Trekking
Le terme de trekking, fréquemment employé dans le monde anglo-saxon pour qualifier la randonnée, est une pratique de découverte touristique itinérante pédestre de grands milieux naturels (montagne, désert, forêt), situés dans des espaces caractérisés par leur caractère sauvage, leur difficulté d’accès et leur éloignement des grandes concentrations touristiques. Sans être extrême, l’exigence physique et l’engagement que requiert cette activité sont supérieurs par la durée et l’intensité à celle de l’excursion ou de la simple promenade. Le trekking s’est structuré en tant que pratique touristique dans les années 1970-1980, dans l’Himalaya du Népal, d’abord, puis dans d’autres régions du monde, avec une organisation similaire. Il a donné naissance à de nombreux voyagistes spécialisés dans ce tourisme dit d’aventure et joue un rôle essentiel dans la mise en tourisme des grands espaces naturels du monde. En effet, bien que minoritaire à l’échelle du tourisme international, le trekking est un puissant facteur de diffusion spatial du tourisme. Il en constitue souvent la phase initiale et le front pionnier d’avancée de l’écoumène touristique. Il investit plus particulièrement les aires protégées et les espaces marginalisés des pays en développement (Himalaya, Cordillère des Andes, Sahara, Afrique subsaharienne, Amazonie, montagnes d’Asie du sud-est, Atlas marocain, Taurus, etc.).
Étymologiquement, le mot trekking est un anglicisme, lui-même dérivé du néerlandais «trek» mot qui signifie «migration». Il désigne historiquement le Grand Trek, migration effectuée entre 1834 et 1852 entre le Cap et les provinces du Transvaal et du Natal par les pionniers afrikaners face à l’avancée britannique, avant de désigner une randonnée pédestre en montagne. Le mot a connu sa première apparition en France dans le Petit Robert en 1975. Il est entré dans le langage courant dans les années 1980, avec la mise en marché de cette pratique par des tour-opérateurs spécialisés, d’où le terme francisé de trekkeur pour désigner le pratiquant et de trek pour désigner le circuit de randonnée effectué.
Une pratique apparentée à l’écotourisme, facteur d’extension de l’écoumène touristique
Le trekking s’inscrit dans le contexte contemporain d’une sensibilité accrue à la nature et de l’émergence d’un ensemble de pratiques fortement distinctives, regroupées sous le terme de tourisme alternatif ou encore d’écotourisme. Leur point commun est le rejet du tourisme de masse, la recherche d’une certaine altérité et d’une forte exclusivité (Lapompe-Paironne, 2008). Pratiqué à l’origine par des amateurs de grande randonnée en montagne, il s’est étendu rapidement à des touristes désireux de découvrir, à travers la marche, des espaces naturels préservés, plus ou moins accessibles, encore peu touristiques ou faiblement aménagés et habités par des minorités ethniques ayant conservées leurs modes de vie traditionnels.
Dans sa version marchande, il est vendu depuis les années 1980 par des tour-opérateurs spécialisés, principalement européens, nord-américains, japonais et australiens, sous la forme de voyages en petits groupes, «hors des sentiers battus», sous-traités pour la logistique à des agences de trekking locales, dont le Népal a servi de modèle (Sacareau, 1997). La faiblesse des infrastructures touristiques conduit les touristes à camper, ou à loger chez l’habitant ou dans de modestes lodges ou guesthouses aménagés par ces derniers. Les sacs à dos des touristes et les vivres sont acheminés à dos d’hommes par des porteurs ou confiés à des véhicules ou des caravanes d’animaux (mules et yacks dans l’Himalaya, dromadaires au Sahara, mules dans l’Atlas marocain, lamas dans les Andes). L’inconfort et les aléas du voyage sont présentés comme le prix à payer pour garantir son exclusivité, tandis que l’imprévu est valorisé comme une des dimensions essentielles de l’aventure, même si la logistique mise en œuvre limite cette dernière au maximum (Tinard, 1992).
La faible taille des groupes encadrés donne également l’illusion d’un plus faible impact sur les destinations visitées et d’une rencontre plus authentique avec les populations. Pourtant, la venue régulière de touristes, même en petit nombre, n’est pas sans effets sur l’environnement (dérangement possible de la faune, déchets qu’il faut gérer, érosion des sentiers, participation à la déforestation, etc.) comme sur l’économie et la société locales.
Dans les espaces très peu peuplés et très enclavés, la présence de touristes même en petit nombre produit nécessairement des changements au sein des sociétés d’accueil et de l’environnement, lorsqu’il s’agit d’accueillir des touristes dont les besoins s’ajoutent à ceux des habitants ou ne peuvent pas être satisfaits localement. Cela se traduit le plus souvent par l’importation de produits alimentaires, sans grandes retombées pour les habitants, et par une faible intégration de l’activité touristique à l’économie locale, du moins au début du processus de mise en tourisme.
Toutefois, comme la plupart des circuits de terkking se déroulent au sein d’aires protégées, les groupes de touristes, comme les populations qui les accueillent, y sont soumis à des modes de gestion plus ou moins contraignants, qui visent précisément à limiter les impacts négatifs du tourisme sur l’environnement (restrictions sur l’utilisation de ressources locales comme le bois de chauffe, recours à des sources d’énergie alternatives, systèmes de ramassage des déchets, limitation du nombre de touristes sur certains itinéraires, réglementation des constructions).
De plus, dans certains pays, comme le Népal ou le Bhoutan, l’État soumet la pratique du trekking à un permis payant, qui s’ajoute aux droits d’entrée dans les aires protégées, ces derniers étant censés financer la protection de l’environnement et le développement local. Ces permis de trekking sont à la fois une source de revenus pour l’État et un moyen de contrôler les flux touristiques tout en assurant sa présence dans des espaces périphériques mal intégrés (Michaud, 1998).
