Thermalisme

En termes de sources, avec pas moins de 770 unités, la France représente 20% du capital thermal de l’Europe. Pour le Conseil National des Établissements Thermaux (CNETh), cela en fait le 1er patrimoine hydrominéral européen. Cette suprématie prévaut pour les siècles précédents. Depuis l’Antiquité, les sources thermales françaises sont fréquentées, aussi bien par les élites que par les indigents. D’eaux miraculeuses, elles passent au fil du temps, grâce au progrès de la science, à des sources aux vertus curatives reconnues. Au 19e siècle, le capitalisme fait de l’exploitation des eaux thermales un véritable produit à la mode et leur façonnera un écrin de verdure et d’urbanité proche de la cité idéale.

De nos jours, et malgré une évolution contemporaine chaotique, la crénothérapie française est encore à l’origine de flux touristiques importants qui font se déplacer près de 600.000 personnes chaque année en direction de 90 stations thermales. Après la crise structurelle et conjoncturelle des années 1990-2000, cette activité semble retrouver un second souffle, portée par des acteurs dynamiques et confiants en l’avenir. Ils estiment en effet que leur offre diversifiée est en adéquation avec les besoins actuels de la population.

Mise au point lexicale

Le thermalisme est «l’ensemble des moyens mis en œuvre pour l’utilisation thérapeutique des eaux thermales, l’exploitation et l’aménagement des sources et des stations thermales» (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales – CNRS) alors que la thalassothérapie, non prescrite et non remboursable, est «l’utilisation sur un site marin privilégié et sous suivi médical des bienfaits des éléments de la mer dans un but préventif ou curatif. Elle utilise l’eau de mer chauffée afin de faire passer dans le sang de nombreux composants organiques» (Meziani et Alegria, 2015).

D’après M. Jazé-Charvolin (2014: p.2), le mot thermalisme est employé pour la première fois en 1845; il désigne alors l’usage médicamenteux des eaux minérales. Ce n’est qu’en 1933 qu’il est utilisé dans son acception actuelle. Ce terme peut être remplacé par l’expression « hydrologie thérapeutique » ou le vocable plus savant de «crénothérapie».

Dès les années 1960, Fontan et Duhot se sont penchés sur le fait hydrominéral. Pour eux, les eaux médicinales sont des eaux de sources naturelles dotées de propriétés thérapeutiques. Contrairement aux eaux de sources banales, les eaux thermales sont issues d’eau de pluie descendue à une très grande profondeur. Dans les entrailles de la terre, ces eaux absorbent différents gaz et éléments minéraux dissous (fer, sel, calcium, etc.). Enfin, dans une dernière phase, elles remontent à la surface via les plis ou les failles et émergent au niveau de griffons.

En France, on distingue quatre catégories d’eaux thermales: les eaux froides (< 20°c); les eaux mésothermales (de 20 à 35°c); les eaux thermales (de 35 à 50°c); et les eaux hyperthermales (de 50°c à 82°c, record atteint à Chaudes-Aigues dans le Cantal), souvent radioactives. Une autre typologie peut être faite : les eaux chlorurées sodiques, les eaux bicarbonatées (ou carboniques), les eaux sulfatées, les eaux sulfurées et les eaux minéralisées oligométalliques. Nous devons cette classification à la Commission des eaux minérales créée en 1854. Les progrès physico-chimiques qui ont cours au 19e siècle facilitent les recherches sur les mécanismes d’action des eaux. Une meilleure connaissance des eaux et donc leur spécialisation entraîne un usage mieux ciblé et potentiellement davantage de guérisons. Ce Service Médical Rendu avant l’heure permet ainsi de faire taire une part de médecins sceptiques. Avec cette institution, on passe d’un thermalisme empirique à un thermalisme scientifique rendant tangibles les vertus des eaux (Jazé-Charvolin, 2014). Dans le thermalisme, il n’y a pas que l’eau qui est utilisée mais tous ses dérivés: gaz, vapeur, boue. La pélothérapie est ainsi l’utilisation des boues d’origine thermale comme traitement thérapeutique.

