Santé des touristes, santé des destinations

Malgré la crise sanitaire liée au Covid-19, le tourisme reste considéré comme un élément majeur de développement économique dans de nombreux pays (dont la France) et ce, de manière fortement territorialisée. Cela se traduit par des zones de concentration d’activité (destinations) où s’observent des effets directs et indirects du tourisme (par les flux engendrés – humains, économiques, de transport, par les infrastructures développées et par tout un ensemble de pressions exercées sur l’environnement aussi bien physique que social). De ce fait, l’idée d’un développement touristique durable a fait son chemin. Or il est une composante de la durabilité du développement économique par le tourisme qui n’est presque jamais abordée: la santé. À l’exception notable du «tourisme médical», la santé est peu abordée dans les études touristiques, bien qu’à travers la pandémie mondiale de Covid 19, elle ait mis à l’arrêt ce secteur d’activité.

Tourisme et santé: une relation ancienne

La relation tourisme et santé est ancienne (le tourisme est né avec l’avènement des bains, spas et plus largement du thermalisme), forte et multiforme, même si toutes ses facettes ne sont pas perçues avec la même acuité par les acteurs de terrain. Dans l’appréhension des interactions entre tourisme et santé, il convient de considérer deux points de vue: la santé des touristes et la santé des populations dans les destinations. Les enjeux et mécanismes sous-jacents, s’ils se chevauchent, présentent également des différences.

Du point de vue du touriste, si l’on excepte les mobilités dont l’un des objectifs est d’ordre sanitaire (cure, chirurgie esthétique, retraite ayurvédique par exemple), la santé est un enjeu relativement impensé des mobilités touristiques. Les études portant sur les interactions entre tourisme et santé se focalisent bien souvent sur la santé des touristes et sur les bénéfices en santé que ces derniers peuvent retirer de leur pratique touristique.

La santé des touristes

Pourtant, la pandémie de CoViD-19 qui s’est propagé au monde entier via les transports aériens a démontré, si nécessaire, combien la planète terre fonctionne aujourd’hui comme un vaste système interconnecté. Les mobilités touristiques internationales participent bien évidemment à ce système, de même que les mobilités d’affaires. Les flux et le profil des voyageurs sont bien documentés et il existe une littérature à même de nous informer sur les principaux risques de santé et sur la morbidité associée aux voyages. On savait ainsi, bien avant la crise du Coronavirus, que la morbidité associée aux voyage est largement dominée par les maladies transmissibles (Le Bras et al. 1992; Bouchaud, 2003). «La proportion des voyageurs se plaignant d’un problème de santé, quel qu’il soit, est de l’ordre de 60% avec des écarts qui varient de 15 à 78% selon les études, et la fameuse diarrhée du voyageur, la tourista, touche près de un voyageur sur deux. En revanche, certaines maladies typiquement tropicales, particulièrement redoutées par les voyageurs, sont relativement rares voire très rares: 2 à 3% pour le paludisme, 3/100.000 pour la fièvre typhoïde et 3/1.000.000 pour le choléra. Des problèmes de santé beaucoup moins “exotiques” sont plus fréquents et souvent graves: 1/3 des rapatriements sanitaires sont justifiés par des accidents traumatiques, 1/3 par des accidents cardio-vasculaires et près de 1/10 par des décompensations psychiatriques» (Bouchaud, 2003).

Ill. 1. Incidence des principaux évènements de santé chez les touristes en voyage (source: Bouchaud, 2003)

Si la santé des voyageurs est une problématique connue et traitée par une spécialité: la médecine du voyage, peu de travaux en revanche ont porté sur l’impact du tourisme de santé sur les territoires et les populations.

Or le développement du tourisme impliquant l’usage des infrastructures sanitaires dans les destinations a des impacts potentiellement forts. Sur le corps médical premièrement: qu’advient-il quand les médecins formés (et autres professions de santé) ont plus intérêt à un exercice lucratif auprès des touristes qu’à œuvrer dans leurs systèmes locaux de santé? Qu’advient-il plus largement de la santé des populations dans les lieux touristiques quand l’offre de soins est plus structurée pour le tourisme que pour les autochtones?

Le tourisme facteur d’amélioration des soins et des infrastructures qui profitent aux habitants

Le développement engendré par l’activité touristique peut pourtant bénéficier à la santé des populations locales par des effets directs (création d’infrastructures par exemple) ou indirects (effets d’entraînement, de mise à niveau de normes sanitaires entre autres). À titre d’exemple, on peut citer l’une des principales destinations touristiques mondiale: Bali. Les centres de santé de premier recours nommés «Puskesmas» se sont développés, ils ont été étoffés en personnel de santé et accueillent désormais les patients 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 pour répondre aux besoins des touristes, et ce notamment dans le nord de l’île où la plus faible densité de population n’aurait pas justifiée à elle seule l’implantation de ces services. Ces Puskesmas sont largement utilisés par les locaux qui bénéficient donc de ce progrès.

