un équidé (cheval, âne, mule), au travers de pratiques équestres variées -équitation, voiture hippomobile, bâtage -figure 2. Cet usage peut favoriser un dynamisme territorial, surtout lorsqu’il relève de l’itinérance, car il exige, à l’instar de toute pratique touristique, la mise en réseau des acteurs (responsables de structures équestres, d’hébergements, de restauration, de sites touristiques, etc.) et la création d’espaces spécifiques (chemins balisés et entretenus; barres d’attaches; lieux de rafraîchissement pour les chevaux, etc.). Selon la Fédération française d’équitation, ce loisir concernerait un million de pratiquants réguliers ou occasionnels. Ce nombre est, toutefois, difficile à déterminer avec certitude car, contrairement aux cavaliers de clubs, les adeptes de l’équitation d’extérieur ne sont pas nécessairement licenciés. Ils ne représentent, d’ailleurs, qu’une petite partie des adhérents à la fédération : seuls licences, soit 10.6% (soit 71 851 membres) des 675 186 membres de la FFE en 2023 ont un fléchage «tourisme», qui englobe toutes les pratiques d’extérieur (FFE, 2024).

Figure 2. Le tourisme équestre recouvre en réalité toutes les pratiques d’équitation d’extérieur, monté, attelé ou bâté. S.Pickel-Chevalier, 2010; Equivini, 2022.

Le tourisme équestre mobilise, toutefois, des structures équestres et associations, au nombre 2 500 en 2021. Parmi elles, 350 sont labélisées Centres de Tourisme Equestre par la FFE . Par ailleurs, les balades et randonnées représentent aussi une activité secondaire pratiquée par la moitié des 5000 centres équestres tournés vers l’enseignement. Enfin, le tourisme équestre d’itinérance a aussi favorisé la création de tours opérateurs spécialisés, dont le premier a vu le jour en France en 1972 (Cheval d’Aventure). Ils sont aujourd’hui une dizaine dans l’Hexagone, proposant des offres en France et dans le monde.

Le tourisme équestre a aussi donné jour en France à deux initiatives d’ampleur. Ainsi, en 2018 est créé, avec le concours de l’ANTE, de la Route Napoléon à cheval, balisée sur 350 km, deux régions et quatre départements, reliant Grasse (Alpes Maritime) à Vizille (Isère). De même, est labellisée en 2021, la Route de d’Artagnan, comme Itinéraire culturel européen. Cette route, étendue sur 8000 km reliant six pays (Espagne, France, Italie, Belgique, Allemagne et Hollande) et 15 régions, constitue le premier itinéraire équestre culturel et touristique, reconnu par le Conseil de l’Europe.

Cette labellisation conforte le développement international du tourisme équestre. Ainsi, le Royaume-Uni bénéficie, pour sa part, d’un dense réseau de sentiers balisés s’étirant sur plus de 41 000 km, souvent partagés avec d’autres pratiquants cyclistes ou piétons (Cochrane&Daspher, 2015). L’Espagne compte près de 500 structures proposant des activités liées au tourisme à cheval exploitant des sentiers historiques (Les Caminos de Santiago, Canadas Real…), mais aussi des évènements tels que des fêtes et pèlerinages (Fête de la Saint-Jean à Minorque; Los caballos del Vino à Caravaca de la Cruz; Rapa da Bestas en Galice…). De même, l’Italie comptabilise près de 700 établissements spécialisés s’appuyant sur l’existence et l’entretien de 4 000 km de sentiers (Atout France, 2011).

D’autres pays s’affichent comme de véritables destinations spécialisées, tel que l’Islande dont les activités à cheval génèrent entre 15 à 18% du tourisme international (Helgadottir and Sigurðardóttir, 2008). Ce secteur est, de plus, encore davantage dynamisé par le tourisme domestique, représentant plus de 60% des pratiques de loisirs équestres (Sigurddottir, 2015). L’Irlande s’inscrit aussi dans cette logique en proposant des prestations de tourisme équestre diversifiées, depuis la balade et la randonnée à cheval et en roulottes. Le Canada s’illustre, quant à lui, par des projets de vastes envergures, comme l’ouverture du Transcanadien en partie accessible à cheval. Il constitue un impressionnant réseau national de chemins de randonnée, s’étendant sur 23 000 km, de l’océan Atlantique au Pacifique et jusqu’à l’Arctique.