Dans les établissements thermaux français (113 selon le CNETh), différents types de cures sont proposés. Il y a les cures, classiques, de 18 jours, remboursées par la Sécurité sociale, les «cures médicales libres» supérieures à dix jours et les «séjours santé» d’une durée moindre. Si ces types de cures diffèrent par leur durée, elles n’en sont pas moins identiques au regard des soins pratiqués. L’eau thermale est également utilisée à des fins plus ludiques dans les centres thermoludiques ou à des fins de bien-être dans les spas thermaux (au sein même des établissements ou dans des structures annexes).

L’exploitation des eaux a également donné naissance à des expressions caractérisant le lieu thermal. Pour Lise Grenier, l’expression «ville d’eaux» n’est apparue que sous le Second Empire. «C’est Vichy par antonomase» (1984: p.30). Cette expression comporte deux termes. Le premier «ville» est incorrect car nombre de villes d’eaux de l’époque ne sont pas à proprement parler des villes mais plutôt des bourgs («Les villes d’eaux: des eaux sans ville?», Carribon, 2014). Si ce terme se veut exagéré pour des stations modestes, il est approprié pour les lieux thermaux les plus en vue, là où le complexe thermal composé des établissements de soins, des casinos de jeu et des hôtels et complété par une multitude d’infrastructures s’est le plus épanoui. Le deuxième terme « eaux » renvoie à l’élément sous toutes ses formes : eaux minérales, eaux des fontaines, eaux des lacs naturels comme artificiels… La ville d’eaux du 19e tente en effet de se rapprocher d’une cité-jardin, proche de la nature.

La ville d’eaux s’est d’abord toute une civilisation qui se transmet d’un siècle à l’autre, une culture qui se lègue comme un héritage, mais c’est surtout des lieux de sociabilité que l’on ne retrouve pas dans les villes productives. […] Il ne s’agit pas simplement d’une ville semblable à toutes les autres villes, mais d’une ville spécifique dont le rayonnement international passe par le thermalisme.

Bernard Toulier, 2006: p.10

Si l’expression «ville d’eaux» est ambiguë, celle de «station thermale» l’est tout autant. La loi du 13 avril 1910 affirme que «toute commune, fraction de commune ou groupe de communes qui possède sur son territoire soit une ou plusieurs sources d’eaux minérales, soit un établissement exploitant une ou plusieurs sources d’eaux minérales, peut être érigée en station hydrominérale» (Carribon, 2019). Un siècle plus tard, et jusqu’en 2006, les stations classées de tourisme se divisent en six catégories: les stations balnéaires, de tourisme, de sports d’hiver, d’alpinisme, thermales et climatiques. La loi du 14 avril 2006 simplifie ce jargon et garde une seule catégorie: «la station classée de tourisme», accessible uniquement aux localités ayant obtenu la dénomination de commune touristique. Parmi les 468 classées de tourisme en 2021, 89 possèdent un ou des établissements thermaux en activité, c’est-à-dire destinés au thermalisme conventionné. On parle alors de «stations thermales». Cette appellation vaut aussi pour les communes dans lesquelles l’établissement thermal a fermé mais où subsiste une infrastructure de thermoludisme ou de remise en forme (par exemple, Saint-Nectaire). Toutefois, si l’expression «station thermale» est utilisée dans cette acception générique par le monde professionnel et par la population dans son ensemble, elle est scientifiquement impropre (voir l’entrée «station touristique»).

De «l’industrialisation du thermalisme» dans la seconde moitié du 19e siècle au thermalisme contemporain

Une période faste durant le Second Empire, la Belle Époque et les Années Folles

Même si des lieux thermaux préexistent depuis l’Antiquité (en témoignent les vestiges parsemant la France), le thermalisme prend vraiment son ampleur au 18e siècle avec l’essor, entre autres, de recherches scientifiques à son sujet (Équipe MIT, 2005; Penez, 2005; Boyer, 2005). Sous la houlette de leurs médecins, aristocratie et bourgeoisie se déplacent dans les lieux spécifiquement dédiés aux soins du corps… et de l’âme. De ces déplacements émerge un tourisme de santé, tourisme «avec comme moteur le soin de soi» (Équipe MIT, 2011, p. 49).

