Voyage organisé

Le voyage à forfait ou voyage organisé se constitue d’un assemblage de prestations réalisé par un opérateur en vue d’une commercialisation auprès des touristes en l’état ou adapté à une demande spécifique. Le langage courant le qualifie de produit touristique alors même que la participation des touristes renvoie à une co-production et à une simultanéité de la production et de la consommation propre aux activités de service telle que Jean Gadrey (1992; 1996) a proposé le terme de servuction pour qualifier ces opérations.

Une technologie spatiale

Le voyage organisé fait l’objet de critiques acerbes de la part des élites qui jugent les comportements de leurs contemporains sans clairvoyance, eux qui bénéficient des privilèges accumulés, les dispensant d’y recourir. En effet, la mobilité suppose des dispositions et des compétences qui sont l’apanage des héritiers (Guibert, 2016). Dans Les Bidochons en voyage organisé (1984), Christian Binet met en scène, avec humour, Monsieur et Madame Bidochon qui prennent pour la première fois l’avion à destination d’un pays imaginaire mais que les images mobilisées situent plutôt à l’Est de l’Europe. L’accompagnateur couve son groupe et infantilise les participants, ce qui ne les empêche pas de se révolter et de manifester leur mécontentement face au caractère répétitif des visites de monastères. Au contraire dans les critiques bien pensantes les touristes sont des moutons contraints et embrigadés.

Or outre, que l’accès à un forfait manifeste un libre choix, le voyage organisé constitue une technologie spatiale soit des «éléments de médiation […] qui vise[nt] à résoudre des problèmes d’espace […], distance, […] accès, […] altérité» (Stock, dans Lévy, 2008: p. 157). En effet, les touristes dans leurs projets de circulation se heurtent à la distance et à l’altérité du Monde définie comme «la qualité de ce qui est autre pour un individu dont l’identité personnelle (“identité je”) et l’identité sociale (“identité nous”) sont les référents familiers, voire non questionnés par rapport à un monde étranger dont les normes et conventions et manières de faire sont radicalement autres» (Stock dans Lévy, 2008: p. 147). Ainsi, le voyage à forfait constitue la réponse adaptée aux problèmes auxquels se heurtent les individus, peu dotés, qui souhaitent parcourir le Monde.

L’accumulation des dispositions et des compétences acquises par la pratique et par les socialisations, notamment familiales  et par les apprentissages (Brugère et Fabbiano, 2014) suggère que le voyage organisé sous sa forme la plus pure, soit le tout compris, est en recul face à la diversification et à l’accroissement des formes plus autonomes. Le développement d’internet et des réseaux sociaux jouent  dans le même sens. Ainsi, la diversification des modes d’accès aux lieux participe de la troisième révolution touristique (Violier, 2016).

Cependant, l’état actuel de la statistique touristique ne permet pas de mesurer précisément ces évolutions. D’une part, elles sont complexes. S’il semble que les plus dotés parviennent à s’affranchir des cadres les plus rigides, il est probable que l’accès de nouvelles couches sociales, du fait de la hausse du pouvoir d’achat ou du fait d’innovations technologiques, continue à alimenter les voyages tout-compris. À l’échelle mondiale, l’entrée sur la scène touristique des individus issus des sociétés émergentes les renforcent notamment.

D’autre part, les lacunes de la statistique touristique ne permettent pas d’apprécier précisément ces évolutions. Notamment, l’approche trop globale des mobilités qui confond le tourisme avec d’autres déplacements de nature très différente, conduit à des évaluations très approximatives. Ainsi dans les Mémentos du tourisme édités par la DGE, les voyages personnels sont appréciés mais cela inclut les visites aux parents et amis, qui ne sont pas toujours touristiques, et qui ne supposent pas de toute évidence de réservation ou d’activation des acteurs professionnels du tourisme.

Qui se divise en deux, et plus

Deux formes majeures de voyage organisé ou forfait sont proposés pour habiter touristiquement le Monde (Violier, 2017). Le circuit qui se présente sous la forme d’un réseau de lieux constitué par les pérégrinations des touristes participe de la pratique de découverte tandis que le séjour, généralement proposé en un lieu, parfois deux, convient plutôt au repos, notamment dans un comptoir.

Il existe cependant des exceptons et des nuances. Tout d’abord, le combiné offre d’articuler un temps de repos en fin de circuit. C’est notamment le cas lorsque la partie amont est particulièrement éprouvante, il en est ainsi des croisières le long du Nil, ponctuées d’étapes au lever ou au coucher du soleil pour varier les vues sur les monuments et les paysages, ou des safaris qui requièrent des levers matinaux et des sorties vespérales imposées par les comportements des animaux recherchant la fraicheur. Ensuite, des séjours, durant plusieurs jours, et donc nuitées, passées dans un seul hébergement, sont adaptés à la découverte des métropoles où l’accumulation des objets proposés à la visite  le justifie. Enfin, des circuits, dits en marguerite ou en étoile, organisent un projet de découverte autour d’un seul lieu d’hébergement situé en position centrale. Il s’agit d’une adaptation pour un projet de découverte destinée à des publics caractérisés par une mobilité réduite. Les tour-opérateurs autocaristes sont des spécialistes de cette formule.

Philippe VIOLIER

Bibliographie

  • Brougère Gilles et Fabbiano Giulia (dir.), 2014, Apprentissages en situation touristique. Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 192 p.
  • Gadrey Jean, 1992, L’Économie des services. Paris, La Découverte, 124 p.
  • Gadrey Jean, 1996, Socio-économie des services. Paris, La Découverte, 124 p.
  • Guibert Christophe, 2016, « Les déterminants dispositionnels du « touriste pluriel ». Expériences, socialisations et contextes », SociologieS, Théories et recherches. en ligne.
  • Stock Mathis, 2008, « El Mundo è mobile », dans Lévy Jacques (dir.), L’Invention du Monde. Une géographie de la mondialisation. p. 133-158.
  • Tissot Laurent, 2000, Naissance d’une industrie touristique. Les Anglais et la Suisse au XIXe siècle. Lausanne, Éditions Payot, 302 p.
  • Violier Philippe, 2016, « La troisième révolution touristique », Mondes du tourisme. hors-série, en ligne.
  • Violier Philippe, 2017, « Chapitre 8 : Comment les individus habitent-ils touristiquement le Monde », dans Fagnoni Edith (dir.), Les espaces du tourisme et des loisirs. Armand Colin, Horizon, p. 89-99.