Ill. 2. L’hôpital international de Bali, dont les spécialité sont été renforcées grâce à des fonds australiens qui souhaitaient ainsi assurer la sécurité sanitaire de leurs ressortissants nombreux à venir en touristes à Bali (cl. Sébastien Fleuret)

Un deuxième exemple peut être cité, il s’agit de l’hôpital privé de Marrakech. Cet établissement est ultra moderne et affiche des niveaux et normes d’équipement largement équivalentes voire supérieures à certains établissements occidentaux. Cet hôpital a été développé pour répondre aux besoins liés au tourisme mais affiche des tarifs adaptés à la population locale qui peut ainsi accéder à des prestations d’un niveau supérieur à ce que propose le système public de santé défaillant.

Le tourisme induit cependant des problématiques de santé

Mais inversement, des déséquilibres peuvent apparaître en lien avec les questions de santé. La confrontation brutale de populations ayant des niveaux de vie très inégaux (notamment dans les cas de tourisme international où la destination appartient à une aire économique et culturelle très différente) est également source de déséquilibres: la pression foncière peut causer du mal-logement avec ses corolaires en santé, la pression environnementale impacte l’alimentation et l’accès à l’eau et peut engendrer des pollutions auxquelles sont associées des risques sanitaires. La présence massive de touristes dans une destination peut générer des problématiques de santé publique. C’est le cas par exemple autour de Cancún au Mexique où le tourisme pose des problèmes en lien avec la consommation d’alcool et de drogues d’une part, et en lien avec les maladies sexuellement transmissibles d’autre part.

Un autre enjeu peut être identifié: les travailleurs du secteur touristique sont eux même impactés sur le plan sanitaire et cette dimension est sous étudiée. Le tourisme génère en effet tout un ensemble de métiers précaires dans des conditions de travail difficiles, sans couverture sociale, et la médecine du travail n’est pas une spécialité très développée dans les grandes régions réceptrices de flux touristiques. On y observe des problématiques inquiétantes comme des taux d’alcoolisme et de suicide particulièrement élevés parmi les travailleurs précaires du tourisme. L’impact du tourisme sur la santé mentale est une question trop peu considérée (Marie-dit-Chirot et Fleuret, 2021).

La santé, opportunité pour les destinations

Pourtant, la santé peut constituer un levier intéressant dans une logique de développement touristique et il est instructif, par exemple, d’examiner la façon dont les promoteurs du développement touristique s’appuient sur des éléments déterminants de la santé et du bien-être des populations pour faire de la santé un élément d’attractivité touristique (que ce soit à travers l’environnement – air, eaux, l’alimentation ou diverses activités dites «saines»). Le marketing territorial mobilise de plus en plus la santé pour accroître l’attractivité de certains territoires. Certains (Bell et al. 2015) vont même jusqu’à «labelliser» les territoires pour certifier leurs bienfaits. Hôtels, excursions, services, se dotent de certifications en lien avec la sécurité sanitaire ou l’accessibilité par exemple. Ceci se révèle un atout pour séduire une clientèle de retraités cherchant à se rassurer. Un autre levier de développement économique et touristique consiste à s’appuyer sur l’image positive de soins traditionnels (ex. massages à Bali, Médecine Maya au Mexique, Hammam au Maghreb, etc.). Récemment, la pandémie de Covid a fait apparaître de nouveaux labels garantissant des mesures de sécurité sanitaire.

Pour finir, à l’ensemble des approches évoquées ci-dessus, il faudrait adjoindre d’autres questions posées non plus dans les zones touristiques, mais dans les pays de départ. La question des seniors qui combinent une mobilité touristique d’agrément et la recherche d’un climat plus favorable à leur santé est par exemple de nature à recomposer l’offre touristique tant auprès des opérateurs émetteurs que réceptifs. D’une façon générale, il est nécessaire de caractériser l’impensé santé dans le développement touristique et ce, au-delà de l’intérêt scientifique intrinsèque, afin d’éclairer la prise de décision dans les choix de développement local et régional d’une part et mieux penser les systèmes de santé dans un monde globalisé d’autre part.

Sébastien FLEURET

Bibliographie

  • Bell David, Holliday Ruth, Ormond Meghann et Mainil Tomas (ed.), 2015, Special issue section Transnational Healthcare: cross-border perspectives Social Science and Medicine. 124, p. 284, 289, en ligne.
  • Lunt Neil, Henefeld Johanna et Horsfalln Daniel, 2006, Medical Tourism and Patient Mobility. Northampton MA, Edward Edgar Handbook, 512 p.
  • Chasles Virginie, 2011, «Se déplacer pour se faire soigner : une mobilité en expansion généralement appelée tourisme médical», Géoconfluences. février, en ligne.
  • Connell John, 2006, «Medical tourism: sea, sun, sand and… surgery», Tourism Management. n° 27, en ligne.
  • Marie-dit-Chirot Clément et Fleuret Sébastien, 2021, «Vivre et mal-vivre au pays des vacances: développement touristique et santé mentale dans le Quintana Roo au Mexique», CETRI. en ligne.
  • Fleuret Sébastien, 2022, Allers-retours entre tourisme et santé. Londres, ISTE.