L’identification scientifique des vertus thérapeutiques des éléments naturels (eau, air et soleil) constitue un argument puissant pour comprendre le lien santé tourisme. C’est pourquoi, la recréation du corps et de l’esprit est longtemps demeurée aux mains des médecins qui présidaient souvent au lancement des stations (Brighton, Saint-Gervais, etc.). Mais ces lieux de thérapie permirent également aux curistes de développer un nouveau rapport au corps impliquant une évolution de leur pratique des lieux, où le plaisir et la rencontre comme le jeu prirent progressivement mais inéluctablement le pas sur les recommandations thérapeutiques.

Équipe MIT, 2011: p.48

Depuis ses origines, le thermalisme est bel et bien une pratique touristique. C’est en effet «une pratique de recréation [et non de récréation] choisie, effectuée par un déplacement du lieu de résidence vers un lieu autre» (Stock et Sacareau, 2003: p.23). Les curistes investissent un site, une station ou une ville thermale qui rompt avec leur lieu d’habitation habituel et dans lequel ils se confrontent à d’autres individus. Malades, ils ont la possibilité de soulager leurs maux avec des eaux thermales et ont toute la latitude pour choisir le lieu qui leur convient le mieux. Mais sous couvert d’entretien de sa santé, il s’agit également de rechercher le bien être, les loisirs et le droit de ne rien faire dans des lieux hors de son quotidien. Les élites sont majoritairement en quête d’hédonisme, d’oisiveté et de légèreté. En conséquence, la part des curistes «vrais» peut être très négligeable, notamment dans les stations les plus réputées.

De la seconde moitié du 19e siècle jusqu’aux Années Folles, le thermalisme français jouit d’une période faste. Au 19e siècle, les stations deviennent de plus en plus accessibles. Leur essor procède ainsi de la révolution ferroviaire rendue possible par les progrès techniques de l’époque. Ce développement du chemin de fer permet l’éclosion de stations les plus reculées (par exemple Cadéac dans les Hautes-Pyrénées; Bouneau, 1994) et la consolidation d’autres plus connues. La prospérité thermale relève également d’un «marketing» féroce (cf. les affiches publicitaires et les guides touristiques) autour des stations qui apparaissent comme des lieux d’investissements pertinents. Des sociétés en action voient ainsi le jour, réunissant suffisamment de capital pour offrir aux clients un produit cohérent réunissant désormais thermes, hôtels, casinos, activités sportives, etc. Dans cet engouement, nous ne saurions oublier le rôle clé de Napoléon III, tant par son rôle de «lanceur de mode» avec son appétence pour les stations thermales pour sa santé, ses plaisirs et sa diplomatie que par son rôle d’ «urbaniste en chef». La preuve la plus flagrante de son implication est la transformation totale de Vichy par son entremise depuis sa première venue en 1961 (Grenier, 1984). La conséquence de cette frénésie thermale est la forte croissance de la clientèle, triplant entre 1850 et 1870.

Loin d’obérer l’avenir du thermalisme français, la guerre de 1870 lui fut favorable. Ce d’autant plus que sur le plan économique la guerre de 1870 ne fut qu’une parenthèse, et qu’après 1875, sous la Troisième république, l’embellie économique générale favorisera l’arrivée des hommes d’affaires cherchant à investir dans les stations thermales et dans le commerce des eaux minérales.

Dr. Authier et P. Duvernois, 1997: p .45

À la veille de 1914, 14 centres thermaux se singularisent: Aix-les-Bains, Cauterets, Châtel-Guyon, Contrexeville, Dax, Evian, La Bourboule, Le Mont-Dore, Luchon, Luxeuil, Plombières, Royat, Vichy et Vittel (Authier et Duvernois, 1997). Pendant la période des Années Folles, les stations les plus en vogue sont toujours les mêmes; seules les Vosgiennes s’effacent, à l’exception de Vittel.

