Corse
Une lente ouverture au tourisme
Le développement du tourisme en Corse suit, entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, une trame relativement classique (Boyer, 2006 ; Violier et al, 2021). Sans être véritablement une étape du « Grand Tour », la destination se construit principalement autour d’un triangle Ajaccio, Porto, Vizzavona entre séjours d’artistes et alpinisme, thermalisme, climatisme et tourisme d’hiver. La clientèle, essentiellement etrangère (Anglais, mais aussi Allemands, Suisses ou Autrichiens), va contribuer à construire l’image d’une Corse sauvage, mystérieuse, à la beauté authentique. Autant d’atouts utilisés par les professionnels et structures de promotion qui commencent à appparaitre au début du XXe siècle et dont le travail va contribuer à attirer près de 10 000 touristes dans les annéees 1920.
L’après-guerre et le developpement de la société de consommation se traduisent par une augmentation des flux ; certainement portée par le mythe de l’Île de beauté et la recherche d’un littoral ensoleillé, garant des nouvelles pratiques balnéaires. Mais, à la différence d’autres régions françaises, les plans d’aménagement successifs (Moretti, 2006) vont se heurter à une inaction endémique et au refus, porté par une violence identitaire, d’un modèle de développement univoque (Martinetti, 2007). L’exemple du Plan d’Action Régional de 1957 est emblématique de ces difficultés à impulser un développement touristique industriel. La Société d’Equipement Touristique de la Corse (SETCO) qui devait en assurer l’exécution en construisant une centaine d’hôtels pour 3000 chambres en une et deux étoiles aura un bilan qui, pour Jean- Louis Moretti, frise l’indigence (Moretti, 2010).
Malgré une « évolution naturelle » (Furt et Maupertuis, 2006) et désorganisée, le « mal nécessaire » est de nouveau au coeur des préocupations sociétales. Sa lente acceptation à partir des années 2000, son retard organisationnel peuvent rendre difficiles son adaptation aux défis environnementaux et societaux actuels.
Une économie spécialisée
Quatrième ile de la Méditerranée avec une superficie de 8 722 Km², la Corse est située à 160 km du continent français et à moins de 90 km de l’Italie. Les touristes y accèdent par l’un des cinq ports de commerce ou des quatre aéroports internationaux. La destination est fortement spécialisée dans le tourisme. Deux indicateurs au moins le montrent. Tout d’abord, la consommation touristique qui représente près de 40 % du PIB régional (Insee Analyses Corse, 2022) alors qu’elle dépasse à peine les 12 % dans les autres régions touristiques françaises. L’emploi ensuite, qui représente 13 % du total (cf. figure 1.1), alors que cette part n’atteint que 4 % en moyenne sur le reste du territoire français métropolitain. Il est concentré sur l’hébergement marchand qui regroupe 40 % des emplois liés au tourisme (Insee Dossier Corse, 2015). Mais cette spécialisation reste fragile. Tant au niveau d’une offre d’hébergement, essentiellement représentée par des campings et autres hébergements à la saisonnalité très marquée, que de la forte présence des meublés de tourisme et gîtes démontrant un certain déficit de professionnalisation et confortant l’idée que le tourisme peut rester une activité accessoire. Cette tendance « artisanale », peu rentable, se retrouve au niveau des professionnels, généralement peu structurés, privilégiant les stratégies individuelles (Furt et Ségui Llinas, 2022) et rétifs à toute démarche industrielle. Ces logiques participent du faible taux de classement hôtelier (Insee Flash Corse, 2019) ou des démarches de réservation dans lesquelles l’intermédiation des agences de voyages ne pèse que pour 4 % (ATC, 2022).
Une destination à construire
La Corse accueille chaque année plus de deux millions de touristes (2,6 millions en 2017). L’Agence du Tourisme de la Corse (ATC) annonce 3,4 millions de voyageurs en 2022. Ces chiffres cachent une réalité contrastée :
- La faiblesse tout d’abord de la clientèle internationale : traditionnellement autour de 30 %, elle est passée à 10 % en 2021, et ce malgré l’ouverture progressive du ciel aux compagnies low cost (le transport représente toujours une part importante du coût du séjour. Elle s’élève en moyenne à 503 euros).
- La large part de touristes affinitaires qui profitent de leur résidence secondaire en Corse ou qui viennent visiter leur famille ou des amis. La région Corse détient un taux de résidences secondaires trois fois supérieur à la moyenne nationale dont 37% appartiennent à des résidents insulaires (Insee Analyses Corse, 2020). Mais, au-delà de cette catégorie de touristes dont la fidélité est « acquise », la part des primo-visiteurs était de 57 % en 2017 et seulement de 17 % en 2020. Si les touristes corses sont fidèles à la destination (ATC, 2022), cela suggère également que la Corse peine à renouveler sa « clientèle ».