La structuration institutionnelle du tourisme équestre en France : le rôle de la FFE et des associations

L’équitation d’extérieur est organisée en France au travers de plusieurs instances et plus particulièrement de la Fédération française d’équitation (FFE). Cette orchestration s’est initiée avec la création en 1963 de l’Association Nationale pour le Tourisme Equestre (ANTE). Cette dernière a permis la reconnaissance officielle de l’existence du tourisme équestre, en obtenant le soutien des Haras nationaux, instance alors fondamentale à la filière équine en France. Les missions de l’ANTE sont à l’origine : l’organisation de la formation professionnelle (guide de tourisme équestre, maître-randonneur), la création de chemins balisés, la communication et la mise en place d’évènements. L’association tisse rapidement un maillage institutionnel pluri-scalaire du tourisme équestre : en 1979 toutes les régions françaises sont dotées d’un ARTE (Association Régionale du Tourisme équestre) et à la fin des années 1980, tous les départements sont dotés d’un ADTE (Association départementale de Tourisme Equestre). En 1975, l’ANTE participe à la fondation de la FITE (Fédération Internationale de Tourisme Equestre) qui nourrit le dessein de développer des collaborations fédérales internationales, réunissant initialement la France, l’Italie et la Belgique. Aujourd’hui, la FITE compte 25 membres dans le Monde, attestant de l’essor du tourisme international bien au-delà de l’Occident.

En 1980, l’ANTE obtient la création de la licence nationale de tourisme équestre, comptabilisant 8000 adhérents dès 1981. En 1984, l’association est officiellement reconnue comme fédération nationale par le ministère des Sports, de la Jeunesse et de l’Environnement. Fort de ces succès, elle fonde, en 1985, le TREC (Techniques de Randonnée Equestre de Compétition). Cette création relève d’un paradoxe, à savoir une volonté de sportivisation d’une pratique touristique, en redéfinissant des passages d’obstacles que l’on est amenés à rencontrer dans la campagne ou en espace naturel (saut d’un tronc d’arbre, franchissement d’un contre-bas, passage sous des branches basses, franchissement d’un portail de clôture, etc.), comme les composantes d’une épreuve sportive réglementée. Cette politique retranscrit le fonctionnement de l’ANTE qui, d’une part, a besoin de fédérer ses adhérents autour d’évènements ludiques; et d’autre part, peine, culturellement, à imager le rapport au cheval en dehors d’une institutionnalisation sportive, valorisation des compétences techniques. Ainsi, alors que le tourisme équestre est né, en 1963, d’un désir de fuir les écoles d’équitation, il y retourne, par le biais institutionnel, au travers de l’invention d’une compétition de pratiques se réclamant pourtant du tourisme! Des compétitions, qui leur seront, néanmoins, reprochées par certains membres, décidant de s’en affranchir, pour fonder, en 2002, une association autonome, se revendiquant sans épreuve sportive : Equiliberté.

En 1987, l’ANTE rejoint la Fédération des Sports Equestres (créée en 1921) et le Poney Club de France (institué en 1971) pour donner jour à la Fédération Française d’Equitation (FFE), afin de donner plus lisibilité à l’organisation fédérale équestre. L’ANTE devient alors DNTE (Délégation nationale du tourisme équestre). En 2000, les statuts de la fédération sont refondés : les trois délégations sont dissoutes pour favoriser un fonctionnement plus inclusif de la FFE. Le DNTE devient CNTE (Comité national de tourisme équestre). Sa mission est recentrée sur «le développement et la promotion des activités de tourisme liées au cheval.» Dans ce cadre, il est en charge :

  • des itinéraires équestres balisés
  • de la préservation des sites de pratiques
  • de la formation des pratiquants (galop de nature) et professionnels (Animateur Assistant d’Equitation -AAE- et Accompagnateur de Tourisme Equestre -ATE-)
  • de la démarche qualité liée au deux labels fédéraux, à savoir le label Centre de Tourisme Equestre (établissements équestres spécialisés dans l’organisation d’activités de tourisme équestre) et label Cheval Etape (établissements accueillant des poneys et chevaux à l’étape pour au moins une nuit).

