Plan Neige
L’expression «Plan neige» est un poncif de la littérature notamment scientifique, qu’en est-il?
Le tourisme à l’assaut de la montagne
S’il a existé une doctrine française de l’aménagement de la montagne, portée par Maurice Michaud (1905-1973), ingénieur-général des Ponts et Chaussées, on peut se poser la question de la signification réelle de ce que l’on nomme «Plan Neige» pour qualifier celle-ci. En effet, si ce dernier fut bien réel, il remonte à 1970 (Knafou, 1978: p.48-49), soit plusieurs années après les travaux de construction de La Plagne (1962) et l’apparition d’autres stations comme Tignes, Vars, Avoriaz, Les Arcs, Isola 2000 ou Val Thorens.
Le «Plan Neige» est en fait la forme paroxystique et tardive d’une doctrine qui s’infléchit dès l’année suivante. On comptait 135.000 lits en stations de sports d’hiver en janvier 1970, dont les deux tiers produits durant le Ve Plan (1966-1970). Le «Plan Neige» ambitionne la création de 365.000 lits au cours des VIe et VIIe Plan (1971-1975 et 1976-1980).
Or, dès l’hiver suivant (1970-1971), la croissance de la pratique des sports d’hiver marque le pas et un certain désenchantement se fait jour: les promoteurs n’arrivent plus à vendre leurs biens, la presse dénonce le mythe de l’«or blanc», une urbanisation effrénée de la montagne, les atteintes à l’environnement et le coût trop élevé des séjours.
Ainsi, ce plan est baptisé a posteriori et s’infléchit fortement avec cette première crise. On le voit, l’expression «Plan Neige» est source de confusion et l’idée que le «discours de Vallouise», en août 1977, prononcé par le président de la République Giscard d’Estaing (1926-2020), a mis fin à celui-ci est à relativiser. Qualifier cette phase de l’équipement de la montagne, qui va du début des années 1960 à 1977, de «Plan Neige» est donc un raccourci.
Des initiatives au départ dispersées
Car, contrairement à la Mission Racine et à la MIACA (Mission Interministérielle d’Aménagement de la Côte Aquitaine), ce programme ne résulte pas de l’action de la DATAR (Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale). Il correspond plus à une intention qu’à une réelle opération de planification (George-Marcelpoil et François, 2012).
L’initiative part de promoteurs en quête d’opérations hardies et présumées juteuses et de collectivités locales désirant développer le tourisme pour contrecarrer le déclin démographique et la crise de l’agriculture de montagne, au moment où la croissance de l’économie française et celle du tourisme et des loisirs sont spectaculaires. Des conventions entre les deux parties sont ainsi signées en 1961 pour La Plagne, Les Arcs, Flaine et les Ménuires; en 1962 pour Avoriaz, en 1966 pour Superdévoluy et 1967 pour Le Corbier. L’État joue les intermédiaires notamment par la procédure d’expropriation, eu égard au caractère d’utilité publique, contestable, de ces projets.
En 1964, la Commission interministérielle pour l’aménagement touristique de la montagne (CIAM) est créée pour coordonner l’action de l’État. Elle se dote d’un Service d’étude et d’aménagement touristique de la montagne (SEATM), localisé à Chambéry puis à l’aéroport de Challes-les-Eaux, et composé d’une poignée de hauts fonctionnaires, avec à sa tête Maurice Michaud.
Le SEATM est à l’origine d’une vingtaine de stations, la plupart créées ex nihilo. Au départ, il s’agit de stations de prestige devant aspirer les devises de riches skieurs étrangers. Ces stations intégrées, dites de troisième génération, semblent originales par rapport à celles existantes par leur implantation à 2.000 mètres d’altitude voire plus (Val Thorens est à 2.300 mètres) et par le fait qu’un promoteur-concessionnaire les réalisent complètement, ce qui éclaire leur cohérence sur les plans financier ou architectural.
Toutefois, on ne peut qu’être frappé par la ressemblance avec Courchevel, station de la génération précédente, considérée comme une «étape empirique» vers les stations intégrées (Knafou, 1978: p.21). En 1946, le conseil général de Savoie, sur les conseils de Maurice Michaud, est le maître d’ouvrage d’une station à haute altitude (1.850 mètres) dont l’autre nouveauté est le processus de réalisation contrôlé par l’architecte en chef Laurent Chappis (1915-2013), qui donne à Courchevel une remarquable unité paysagère. Ce dernier est aussi considéré comme l’inventeur de la «grenouillère», le point de convergence des pistes considéré comme une place centrale et le lieu d’initiation au ski, et du front de neige, dispositifs retenus généralement dans les stations de troisième génération.
