Projet Consommation expérientielle contre-hédonique
[2024]
Soutenu dans le cadre de l’appel à projets PUBLICATION INTERNATIONALE [2024]
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Consommation expérientielle contre-hédonique : l’auto-régulation de la douleur et de la co-activation émotionnelle comme facteur clé de réusssite
“Our staff are rude and our manners are non-existent. Come on, ask for the manager… WE DARE YOU.” Que diriez-vous d’aller manger dans la chaîne de restaurants Karen’s Diner ? Le principe est simple: les serveurs sont délibérément grossiers avec les clients, qui viennent et paient pour cela. Ensuite, pour finir la soirée, vous irez dormir dans l’ancienne prison Soviétique de Karosta en Lettonie où vous serez traité comme un détenu. Vous dormirez dans une cellule, réaliserez des corvées et, pour 5€ de plus, vous aurez le droit au “Prisoners breakfast” à base de porridge. À l’inverse des expériences touristiques accueillantes et des activités de loisirs plaisantes, toutes ces expériences marchandes sont volontairement présentées comme “inhospitalières”, voire douloureuses. Loin d’être des pratiques à la marge, ces exemples soulignent l’intérêt croissant des consommateurs pour des expériences difficiles, stressantes ou douloureuses, communément qualifiées par la communauté scientifique d’expériences contre-hédoniques.
Les recherches existantes sur les consommations contre-hédoniques ont brillamment réussi à démontrer que l’expérience de différents types de douleur (tatouage, nourriture épicée, BDSM, parachutisme, film d’horreur, trek, pèlerinage, chamanisme d’ayahuasca) peut apporter une satisfaction personnelle pouvant prendre la forme d’un plaisir spontané pendant l’expérience ou de bénéfices personnels plus profonds après l’expérience. Toutefois, au lieu du pourquoi, qui a déjà fait l’objet de nombreux travaux, notre recherche vise à comprendre le comment de ces expériences. Elle répond au besoin d’étudier les dynamiques émotionnelles et les mécanismes sous-jacents des expériences touristiques contre-hédoniques. Pour cela, nous avons mené une ethnographie. Cette méthode de recherche consiste à vivre l’expérience réelle aux côtés des touristes, afin de comprendre de l’intérieur le phénomène étudié. Il s’agit de collecter des photos, des vidéos, des entretiens, des échanges informels et des ressentis personnels pour obtenir une analyse complète, globale et au plus proche du terrain. La chercheuse volontaire a ainsi participé à quatre expériences contre-hédoniques variées: une retraite silencieuse, un séjour de renforcement par le froid, une course à obstacles dans la boue “La Frappadingue” et une expérience horrifique “La Panik Room”.
Nos résultats montrent que lorsque l’expérience est vécue comme équilibrée, le participant ressent du plaisir spontané (amusement, joie, apaisement, sentiment de vitalité) et/ou perçoit des bénéfices personnels différés (accomplissement personnel, sens de la vie, découverte de soi, confiance en soi, croissance personnelle). Cet équilibre est rendu possible par 1) la mise en place adéquate de stratégies d’adaptation individuelles (distanciation, extériorisation, mobilisation des motivations personnelles et soutien social) afin de faire face à la douleur en régulant 2) les émotions positives et négatives ainsi que 3) la perception d’une douleur stimulante (ni trop forte, ni trop faible). En revanche, si l’expérience est vécue comme déséquilibrée, c’est-à-dire que la douleur et les émotions négatives sont perçues comme insuffisantes ou excessives, alors le participant ressent une frustration voire une déception car il ne parvient pas à tirer profit de l’expérience. Enfin, la présence d’émotions positives et d’une satisfaction personnelle lors de ces expériences nous amène à questionner l’utilisation du terme contre-hédonique pour qualifier ces offres. Une alternative suggérée serait d’opter pour des termes tels que expériences bittersweet afin de mettre en avant cet équilibre crucial entre les aspects positifs et négatifs, entre douleur et satisfaction personnelle.
Mots-clés
Consommation contre-hédonique, masochisme bénin, stratégies d’adaptation, co-activation émotionnelle, ethnographie
Axes scientifiques du GIS Études touristiques
Axe 3 : Inventer et ré-inventer le tourisme
Responsable scientifique
Sandra CAMUS
Professeur, Université d’Angers
EA 7456 -GRANEM
Revue visée
Journal of Business Research (IF 11.3)
Auteur.e.s
- Sandra CAMUS, Professeur, Université d’Angers
EA 7456 -GRANEM - Sarah PERONNE, Doctorante, Université d’Angers
EA 7456 -GRANEM