Le CNTE a aussi créée une carte interactive nommée Géocheval, référençant 550 itinéraires et 24 000km de chemins équestres praticables à cheval et à calèche. Il orchestre, par ailleurs, l’Equirando, inventée en 1961-mais qui ne prendra le nom d’Equirando qu’en 1987 (Pickel-Chevalier, 2024). Organisée tous les deux ans dans des villes différentes, elle constitue le plus grand rassemblement européen de cavaliers et de meneurs pratiquant l’équitation d’extérieur. Une édition junior (7-17 ans) est mise en place tous les ans. La FFE est aussi partenaire de grands circuits équestres pérennes, tels que de la Route Européenne de d’Artagnan et de la Route Napoléon à cheval.

Parallèlement aux instances fédérales, l’association Equiliberté rassemble 2000 membres, qui entretiennent aussi des chemins de randonnées partout en France (les Equichemins) et organisent des évènements liés au tourisme équestre.

La FITE, instance d’organisation internationale du tourisme équestre

L’équitation d’extérieur est aussi dotée d’une orchestration internationale : la Fédération Internationale de Tourisme équestre (FITE). Elle a été fondée en 1975 par les associations nationales de tourisme équestre de France, d’Italie et de Belgique. Largement portée par la Fédération française d’équitation, elle relève d’une association de type loi 1901 qui a pour but (FITE, 2016):

  • de grouper au plan international les organismes en charge sur leur territoire national de l’organisation du tourisme équestre, et de l’équitation de loisir sous toutes leurs formes
  • de faciliter les relations entre les organismes affiliés, leur apporter aide et encouragement
  • de coordonner leur action, définir les modalités d’application du Tourisme équestre au plan international
  • de promouvoir toute forme de tourisme équestre monté ou attelé et l’équitation de loisirs et d’extérieur
  • de promouvoir l’organisation de rencontres internationales
  • d’organiser, réglementer, développer et promouvoir le TREC (Techniques de Randonnée Equestre de Compétition), monté et en attelage, de même que les équitations pastorales et de travail
  • d’attirer l’attention des instances nationales et internationales sur toutes questions et réglementations concernant directement ou indirectement le tourisme équestre
  • de s’intéresser sur le plan international à toutes les questions concernant le cheval dans leur rapport avec le tourisme, les activités de plein air, l’environnement.

Le rayonnement de la FITE dépasse aujourd’hui largement l’Europe, bien qu’elle demeure prédominante, en représentant 16 des 23 pays affiliés, à savoir : les trois partenaires historiques France, Italie, Belgique, mais aussi Allemagne, Autriche, Danemark, Espagne, Portugal, Grande Bretagne, Ireland, Luxembourg, Pays-Bas, Roumanie, Pologne, Suède et Suisse. À ces derniers s’ajoutent les États-Unis, le Canada, la Géorgie, le Kazakhstan, l’Arabie Saoudite, la Côte d’Ivoire et la Chine (FITE, 2024). Cette profusion atteste d’un intérêt tendant à se mondialiser pour le tourisme équestre, de l’Occident à l’Extrême Orient.

Tourisme équin : de la mise en tourisme des cultures équines

Le tourisme équin intègre et dépasse le tourisme équestre. Il peut être défini comme :

«Un déplacement inscrit dans le temps libre qui se réalise hors de la temporalité et de la spatialité du quotidien, dont les activités relèvent d’une pratique équestre (montée, attelée ou bâtée) ou d’une activité gravitant autour d’un équidé (cheval, poney, âne, mule) au travers de visites ou d’évènement. L’équidé et l’équitation peuvent constituer la pratique principale ou une activité secondaire du séjour touristique. Le tourisme [équin], à l’instar de toute activité touristique, génère un système d’acteurs, de pratiques et d’espaces singuliers nécessitant une mise en réseau et l’organisation des territoires.»