Ces dernières sont loin d’être toutes identiques, notamment par la nature de leurs promoteurs (publics, associatifs, privés) et par les aides variables de l’État, dominées par la construction de routes d’accès extrêmement coûteuses. La plus impressionnante est celle reliant le village d’Isola (800 mètres) à la station d’Isola 2000: plus de 17 km à forts dénivelés empruntant des gorges et des couloirs d’avalanches qu’il a fallu sécuriser au fil du temps (Ill. 1).

Ill. 1. La route d’accès à la station d’Isola 2000 (© J.-Ch. Gay, 2020)
Dans les Pyrénées, de moins en moins fréquentées par la clientèle extrarégionale (Hagimont, 2018), le rôle des collectivités locales, départements, communes ou Syndicats intercommunaux à vocation multiple (Sivom) dans le développement du ski a été plus important que dans les Alpes. La doctrine du SEATM, dont l’antenne pyrénéenne se trouvait à Toulouse, ne concerna ce massif qu’à la fin des années 1960, avec une aide aux grandes stations et la création de stations de prestige.
Toutefois, la crise de l’hiver 1970-1971 et le premier choc pétrolier stoppèrent ce «Plan Neige» pyrénéen et les projets d’urbanisation à haute altitude. Pour que ce modèle alpin s’épanouisse, il eût fallu un contexte économique favorable et l’arrivée de promoteurs d’envergure nationale (Chadefaud et Dalla-Rosa, 1978).
Si l’on considère que l’équipement de la haute montagne en stations de ski est une opération d’aménagement du territoire, force est de constater que celle-ci fut ponctuelle et incomplète. Il a ainsi fallu attendre les Jeux olympiques d’Albertville en 1992 pour que soit construite une autoroute jusqu’à Albertville (A 430) et une voie rapide la prolongeant jusqu’à Moûtiers, alors que la Tarentaise concentre plusieurs stations de troisième génération (La Plagne, Les Arcs, Tignes, Val Thorens, Les Ménuires). De même, il a fallu attendre cet événement sportif pour que la gare de Bourg-Saint-Maurice soit modernisée et pour que les TGV la desservent par l’électrification de cette ligne.
Pour la Noël 1976, une nouvelle station dans la Tarentaise, Valmorel, ouvre ses portes. Elle semble répondre aux critiques de plus en plus fortes faites aux stations intégrées (cf. supra). Son altitude (entre 1.300 et 1.400 m) favorise un tourisme à la fois hivernal mais aussi estival. Son architecture en hameaux de style «néo-savoyard», faits de petits immeubles bas, rompt avec les stations intégrées.
Ce décor factice, utilisant des matériaux «naturels», est désormais dans l’air du temps. Il n’est plus question de construire de nouvelles grandes stations, en particulier au-dessus de 1.400 m dans les Pyrénées et 1.600 m dans les Alpes comme le révèlera le discours de Vallouise en 1977. La loi Montagne de 1985 rend inconstructible les sites vierges en haute montagne et le long des rivages lacustres. Les opérations touristiques doivent dorénavant prendre l’aspect de «hameaux intégrés à l’environnement» ou en Unités touristique nouvelle (UTN) en continuité avec le bâti existant.
Bibliographie
- Chadefaud Michel et Dalla-Rosa Gilbert, 1978, «La neige des Pyrénées occidentales: enjeu et stratégies des collectivités locales», Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest. n° 4, p. 477-515.
- Hagimont Steve, 2018, «Aménager et exploiter la montagne sportive hivernale. La Société des chemins de fer et hôtels de montagne aux Pyrénées (1911-1982)», Entreprises et Histoires. vol. 4, n° 24, p. 24-46, en ligne.
- Knafou Rémy, 1978, Les Stations intégrées de sports d’hiver des Alpes françaises. Paris, Masson.
- George-Marcelpoil Emmanuelle et François Hugues, 2012, «De la construction à la gestion des stations», Revue de Géographie Alpine. n° 3, en ligne.
- Violier Philippe, Duhamel Philippe, Gay Jean-Christophe et Mondou Véronique, 2021, Le Tourisme en France 1, approche globale, Londres, ISTE, 275 p.
- Violier Philippe, Duhamel Philippe, Gay Jean-Christophe et Mondou Véronique, 2021, Le Tourisme en France 2, approche régionale, Londres, ISTE, 221 p.