Loisir, loisirs, temps libre(s)

Les loisirs peuvent être confondus avec le tourisme au sens où le touriste dispose de beaucoup de temps libre qu’il peut exercer dans l’espace-temps du quotidien (loisirs) et l’espace-temps du hors-quotidien (tourisme). En Asie Orientale d’ailleurs la distinction entre tourisme et loisir n’est pas de mise. Comment s’articulent les deux concepts?

Le temps libre une émergence contemporaine de la révolution industrielle

Le temps libre est un moment présent dans les sociétés depuis longtemps. Ne parlait-on pas de l’otium latin puis des moments de loisirs au Moyen-Âge allant des fêtes populaires aux jeux en passant par la chasse, la pêche ou les spectacles (Verdon, 2003). La révolution industrielle introduit une rupture dans la structuration des temps vie puisque l’on passe du temps de Dieu au temps de travail. Dès lors, le travail industriel qui s’effectuait au sein des usines constitue une rupture avec le mode de production artisanal qui se réalisait au domicile (Corbin, 1995). La proto-industrie assure une transition.

Cet avènement induit un renforcement des contraintes qui pèsent sur les individus. Pour Norbert Élias et Éric Dunning (1994) ce nouveau partage du temps a permis le déploiement de la civilisation industrielle en permettant aux individus de se relâcher et d’échapper provisoirement aux «routines» par la mise en œuvre de pratiques dont le «sport» (Élias et Dunning, 1994). Nous citons les termes utilisés par ces auteurs. Mais leur analyse va beaucoup plus loin.

Le spectre du temps libre

En effet, ils analysent dans un spectre les différentes composantes du temps libre et détaillent trois catégories principales: les actions routinières du temps libre ; les activités de temps libre intermédiaires servant principalement des besoins périodiques pour l’orientation et/ou l’auto-contentement et l’auto-développement et les activités de loisir au sens étymologique du terme «mihi licet», ce qui est laissé à ma libre appréciation. Dès lors, l’activité de loisirs ne constitue qu’une partie, souvent réduite, du temps libre (Ill. 1).

Ill. 1. Modèle de répartition du temps libre, inspiré de Norbert Elias et Eric Dunning (1994), réalisé par les auteurs.

Au sein de la première, sont regroupés les usages inscrits dans le temps libre mais qui revêtent un caractère contraignant par leur répétition et les pressions qui s’y exercent sur les individus. Ils citent notamment la «satisfaction quotidienne des besoins biologiques et soins corporels» et les «actions routinières du ménage et de la famille». La seconde regroupe les pratiques relativement contraignantes mais que les individus choisissent de s’imposer comme la formation, la prise de responsabilité association… Enfin, les loisirs se limitent seulement au troisième groupe, au sein duquel Élias et Dunning opèrent encore des distinctions.

Trois sous-catégories y sont ainsi précisées. Les deux premières intègrent encore des contraintes. Elles s’exercent de manière moins marquée dans la mesure où les individus ne prennent pas de responsabilité dans l’organisation. Enfin, les mêmes auteurs mettent en exergue:

Le tourisme («voyager pendant ses vacances») au sein des loisirs

Activités de loisir variées, moins hautement spécialisées, souvent multifonctionnelles et ayant en grande partie un caractère dé-routinisant agréable: c’est-à-dire voyager pendant ses vacances, manger au restaurant pour changer, avoir des relations sexuelles dé-routinisantes, «faire la grasse matinée» le dimanche matin, se consacrer à des soins corporels non quotidiens comme le bain de soleil, se promener.

Élias et Dunning, 1994

Nous relevons donc que le tourisme est une composante d’une partie des loisirs, la moins spécialisée, nous développons dans la rubrique consacrée aux pratiques cette dimension, et qui revêt un caractère dé-routinisant agréable.

Dès lors, on peut identifier la part relative des loisirs relativement au tourisme et à l’habiter polytopique développé par Mathis Stock (2006) (Ill. 2). Le premier se déploie dans l’espace-temps du quotidien et concerne l’espace local des mobilités quotidiennes et parfois, grâce aux performances en matière de transports, le niveau national ou international si l’on réside dans une capitale et que l’on en visite une autre: passer une journée à Londres pour un Parisien. Le tourisme est dans l’espace-temps du hors-quotidien et les nouveaux modes de résidences sont une illustration de l’évolution des sociétés contemporaines avec la possibilité d’avoir de la double ou multiples résidences dont l’incarnation maximale serait la jet-set.

Ill. 2. Les espaces-temps du tourisme, des loisirs et des nouveaux modes de résidence (source: Knafou (dir.), 1997)

Philippe DUHAMEL et Philippe VIOLIER

Bibliographie

  • Corbin Alain (dir.), 1995, L’avènement des loisirs (1850-1960). Paris, Aubier, 475 p.
  • Elias Norbert et Dunning Eric, 1994, Sport et civilisation. La violence maîtrisée. Paris, Payot, 396 p.
  • Knafou Rémy (dir.), «Tourisme et loisirs», dans Atlas de France, vol. 7. Paris/Montpellier, La documentation Française/GIP Reclus, p. 11.
  • Stock Mathis, 2006, «L’hypothèse de l’habiter poly-topique: pratiquer les lieux géographiques dans les sociétés à individus mobiles», Espaces-temps.net, Travaux. en ligne [consulté le 27 septembre 2022].
  • Verdon Jean, 2003, Les loisirs au Moyen-Âge. Paris, Tallaindier, 330 p.