(Pickel-Chevalier, 2015a, p.13).

Les loisirs équins seront, de ce fait, définis, quant à eux, comme :

«Des activités récréatives de pratiques équestres montées, attelées, bâtées ou gravitant autour d’un équidé (visite, évènement), pouvant s’inscrire dans l’espace-temps du quotidien ou du tourisme.»

(Pickel-Chevalier, 2015a, p.13.)

Le tourisme équin inclut donc un large spectre de pratiques possibles, relevant du tourisme d’aventure, du slow tourism, du tourisme de nature ou du tourisme rural, mais aussi du tourisme culturel. En effet, domestiqué depuis 5 000 ans, le cheval a contribué aux transformations socioculturelles des populations sur le temps long (Digard, 2007). Stimulant l’invention de matériaux et outils qui ont permis le perfectionnement de son exploitation, il a favorisé l’intensification de l’agriculture, l’expansion des déplacements humains et le développement des échanges culturels et commerciaux. Le cheval a donc participé aux changements du rapport au temps et à l’espace des sociétés, tout en étant transformé génétiquement par elles, afin de mieux répondre à leurs besoins. De ce fait, il est un objet culturel, construit par les sociétés dans leur espace-temps et, en cela, producteur et vecteur de signifiés propres à une communauté (Pickel-Chevalier, 2019, 2020b).

Cette identification du cheval induit la reconnaissance de cultures équines. Nous les définissons comme :

«Un système de pratiques et de représentations liées aux équidés, partagé par une communauté et autour duquel elle s’identifie. Les cultures équines dépassent et intègrent donc la notion de culture équestre, seulement centrée sur l’équitation, pour absorber l’ensemble des rapports au cheval et plus largement aux équidés, en termes d’utilisation (monté, attelé, bâté, enrêné, en liberté) et de représentations.»

(Pickel-Chevalier, 2020a)

Le tourisme équin repose sur la valorisation des cultures équines dans leur diversité. Elles se définissent par leur caractère holistique et inclusif, intégrant patrimoine vivant (l’animal), matériel (équipement, bâti) et immatériel (techniques équestres, art de vivre) -figure 3.

Figure 3. Le tourisme équin définit des pratiques touristiques autour du cheval, impliquant les cultures équines, tel que le Cadre noir de Saumur, accueillant plus de 1800 personnes à chaque gala. Source C.Pickel-Chevalier, 2022.

Le tourisme équin peut être un levier de développement territorial. La filière équine, dans sa diversité, génère en effet, des flux financiers importants, estimé à plus de 11 milliards d’euros par l’Institut du Cheval et de l’Équitation (IFCE, 2019) . 9,7 milliards émanent du secteur des courses (plus particulièrement des paris, mais aussi des pensions versées par les propriétaires de chevaux à l’entraînement et les achats de chevaux lors des ventes aux enchères). Les sports et des loisirs créent, quant à eux, 1 milliard d’euros de flux (2019). Ils résultent essentiellement de l’activité des établissements équestres (cours, pensions), mais aussi des achats de chevaux, à des particuliers ou professionnels. Les équidés au travail (ramassage scolaire, halage forestier, police montée, etc.) représentent 26 millions d’euros de retombées économiques. Le cheval peut donc être au cœur d’une économie plurielle, à même de favoriser des dynamiques de croissance endogène des territoires. La prise de conscience de ce potentiel engendre une émulation au sein de certains territoires qui se dotent d’outils, comme le pôle de compétitivité filière équine fondé à Caen en 2008. D’autres promeuvent la création de clusters équins, tel que le «cluster équin santé et bien-être» porté par la CCI de Lyon ou le cluster So-Horse Alliance en Aquitaine. Ces derniers se caractérisent par une volonté de fédérer des entreprises, des centres de recherche et des organismes de formation, engagés dans une stratégie commune de développement.