Cette période de soins pratiqués dans une ambiance de luxe, d’insouciance et de plaisirs (interdits ou non) s’achève à la Seconde Guerre mondiale. Certes, le changement n’est pas brutal car dans le prolongement des revendications sociales survenues après 1918 (Carribon, 2001), mais c’est toute la philosophie du thermalisme français qui s’en trouve bouleversée.

Une pratique ensuite sous l’égide de la Sécurité sociale (1947-1988)

En 1947, le thermalisme français change de dimension. Adieu les aristocrates, les stars du cinéma et autres aventuriers attirés par la vie mondaine des villes d’eaux. Dans la lignée de la création de la Sécurité sociale, les cures sont désormais remboursées car assimilées à un médicament et la durée du séjour strictement limitée. Les médecins reprennent alors la destinée des villes d’eaux entre leurs mains. Dans un premier temps, cette mise en avant de la médicalisation a pu paraître bénéfique puisque les effectifs des curistes explosent: de 1952 à 1988, ils passent ainsi de près de 250.000 à plus de 635.000. Cette nouvelle clientèle est toutefois beaucoup moins nantie que la première et concerne des couches de plus en plus diversifiées de la population.

Or l’afflux de ces curistes Assurés Sociaux, couplé avec des soins trop médicaux et l’absence totale d’offres bien-être, font fuir les clients argentés (Authier et Duvernois, 1997).

Les riches patients privés et les étrangers, qui venaient en grand nombre dans les stations françaises à l’entre-deux guerres, les ont aujourd’hui largement désertées. À la place, le thermalisme médical est devenu presque entièrement dépendant du financement de l’État avec toutes les incertitudes que cela recouvre.

G. Weisz, 2002: p. 105

Comme le sous-entend G. Weisz (2002), le thermalisme français vit, en quelque sorte, sous perfusion de l’État. Il est d’une part fortement dépendant des comportements des curistes vis-à-vis du remboursement par la Sécurité sociale et d’autre part fragile par rapport aux politiques publiques (Conseil National du Tourisme – CNT, 2011).

Graphique montrant la hausse de la fréquentation thermale jusqu'aux années 1980 puis sa stagnation

Ill. 1. L’évolution de la fréquentation thermale (AS) en France de 1958 à 2019. (source : Jamot jusqu’en 1982 puis CNETh et RVE). NB : Pour 1985, erreur de frappe vraisemblable dans les statistiques car cette année-là il n’y eu aucune crise conjoncturelle à la différence des trois précédentes (1959, 1968 et 1977).

Une volonté de renouveau dans les années 1990/2000 malgré la crise

Cette fragilité se constate dès la fin des années 1980. À partir de 1988 (apogée de fréquentation), le déclin du thermalisme conventionné commence. Les effectifs chutent considérablement: 636.439 à 486.723 de 1988 à 2009, soit une diminution de 23,5%. Plusieurs facteurs expliquent cette crise structurelle et conjoncturelle: la disparition ou la raréfaction de certaines maladies (notamment celles contractées dans les anciennes colonies), la concurrence de plus en plus forte de certains médicaments, les réticences des malades à prendre 3 semaines de congés pour effectuer une cure remboursée, un renouvellement insuffisant de la patientèle, la suppression de cours universitaires en crénothérapie, l’hyperspécialisation des stations françaises, l’attrait qu’exercent les stations étrangères aux complexes modernes et ouverts sur la remise en forme (Tunisie, Italie, Israël…) et pour finir la concurrence de la thalassothérapie.

Le fil entre la dimension hédonique et la dimension médicale s’est renoué à travers la thalassothérapie, qui allie magistralement la pratique curative et le plaisir de l’eau. De création récente (les années 1980), l’argumentaire thérapeutique est prétexte ici au bien-être et à la remise en forme.

