Typologie des tourismes

Il est courant dans le monde professionnel d’inventer un tourisme de quelque chose. Cela semble une condition pour se distinguer au sein de l’offre. Mais les chercheurs abondent dans le même sens. Les tourismes constituent ainsi un ensemble aussi prolifique qu’hétéroclite. Tout cela mérite une sérieuse clarification.

Une approche discutable

L’approche typologique qui énumère les tourismes de quelque chose souffre de plusieurs limites.

Premièrement, elle est chez certains auteurs un substitut à la définition du tourisme. Ainsi Michel Frank (1997) confronté à la diversité du tourisme, soutient qu’il est impossible de définir le tourisme car il y a des tourismes: «Des tourismes qui cependant ne doivent pas occulter le fait que la mobilité voyageuse comme activité ludique et de loisir – cette “expérience non-ordinaire” définie par Urry – reste profondément élitiste, en dépit de la timide démocratisation évoquée ci-dessus, à l’échelle de la planète». Il indique cependant deux limites à cette approche extensive : la pratique sociale constitue une mobilité et elle s’inscrit dans le temps des loisirs. Il passe en revue, à la suite, une analyse critique des différentes typologies proposées par des auteur(e)s. Il souligne que ces tentatives sont vouées à l’échec: «Ces classifications inévitablement arbitraires confèrent un aperçu général du phénomène touristique. Des évaluations classificatrices présentent des perceptions divergentes, les unes aussi vraies et aléatoires que les autres… les différences existantes entre les quatre premières [catégories] sont particulièrement floues et souvent corrélatives» (p. 87-89).

À la fin de ce passage, il soumet au lecteur sa proposition: «En ce qui nous concerne, nous formulerons une typologie sensiblement différente» (p. 89). Il place alors le tourisme d’affaires en premier, ce qui est d’une totale contradiction avec son affirmation précédente (cf. ci-dessus). Et institue une sous-catégorie de «tourisme de distraction» au sein de la classe dite «Tourisme de divertissement», laquelle se distingue du tourisme culturel, dont on déduit qu’il doit être nécessairement rébarbatif.

Ensuite, le caractère extensif de cette pseudo démarche typologique se prête à une débauche imaginative qui ne serait pas dramatique si elle ne confinait à dissoudre tout déplacement dans une catégorie improbable. Ainsi, le journal français Le Monde, dans son édition du 12 mai 2007, publie un entretien au cours duquel à la question posée par Jean-Yves Nau, journaliste: «Qu’appelle-t-on précisément tourisme de transplantation?», répond: «Il s’agit du déplacement géographique de différents acteurs (personnes en quête d’un organe, chirurgiens pratiquant les greffes…) dans le seul but d’effectuer une transplantation aux dépens d’une personne vulnérable…»; puis l’entretien se poursuit: «Que sait-on de cette activité?»: «Nous connaissons des chirurgiens qui participent à de tels trafics. L’un d’entre eux – de nationalité israélienne – a été arrêté, il y a quelques jours, dans une clinique turque, pour transplantation illégale. Il existe des flux très bien identifiés, comme celui des Brésiliens qui vont se faire prélever un rein en Afrique du Sud, organe ensuite greffé sur des Israéliens…» Mais les chercheurs et chercheuses ne sont pas en reste. Percer dans l’édition et dans une revue incite à l’invention d’un tourisme de quelque chose, car cela fait nouveau et donc, de fait, c’est publiable.

Enfin, cette typologie, et tous les tourismes de quelque chose, n’est en rien une classification. En géographie, une taxonomie selon les quatre structures spatiales (rural, urbain, littoral, montagne) y ressemble au sens où elle est limitative et où chaque catégorie peut être reliée à des caractères objectivement mesurables et à des représentations variables selon les époques. Mais sa dimension heuristique est pauvre car elle se résume souvent à expliquer que: le tourisme littoral se situe au bord de la mer; de montagne en montagne; urbain en ville; et rural à la campagne… Par ailleurs, la catégorie du tourisme rural a été saisie, en France en particulier, par l’État qui l’a institué en bon tourisme et le survalorise en l’investissant de la mission de sauver les campagnes. Faut-il rappeler que, dans les sciences naturelles, la classification des animaux repose sur des caractères distinctifs qui excluent autant qu’ils incluent. Les animaux ont un squelette ou non, il est externe ou interne, ont des poils ou des plumes…

Page de définitions des tourismes

Exemple de quelques définitions des tourismes, dans Florence Brière-Cuzin et Danielle
Dépaux, Lexique du tourisme, Ellipses, 2014 (cl. Johan Vincent)

Qu’en faire? Poubelle ou tri sélectif?

Cela étant, cette approche mérite-t-elle d’être définitivement abandonnée? Elle est commode pour appréhender la diversité de l’offre. Puisque le tourisme, dans une approche économique, est un marché capitaliste, une telle approche a sa pertinence. Par ailleurs, la typologie, ou classification, ou taxonomie, est une forme de raisonnement qui a du sens pour appréhender la diversité du réel. Il en est ainsi en biologie à propos des espèces animales ou végétales, à condition de fixer des règles.

Une première règle consisterait à ne pas profiter de l’aubaine pour étendre le concept de tourisme à toute mobilité, car le risque est grand qu’il échappe à toute analyse scientifique et à tout débat. Car, ces deux derniers termes supposent de s’entendre un minimum sur le sens donné aux mots que nous utilisons. Par exemple, qu’est-ce qui distingue l’œnotourisme de la vente directe de vin à des individus, de passage, mais qui résident dans la ville voisine? Ainsi, toute approche typologique commence par définir les caractères communs aux catégories que la classification va énumérer. En l’occurrence, un type de tourisme doit obligatoirement s’inscrire dans l’espace hors-quotidien et viser la recréation des individus.

Une seconde règle est induite par la première: l’invention d’un nouveau type doit être précédée d’une justification sérieuse fondée sur l’analyse des travaux déjà produits, laquelle met en évidence une différence de nature patente. Par exemple, le tourisme vert recouvre-t-il ou non le tourisme rural?

Un troisième engagement voudrait que les chercheurs prennent en considération que cette approche par l’offre ne peut se substituer à une approche par la demande, laquelle analyse les comportements des individus socialisés. Or, l’approche par les pratiques met en lumière que la plupart des touristes mettent en œuvre des combinaisons. Elles sont dominées cependant par un projet caractéristique de la société au sein de laquelle la pratique s’inscrit. Ainsi, si les Occidentaux privilégient, au sens du plus grand nombre, le repos: l’été, les plages, le bain chaud et le bronzage; les Chinois au contraire, pour une finalité identique, préfèrent la campagne et l’esthétique du corps blanc.

Philippe VIOLIER

Bibliographie

  • Michel Frank, 1997, Tourisme culture et modernité en pays toraja, Sulawesi-sud, Indonésie. Paris, L’Harmattan, coll. « Tourismes et Sociétés », 285 p.