En raison du dynamisme de la filière équine, plusieurs responsables de collectivités mise sur le développement du tourisme équin, pour fédérer leur territoire et lui adjoindre une image de prestige, de patrimoine, voire de développement durable (Pickel-Chevalier et Violier, 2016; Vial, Wanneroy et Le Velly, 2015; Pickel-Chevalier, 2015b). Dans ce contexte, certaines villes se revendiquent comme «capitale» ou «cité» équestre : Fontainebleau et Chantilly s’approprient toutes deux le titre de «Capitale du Cheval», alors que Saumur se veut «Capitale de l’Équitation». Maisons-Laffitte, Tarascon et Pompadour se proclament «Cité du Cheval», tandis que le Haras du Pin se présente comme le «Versailles du Cheval». Certains villages se promeuvent aussi comme des capitales locales («Saintes-Maries-de-la-Mer, Capitale de la Camargue», intrinsèquement liée au cheval du même nom; «Saint-Quentin-en-Tourmont, Terre Henson» -le Henson étant une race de chevaux de loisir-; Nogent-le-Rotrou et Mortagne-en-Perche, qui se présentent comme les bassins du cheval Percheron). Ce phénomène est largement relayé à l’échelle internationale : Golegã est présentée comme la Capitale portugaise du cheval; tandis que Cordoue et Jerez-de-la-Frontera, revendiquent toutes les deux ce titre en Espagne, à l’instar de Newmarket et Badminton au Royaume-Uni. Aux États-Unis, Ocala en Floride et Lexington dans le Kentucky, s’autoproclament toutes deux «Capitale mondiale du cheval»!

Le développement de ces appellations tend à démontrer l’intérêt accordé par des acteurs publics et privés au cheval comme enjeux d’attractivité territoriale. Elles laissent croire au développement de destinations touristiques équines, devant parvenir à associer des représentants des pouvoir publics (représentants des collectivités locales), des professionnels et institutionnels du tourisme (hébergeurs, commerçants, restaurateurs, gestionnaires de sites, offices du tourisme, etc.), des professionnels de la filière équine dans sa diversité (gestionnaires de centres équestres, d’écuries de propriétaires, de centres de tourisme équestres, éleveurs, gestionnaires de musées spécialisés, dirigeants d’académies équestres, dirigeants de spectacles équestres, responsables de haras), et des représentants institutionnels du cheval (Comité équestre, fédérations, responsable nationaux de type IFCE, etc…). Leurs interactions pouvant être complexe nécessite la mise en place d’une gouvernance flexible. Les touristes font aussi partie intégrante de ce processus, pour être des co-producteurs déterminants des destinations, par leurs choix, représentations et usages (Violier, 2008; Clergeau et Violier, 2015).

Néanmoins, ces coopérations, à échelle nationale comme internationale, demeurent pour beaucoup à inventer, dans un contexte dominé par des stratégies de marketing territoriale sans contrôle. L’essor des destinations du cheval, reposant sur la valorisation du tourisme équin, requière la mise en place d’une politique de labélisation, se pouvant nationale ou internationale, évitant des titres auto-octroyés et une meilleure lisibilité de l’offre. Elle devrait, pour se faire, combiner qualité de l’accueil touristique et diversité des activités à cheval (monté, bâté, attelé) et autour du cheval (évènement, musée, spectacle, etc.) disponibles. Des initiatives ont vu le jour, tel qu’Euro Equus, qui constitue un network, réunissant des villes européennes du cheval, aspirant à promouvoir les cultures équines comme leviers de développement touristique et territorial. Créée en 2005, l’association réunit pour l’heure 6 pays, à savoir Waregen (Belgique), Pardubice (République Tchèque), Jerez de la Frontera (Espagne), Golega (Portugal), Wroclaw (Pologne) et enfin, Saumur (France), depuis 2021. Néanmoins, elles demeurent à améliorer et étendre, pour favoriser l’affirmation et la mise en réseau des destinations à venir du tourisme équin.

Sylvine PICKEL-CHEVALIER

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