- Des séjours d’une durée moyenne de 15 jours (ATC, 2022), fortement marqués par un nomadisme touristique (79 % des touristes). Cette mobilité est exacerbée par la concurrence entre les différents territoires qui, si elle contribue à leur spécialisation et augmente la richesse de l’offre, ne participe pas, en l’absence de transports publics, de la recherche d’un tourisme durable (Maupertuis et Casabianca, 2022).
- Une spécialisation dans les activités de pleine nature (cf. figure 1.2) qui conduit souvent à une prédation incontrôlée des biens communs et à l’engorgement de certains hauts lieux que ne pourront très certainement pas réguler les mesures de contrôle annoncées (Muzy, 2022).
- Une concentration des flux dans l’espace (deux microrégions absorbent près de 60 % des flux touristiques) et dans le temps exacerbant le sentiment d’hyper-fréquentation dû en grande partie aux effets d’une concentration de 70 % des arrivées entre juillet et septembre (ATC, 2020).
Un tourisme à la croisée des chemins
Le tourisme est devenu une donnée incontournable de la société insulaire. L’activité arrive en phase de maturité et génère des interrogations fortes qui tiennent aujourd’hui, plus aux conditions de sa régulation qu’à son existence. Celles-ci dépendront de la réalité des décisions sur les conditions d’accès à certains espaces (Giannoni et al.)., mais plus généralement de la construction d’une véritable soutenabilité du territoire et du contrôle de flux financiers générés par la prédation des ressources.
Jean-Marie FURT et Sandrine NOBLET
Bibliographie
- Boyer M. (2006) The Grand Tour et le voyage humaniste d’Italie dans Musée Régional d’Anthropologie de la Corse, La Corse et le tourisme, 1755-1960, catalogue de l’exposition présentée au musée régional d’anthropologie de la Corse du 13 juillet au 30 décembre 2006, Ajaccio, Albiana, Musée de la Corse, p. 25-35.
- Furt J-M., Maupertuis M-A. (2006) «Le tourisme en Corse: retour sur une évolution naturelle», dans Musée Régional d’Anthropologie de la Corse, La Corse et le tourisme, 1755-1960, catalogue de l’exposition présentée au musée régional d’anthropologie de la Corse du 13 juillet au 30 décembre 2006, Ajaccio, Albiana, Musée de la Corse, p. 329-339.
- Furt J-M., Ségui Llinas M., (2022), Corse et Baléares où en sont ces espaces touristiques mythiques, Espaces. n° 66 p. 68-74.
- Giannoni S., Noblet S., Bisgambiglia P.-A. (2023). Surtourisme, sur-fréquentation et hyper-concentration des touristes: enseignements et perspectives pour la Corse, in Dominique Prunetti, Johan Jouve (Dir) ESTATE – Étude de la Soutenabilité des recompositions Territoriales de la Corse. Università di Corsica Pasquale Paoli, CNRS, Laboratoire «Lieux, Identités, eSpaces, Activités» (UMR 6240 LISA). https://hal.science/hal-04121349.
- Martinetti J.(2007) Les tourments du tourisme sur l’île de beauté, Hérodote, n° 127, p. 29 à 46.
- Maupertuis M.-A., Casabianca A. (2022). Tourisme en milieu insulaire: enjeux autour d’une stratégie de tourisme durable en Corse, Espaces. n° 66, p. 82-88.
- Moretti J.-L. (2006). Histoire de la planification du tourisme en Corse dans Musée Régional d’Anthropologie de la Corse, La Corse et le tourisme, 1755-1960, catalogue de l’exposition présentée au musée régional d’anthropologie de la Corse du 13 juillet au 30 décembre 2006, Ajaccio, Albiana, Musée de la Corse, p. 312-327
- Moretti J.-L. (2010). Tourisme et aménagement du territoire en Corse. La recherche de l’optimum. L’Harmattan.
- Muzy J. (2022). Surfréquentation des espaces naturels: les symptômes d’un manque de gestion dans les îles Lavezzi? Espaces. n° 66 p. 82-88.
- Violier Ph., Duhamel Ph., Gay J.-Ch., et Mondou V. (2021). Le Tourisme en France 2. Approche régionale, ISTE Group.
Sitographie
- https://www.atc.corsica/fr/observatoire/etudes/ Cahier du tourisme n°2, 2020.
- https://www.atc.corsica/fr/observatoire/etudes/ Cahier du tourisme n° 11, 2022.
- https://www.insee.fr/fr/statistiques/1894595. Le poids du tourisme dans l’économie corse, n° 2, octobre 2015.
- https://www.insee.fr/fr/statistiques/3733192.Insee Flash Corse. Les AHCT représentent un tiers de l’offre touristique marchande de Corse, n° 40, février 2019.
- https://www.insee.fr/fr/statistiques/4869311. Insee Analyses Corse. Résidences secondaires: un logement sur trois en Corse, avec des profils variés selon les intercommunalités, n° 29, octobre 2020.
- https://www.insee.fr/fr/statistiques/6439057. Insee Analyses Corse. Emplois liés à la présence de touristes en Corse: 43 % de croissance entre 2009 et 2018, n° 40, mai 2022.