Équipe MIT, 2011: p. 56

Surprises et intéressées par le succès de la remise en forme, quelques stations thermales commencent, progressivement, à investir elles aussi ce créneau. Mais la réticence des médecins vis-à-vis de cette pratique freine considérablement et retarde le processus. Pour Christian Jamot (1996), la reconversion est beaucoup trop tardive: 10 ans de retard! À la fin des années 1990 comme au début des années 2000, toute référence au thermalisme d’antan et aux plaisirs hédonistes est prohibée de peur de discréditer le thermalisme purement médical. En 2011, le CNT relève encore que les stations thermales peinent à se diversifier au-delà du médical.

De nos jours

Les stations thermales doivent retrouver leur capacité de séduction. Notre option est l’entrée du tourisme avec le développement de la remise en forme et du ludique. La remise en forme a été très mal exploitée par les établissements thermaux parce qu’encore trop médicalisés. Nous nous sommes fait cambrioler par la thalasso en laissant les portes grandes ouvertes.

J.F. Béraud, ancien directeur de la Route des villes d’Eaux, Président de la Fédération Thermale et Climatique depuis 2015, Le Moniteur du 2 avril 1999

Tirant les enseignements d’une dizaine années de crise, les professionnels du thermalisme favorisent désormais un tourisme de santé thermal divisé en deux branches : un tourisme médical (de mieux-être) et un tourisme de bien-être (Ill. 2). Le premier, basé sur des études scientifiques pour prouver la validité des soins, regroupe un tourisme médical de prévention (bien portant, on fait ce qu’il faut pour rester en bonne santé), un tourisme médical curatif (on apprend à vivre avec une maladie chronique, par exemple l’asthme dans les stations spécialisées dans les voies respiratoires) et un tourisme médical post-opératoire (phase de réparation physique et morale après une opération chirurgicale). Le second relève quant à lui de pratiques où l’eau thermale est utilisée à des fins ludiques et sensorielles.

90% du chiffre d’affaires total des établissements est réalisé par les cures thermales prises en charge, c’est-à-dire le thermalisme conventionné, soit 0,15% seulement du total des prestations de remboursement effectuées par l’Assurance Maladie (CNETh, 2021).

Ill. 2. Tourisme de mieux-être et tourisme de bien-être : les deux aspects du tourisme de santé thermal

Depuis 2009, les effectifs remontent doucement pour atteindre 598.582 en 2018 (+23% en presque 10 ans). En 2019, il y a eu une légère baisse, due cependant à des causes conjoncturelles (fermetures à cause de sinistres, présence de bactéries) et non à une désaffection de la patientèle. Néanmoins, dans un contexte de crise économique, plane toujours le risque d’un désengagement de l’Assurance Maladie.

Douze orientations thérapeutiques distinguent les cures en France (Ill. 3). Sans surprise, les soins pour contrer les effets des rhumatismes sont les plus privilégiés, suivis des soins pour les voies respiratoires. 101 soins sont inscrits à la nomenclature, soit une offre parmi les plus riches d’Europe.

La rhumatologie est la première cause de prescription.

Ill. 3. Fréquentation par orientation thérapeutique prescrite en première intention (source: CNETh, 2016; conception Marie-Eve Férérol, 2021)

Cette sur-représentation de la rhumatologie s’explique par l’âge avancé de la patientèle thermale. L’âge moyen des curistes est en effet de 63 ans (Férérol, 2021). Cette particularité est une constante dans l’histoire récente du thermalisme français (Jamot, 1988). La seconde caractéristique est une forte féminisation de la clientèle: 60,7% de femmes en 2017 (données DAMIR – CNETh). Comme précédemment, ceci n’est pas une nouveauté; en 1986, la proportion de femmes était de 62,5%.

