Ville touristifiée

La ville touristifiée relève de la typologie des lieux touristiques. Pour la distinction entre ville ou village le lecteur se référera à l’entrée Village touristifié.

Un processus de déclassement puis de reclassement

La ville ou le village touristifié(e) est un lieu qui a suivi un processus de touristification qui s’est opéré en deux étapes. Lors de la première, la ou les fonctions traditionnelles ont décliné, disparaissant totalement ou presque ou ne permettaient plus au lieu s’assurer sa dynamique comme cela avait été le cas auparavant. De plus, contrairement à une idée reçue, dans la plupart des cas, l’effacement du rôle à l’origine de la puissance du lieu a été antérieur à l’affirmation du tourisme. Ainsi, le tourisme ne «tue» pas les activités traditionnelles mais s’impose au moment où elles connaissent des fragilités ou des crises majeures.

Cette situation s’explique par des causes externes sans lien avec la nouvelle spécialisation touristique. Ainsi, le déclin de Venise est dû à plusieurs facteurs: la concurrence exercée par Gênes, qui a fini par l’emporter, la mainmise exercée par l’Autriche et l’incapacité de la société locale à se réformer comme à la recomposition profonde de l’axe rhénan à l’heure où se construit un nouvel ordre mondial autour de l’Atlantique. La population de cette ville passe de 180.000 en 1790 à 30.000 en 1850. Venise apparaît alors comme une ville morte à l’heure où les voyageurs romantiques circulent pleinement en Italie et s’en «emparent» pour servir leurs desseins artistiques. Autre exemple, Tolède a perdu son statut de capitale du fait de la décision prise par Philippe II d’en établir une nouvelle à Madrid, en 1561 (Ill.1).

Ill. 1. La vieille ville de Tolède perchée sur son promontoire. Un parking a été creusé dans les flancs de la colline tandis qu’un escalator a été installé pour faciliter l’accès au centre-ville (cl. Philippe Violier, juillet 2011).

Dans un second temps, le tourisme et la patrimonialisation prennent d’autant plus place que l’histoire riche du lieu a livré des héritages impressionnants. Il est ainsi possible d’affirmer que sans le tourisme Venise aurait achevé sa brillante histoire comme ruine et carrière de pierres à bâtir. Dans certains cas même, la touristification a été précédée par une reconstruction à l’identique comme à Rothenburg, en Bavière, détruite par un bombardement américain en 1945 (Ill.2).

Ill. 2. Rothenburg petite cité de Bavière reconstruite à l’identique après un bombardement qui la détruisit fortement en 1945 (cl. Philippe Violier, août 2018.).

Mais aussi des quartiers

Dans les métropoles, il est possible de pointer des quartiers touristifiés, soit des secteurs où la place du tourisme est devenue essentielle et où la modernité n’a pas, ou peu, percé. Montmartre constitue un bon exemple, où même les garçons de café de la place du Tertre semblent patrimonialisés dans leurs tenues avec larges bretelles et casquettes. À Beijing, les hutongs, rues des quartiers traditionnels situés au nord de la Cité Impériale accueillent désormais les touristes dans les vieilles siheyuan, maisons à cour carrée (Ill.3). Ces habitations, autrefois dévolues aux familles prestigieuses, ont été investies après la révolution par d’autres plus modestes. Puis, avec le temps, elles se sont dégradées. Promises à la destruction lors de la transformation de Beijing dans la phase de modernisation enclenchée par l’ouverture économique, elles auraient pu disparaître complétement. Le regard des touristes est venu alors soutenir les prises de position des intellectuels chinois en faveur de leur patrimonialisation. À partir de 1994, des ensembles sont protégés et le tourisme s’y insinue par des réceptions organisées avec des habitants sélectionnés, par des promenades en cyclopousses ou en vélo, puis par l’accueil pour des nuitées.

Ill. 3. Page du site internet The China Guide, agence réceptive qui vante la visite des hutongs (source: https://www.thechinaguide.com/fr/activity/hutong-rickshaw-tour-with-local-family-visit, consulté le 27 septembre 2009).

La touristification, un problème?

La touristification est à l’origine de discours vindicatifs qui pointent tous les excès et s’appesantissent sur le sort des habitants. Outre qu’une partie de ces derniers tire profit de l’accueil, la situation impose des adaptations car l’ancienneté de la production et de la conception du lieu entre en contradiction avec une fréquentation devenue intense, voire excessive pour certains observateurs et analystes comme le montre la floraison des expressions de surtourisme, overtourisme ou autres, souvent appliquées aux villes touristifiées mais non exclusives. L’étroitesse des rues induit la création de parkings en périphérie, tandis que des règles réservent la circulation ou le stationnement aux résidents (Ill.4), assouplissent à leur égard les contraintes imposées aux touristes (Illl.5), organisent l’activité de livraison (Ill.6). Des solutions sont mises en œuvre parfois depuis longtemps.

Ill. 4. Stationnement réservé aux résidents à proximité de la porte San Marco à Sienne (cl. Philippe Violier, 21 mai 2022)

Ill. 5. Deux heures de gratuité sont autorisées aux seuls résidents à Volterra en Toscane (cl. Philippe Violier, 25 mai 2022).

Ill. 6. La touristification impose des règles drastiques aux livreurs, ici à Volterra. Obligés de laisser leur camion à l’entrée du centre historique, ils doivent poursuivre à pied (cl. Philippe Violier, 25 mai 2022).

Philippe VIOLIER