France, approche régionale

La France apparaît dans les statistiques publiées par l’Organisation Mondiale du Tourisme comme la première destination dans le Monde en fonction du nombre des voyages qui s’y dirigent une année donnée. Sans revenir sur la critique des données (voir Statistiques), rappelons qu’il s’agit de passages de frontières par des non-résidents. Or, si l’action publique s’évertue à «équilibrer» leur présence, ils sont, tout comme les résidents, inégalement présents sur le territoire. Une approche régionalisée tente donc de rendre compte des écarts de fréquentation entre unités spatiales.

Précisons que, dans cette entrée, nous abordons la France en Europe (l’expression évite d’en utiliser d’autres marquées historiquement et politiquement, comme la métropole ou l’hexagone), laissant à l’entrée France d’Outre-Mer le soin d’aborder les confetti de l’empire. Quelles sont ces approches et sur quelles bases spatiales sont-elles fondées?

Une régionalisation déformée par le prisme institutionnel

L’approche régionalisée du tourisme en France s’est d’abord calée sur le découpage institutionnel. Ainsi, Jean Ginier (1974) produit une carte adaptée à partir de la trame départementale. Cette grille est également toujours proposée dans le manuel d’Alain Mesplier (2015). L’auteur pousse cette logique jusqu’à l’affirmation d’un égalitarisme par le potentiel, opposé à la réalité des faits.

Ainsi, à propos de la région des Hauts de France, un plaidoyer en règle redresse l’image négative. Le climat n’est pas si mauvais que cela. L’équipement en infrastructures de transport est excellent (ce qui, en fait, permet justement de ne pas s’y attarder et de la traverser rapidement). Ensuite, la région a été dévastée par les guerres, qui ont occasionné beaucoup de destructions, donc moins de choses à voir… Qu’importe, il est parsemé de champs de bataille à visiter… certes, il y a bien quelques témoignages des conflits récents mais il est peu probable que l’évocation d’Azincourt mobilise beaucoup de touristes.

Il est vrai que les analystes sont fortement incités à suivre ce tropisme par l’appareil institutionnel. En effet, quelques rares données sont produites, par l’Insee, à l’échelle communale, permettent des découpages fins, mais l’essentiel des mesures est disponible selon la grille départementale, et d’autres données le sont au niveau des régions. Notamment, le Memento de la Direction Générale des Entreprises du Ministère de l’Économie et des Finances, publié jusque 2019, en use abondamment. La réforme de 2015 en a d’ailleurs élargi la trame, le passage de 22 à 13 régions a pour effet de diluer encore plus les informations.

Des travaux sont ainsi produits sans questionner cette trame (Pestanaa et al., 2011). Or elle n’a aucun sens. Il suffit d’analyser les cartes produites à l’échelle communale pour se rendre compte que la fréquentation des littoraux se réduit aux communes disposant d’une façade maritime, et de quelques autres situées en arrière-pays, mais à une dizaine de kilomètres en profondeur, guère plus, en dehors de la Provence.

Il y a rarement adéquation entre l’espace institutionnel et l’espace fréquenté. Soit, une faible part du premier peut être qualifiée de touristique, par exemple le Val de Loire n’est qu’un liseré étroit qui traverse la région Centre-Val de Loire, comme la Bretagne est essentiellement habité touristiquement le long de ses périphéries côtières. Soit, l’entité touristique est malencontreusement partagée entre deux unités administratives différentes, comme la vallée de la Dordogne et ses affluents, entre le Périgord et le Lot. Ce qui revient à diviser par deux la fréquentation lorsqu’elle est mesurée par département.

L’approche par les structures spatiales ne vaut guère mieux

D’autres géographes lisent la régionalisation à travers la grille des types d’espace, soit les littoraux, les montagnes, les villes et les campagnes. Là aussi, cette approche est globalisante et gommes les disparités. Cette approche a été privilégiée par Georges Cazes (1982), Daniel Clary (1993) et par Nacima Baron-Yelles (1999) qui se gardent bien de produire une carte régionale du tourisme en France selon cette grille de lecture. C’est le plan des ouvrages qui l’explicite.

Pour d’autres lectures

Plusieurs grilles de lecture différentes ont été proposées. La première, due à Rémy Knafou (1997) propose une approche qui combine l’intensité de la touristicité et une dimension historique.

Ill. 1. L’espace touristique de la France en Europe selon Rémy Knafou (source: Knafou, 1997: p. 125)

La seconde perspective appréhende l’espace français à partir les pratiques dominantes des touristes (Mondou et Violier, 2009). Partant de l’analyse que les individus choisissent une destination en fonction de normes ou de codes sociaux et selon leur projet, lequel dépend de leur vécu antérieur, notamment pendant l’année qui précède, il est possible d’identifier des pratiques dominantes et de les corréler avec les destinations sélectionnées (Violier, 2017, Ill. 2). En tenant compte des données communales, une première carte a donc pu être établie.

Ill. 2. Les régions touristiques de la France en Europe (source: Violier, 2017: p. 277)

Une troisième approche est fondée sur l’analyse historique de la mise en tourisme. En effet, deux processus peuvent être distingués (Violier et al., 2021). D’une part, la mise en tourisme résulte du détournement à des fins recréatives des richesses accumulées par le développement économique. Ainsi, Paris s’est imposée comme une des destinations les plus fréquentées dans le Monde, mais nous proposons d’étendre à toutes les destinations fondées sur la découverte d’un patrimoine historiquement constitué. D’autre part, des lieux touristiques ont été inventés et créés ex-nihilo dans les marges du territoire national, le long des littoraux et dans les massifs de montagne. Ce schéma simple s’est complexifié autant du fait de l’intérêt croissant pour la découverte des espaces peu humanisés, que par la production de patrimoine à partir des héritages issus des formes anciennes de tourisme, notamment le long des littoraux.

Philippe VIOLIER

Bibliographie

  • Baron-Yelles Nacima, 1999, Le tourisme en France territoires et stratégies. Paris, Armand Colin, coll. «Prépa Géographie», 219 p.
  • Cazes Georges, 1986, Le tourisme en France. Paris, PUF, coll. «Que-sais-je?», 126 p.
  • Daniel Clary, 1993, Le tourisme dans l’espace français. Masson, coll. «Géographie», 376 p.
  • Knafou Rémy, 1997, Atlas de France, Tourisme et loisirs. Paris, La documentation française, 126 p.
  • Mondou Véronique et Violier Philippe, 2009, En collaboration avec, «Projets, pratiques et lieux touristiques, quelles relations?», Mappemonde. vol. 94-2, 15 p., en ligne.
  • Pestanaa Barros Carlos, Botti Laurent, Peypoch Nicolas, Robinot Elisabethe, Solonandrasana Bernardind, Assaf A. George, 2011, «Performance of French destinations: Tourism attraction perspectives», Tourism Management. vol. 32, p. 141–146, en ligne.
  • Violier Philippe, 2017, «Les régions touristiques de la France», dans Fagnoni Edith (dir.), Les espaces du tourisme et des loisirs. Paris, Armand Colin, coll. «Horizon», p. 271-282.
  • Violier Philippe, Duhamel Philippe, Gay Jean-Christophe, Mondou Véronique, 2021, Le tourisme en France. Volume 2: approche régionale, Londres, ISTE Editions, 232 p.