Des systèmes touristiques localisés portés par des acteurs mondialisés
Aux acteurs originels, associant des touristes découvrant des espaces encore peu fréquentés et des sociétés locales prêtes à les accueillir, avec ou sans l’intermédiation de tour-opérateurs étrangers spécialisés, se sont ajoutés dans la période récente les États et des institutions internationales (Banque Mondiale, PNUD, UNESCO), ainsi que de multiples ONG internationales (WWF, IUCN) ou locales. Ces dernières voient dans le trekking une forme d’écotourisme respectueuse de l’environnement et des sociétés locales, capable de favoriser le développement d’espaces enclavés ou en difficulté et de lutter contre la pauvreté. Or, les retombées de ce tourisme à l’échelle locale varient selon la nature des espaces concernés, l’ancienneté de l’activité touristique, ses modalités (en autonomie ou en groupes organisés, chez l’habitant, en lodge ou sous tente, durée des treks), et surtout selon le système d’acteurs qui l’a produit et le degré de maîtrise que les habitants ont de leur territoire et du système touristique local.
Si les retombées économiques du trekking peuvent paraître relativement modestes ou inégalement partagées, elles jouent cependant à l’échelle locale, un rôle significatif pour les populations qui s’investissent dans cette activité à travers des emplois de guides, de porteurs ou à travers l’ouverture de chambres chez l’habitant et la construction de petits hébergements, qui ne nécessitent pas de lourds investissements.
Au fur et à mesure de la croissance de la fréquentation touristique, les hébergements se multiplient et se diversifient, leur confort s’améliore. Des restaurants fleurissent le long des sentiers, des boutiques de souvenirs ou de services aux touristes s’implantent dans les points de départ et d’arrivée des treks et dans les lieux-étapes reconfigurant profondément la société d’accueil et son économie. Certains lieux-étapes, les plus accessibles, finissent même par s’autonomiser en proposant des excursions de plus courte durée ou des séjours de découverte de la vie rurale dans des homestay, formule de logement chez l’habitant de développement récent sur certains itinéraires (Derioz et Létang, 2020).
Dans certains pays où le trekking est récent et le système d’acteur dominé par l’État ou des tour-opérateurs extérieurs à la région, comme en Chine, au Viet Nam, en Thaïlande ou au Laos, la population locale ne joue que peu de rôle et ne bénéficie que peu du court passage des groupes de touristes. En revanche, dans des destinations plus anciennes, comme au Népal ou au Maroc, les acteurs locaux tiennent une place non négligeable dans un système touristique qui n’est que partiellement contrôlé par des acteurs extérieurs (tour-opérateurs étrangers, agences réceptives locales). C’est le cas des Sherpa de la région de l’Everest au Népal qui ont su opérer une véritable ascension sociale grâce au tourisme, leur permettant d’ouvrir leurs propres agences de trekking dans la capitale et de fournir du travail à leurs familles restées au pays. Ce faisant, ils se sont affirmés comme les principaux acteurs de la construction et du contrôle du système touristique à l’échelle locale comme à l’échelle nationale, voire internationale (Sacareau, 1997, Jacquemet 2018).
Tantôt présenté comme un modèle vertueux d’écotourisme opposé au tourisme de masse, tantôt comme une activité qui dégrade l’environnement et perturbe des sociétés locales, prises à l’instar des touristes comme un tout uniforme, le trekking n’échappe pas aux critiques contradictoires. Il ne peut pourtant y avoir de développement touristique sans transformation des territoires. En contribuant à l’ascension sociale d’au moins une partie de la société locale et à un certain enrichissement des territoires concernés, le trekking favorise ainsi l’intégration à la mondialisation de régions jusque-là marginalisées (Goery, 2011).
Bibliographie
- Dérioz Pierre et Letang Mauve, 2020, «Le Mardi Himal Trek (versant sud des Annapurnas, Népal) et les évolutions récentes des pratiques de trekking», Via Tourism review. n°17, mis en ligne le 20 octobre 2020, consulté le 4 octobre 2021, en ligne.
- Jacquemet Etienne, 2018, La société sherpa à l’ère du yackdonald, lutte des places pour l’accès aux ressources dans la région touristique de l’Everest. thèse de l’Université Bordeaux Montaigne, 432 p.
- Goeury David, 2011, Les espaces du mérite: enclavement, tourisme et mondialisation, le cas de Zaiouïat Ahansal (Haut-Atlas central, Maroc) et du Zanskar (Himalaya, Inde). Thèse de Géographie de l’Université Paris IV, 728 p.
- Lapompe-Paironne Lionel, 2008, Tourisme de masse et tourisme alternatif. Une approche par les pratiques. Thèse de Géographie, décembre, 361 p.
- Michaud Jean, 1998, «Tourisme et contrôle étatique dans les périphéries nationales: étude de cas chez les minorités montagnardes d’Inde et de Thaïlande», dans Franck Michel (dir.), Tourisme, touristes, sociétés. Paris, L’Harmattan, coll. «Tourismes et Sociétés», p. 289-313.
- Sacareau Isabelle, 2014, «Marcher dans l’Himalaya, imaginaires et pratiques», dans Guichard-Anguis Sylvie, Frérot Anne-Marie et Da Lage Antoine (ed.), Natures, miroirs des hommes?, Paris, L’Harmattan, coll. «Géographie et Cultures», p. 165-178.
- Sacareau Isabelle, 1997, Porteurs de l’Himalaya, le trekking au Népal. Paris, Belin, coll. «Mappemonde», 271 p.
- Tinard Yves, 1992, «Le tourisme d’aventure, un concept évolutif», Cahiers Espace. n°29, p. 8-19.