Il existe peu de statistiques sur la clientèle bien-être. En se basant sur des entretiens et des enquêtes régionales, on peut affirmer que cette clientèle bien-être est beaucoup plus jeune que la patientèle du thermalisme médical. Selon une étude de la région Auvergne Rhône-Alpes, le «touriste bien-être» est majoritairement féminin (à 60%), avec une moyenne d’âge de 42 ans. En outre, cette clientèle est majoritairement urbaine puisque la moitié réside dans une ville de plus de 100.000 habitants.

Fréquentation nationale en hausse mais performances régionales contrastées

Économiquement, trois groupes se partagent actuellement le marché: la Chaîne Thermale du Soleil, Valvital et Eurothermes. Mais ce trio de tête voit l’apparition d’un nouvel arrivant: France Thermes. Possédant originellement le Resort de Bagnoles de l’Orne, il mène depuis deux ans une politique active de rachat en reprenant les thermes de Châtel-Guyon, Vichy, Salies de Béarn et Néris-les-Bains. Des grands groupes sont aussi intéressés; L’Oréal s’est ainsi porté acquéreur de la société de gestion des thermes de Saint-Gervais-les-Bains et de celle de La Roche Posay.

Sur le plan local, l’activité thermale a son importance, d’autant plus que 85% des établissements sont situés dans des communes de moins de 10 000 habitants. Selon le CNETh (2021), elle fournit 9442 emplois directs à 70% saisonniers (mais de longue durée), 40.300 emplois indirects et 55.930 emplois induits. Par ailleurs, 100 curistes génèrent 6 emplois nouveaux.

Ill. 4. Répartition régionale de la fréquentation thermale, en pourcentage (source: CNETh; regroupements régionaux personnels). NB : Ce graphique ne reprend pas les découpes administratives afin de faire ressortir le déclin de grands territoires thermaux comme l’Auvergne ou a contrario l’émergence de nouvelles destinations thermales (stations charentaises notamment). La Nouvelle Aquitaine a également été divisée en deux afin de distinguer le Sud-Ouest autour du système dacquois.

Géographiquement, la France compte 90 stations thermales, concentrées principalement dans trois régions: l’Occitanie, la Nouvelle Aquitaine et Rhône-Alpes Auvergne. La plus forte région thermale est l’Occitanie avec près de 30% de la patientèle. Suivent ensuite le Sud-Ouest avec le système dacquois en son centre et Rhône-Alpes.

Le plus frappant est la déchéance des stations d’Auvergne depuis 1983 (Ill. 4). Alors territoire de la plupart des reines des eaux de la Belle Époque et des Années Folles, il décroche dans les années 1990-2000; c’est ici que la crise nationale a le plus frappé. À l’opposé, les stations de la côte atlantique, bénéficiant de leur héliotropisme et du dynamisme des acteurs locaux ont vu leur fréquentation exploser (Rochefort : 4262 curistes en 1983 et 19.112 en 2019; Saujon: 335 en 1983, 4426 en 2019). En valeurs relatives, cela s’en ressent: l’importance des stations de Nouvelle-Aquitaine, celles des Landes et des Pyrénées-Atlantiques exclues, s’affirme, passant de 2,3% des curistes en 1983, à 7,7% en 2009 pour terminer à près de 10% en 2019.

Comme l’a souligné le CNETh lors des Thermalies 2021, le Covid a eu un impact très néfaste pour la profession. Du fait de la fermeture presque totale des structures thermales durant l’année 2020, seuls 200.000 curistes ont suivi une cure thermale médicalisée. Un chiffre en baisse de 67% par rapport aux années précédentes. Néanmoins, vu la persistance du thermalisme à travers les siècles, gageons que cette crise ne soit qu’un trou d’air et que la reprise sera vraiment là en 2022.

S’il est vrai, selon Jacques Prévert, que l’ «on reconnaît le bonheur au bruit qu’il fait quand il s’en va», alors on perçoit aussi le caractère essentiel de la cure thermale lorsque l’on en est privé. […] Comme l’eau thermale qui remonte des profondeurs et finit par jaillir, notre profession est accoutumée aux rebonds.

Claude-Eugène Bouvier, 2021, directeur du CNETh

Marie-Eve FEREROL

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