Transport aérien et modèles de compagnies
L’avion, inventé pour la guerre, a été converti aux voyages civils, notamment à destination des touristes. Avec les appareils à réaction, les longues distances ne sont plus un obstacle après les années 1950.
Les compagnies aériennes: une adaptation permanente à la concurrence et aux attentes des passagers
Depuis le premier vol commercial en 1914, le secteur du transport aérien a connu de nombreuses mutations. Porté par des innovations technologiques et les évolutions de la demande, notamment touristique, il s’est structuré autour de la création de différents types de compagnies. Les compagnies nationales européennes sont nées dans les années 1920-1930 sont l’impulsion des États soucieux de disposer d’un mode de transport utile au développement économique mais aussi et surtout de posséder un outil, symbole de la puissance nationale. Ces compagnies sont d’ailleurs nommées en anglais «flag carrier», pour compagnie «porte-drapeau», à l’image de leur nom commercial et leurs couleurs. Si en Europe, l’essentiel de ces compagnies ont été privatisées et ont fusionné avec d’autres opérateurs (Air France-KLM, groupe Lufthansa, groupe IAG regroupant notamment British Airways et Iberia), elles restent tout de même liées à leur État par le biais de participations dans le capital ou en obtenant des aides financières, comme la pandémie de Covid l’a démontré.
L’Europe et l’Amérique ont été les premiers continents à voir se structurer le secteur du transport aérien, mais tout au long des décennies 1950 à 2000, un certain nombre de pays ont fait le choix de posséder une compagnie nationale afin d’améliorer leur accessibilité sans être dépendant de la stratégie de compagnies étrangères et de stimuler leur économie principalement par le tourisme. Des compagnies telles que Singapore Airlines, Vietnam Airlines, Air Seychelles ou Air Mauritius sont une émanation d’une volonté politique et sont contemporaines de l’indépendance des pays qui les ont vues naître. Enfin, les compagnies du Golfe persique, avec les trois fers de lance que sont Emirates, Etihad et Qatar Airways, sont représentatives de la capacité des compagnies aériennes de participer du soft power à l’œuvre dans cette région du monde et constituent une des facettes de leur volonté de diversification économique. Au même titre que des équipements culturels ou des manifestations sportives, elles sont aussi des outils de rayonnement international.
Le transport aérien a profondément stimulé le développement touristique. L’avion à réaction, mis en circulation dans les années 1950, a permis de s’affranchir des longues distances, grâce à une vitesse multipliée par deux, d’augmenter les capacités et de réduire les coûts opérationnels. Cela a alimenté la croissance du nombre de voyageurs transportés (de 31 millions en 1950, on franchit le cap du milliard en 1987 pour atteindre 4,59 milliards de passagers en 2019). Plus performant que le bateau, il se diffuse auprès des clientèles touristiques et est un outil utilisé par un certain nombre de pays qui s’érigent ou se renforcent en tant que destination touristique internationale. Les espaces insulaires (en Méditerranée, Caraïbe, mais aussi dans l’Océan Indien ou Pacifique) ont particulièrement profité de ce gain d’accessibilité.
Grâce à sa vitesse élevée, sa forte capacité et son long rayon d’action, l’avion est un mode de transport particulièrement efficace face aux autres moyens de transport notamment le bateau, aujourd’hui utilisé, pour les longues traversées, uniquement à des fins touristiques. Il permet de s’affranchir des distances et d’accéder rapidement et dans de bonnes conditions de sécurité et de confort à une destination ou de rejoindre différentes étapes lors d’un circuit.
Cependant, l’avion peut aussi être dans des cas rares l’objet principal de la pratique touristique notamment dans les tours du Monde, effectués en six jours aujourd’hui.
L’avion, privilège élitaire progressivement mis à la portée des touristes et du plus grand nombre, ou presque
La massification du tourisme a entraîné une transformation de l’offre en Europe occidentale et en Amérique du Nord à partir des années 1950. L’avion, d’abord réservé aux clientèles fortunées ou voyageant pour motif professionnel, s’est ouvert à l’agrément. L’offre des compagnies dites traditionnelles s’est adaptée en proposant une classe «tourisme» devenue ensuite «économique» et en proposant des destinations touristiques.
Mais on observe aussi, à partir des années 1950, l’apparition de compagnies dédiées au tourisme: les charters dont la traduction française «affréter» exprime leur fonctionnement puisque la réservation se fait par l’intermédiaire d’un professionnel du tourisme, une agence de voyage ou un tour-opérateur, qui affrète une partie ou la totalité d’un vol auprès d’une compagnie charter. Le recours à un intermédiaire s’explique par le faible capital mobilitaire des touristes peu habitués à cette pratique dans un pays étranger et ne disposant pas des moyens techniques pour connaître et accéder à l’offre. Passer par un intermédiaire limite donc l’altérité et facilite l’accès à l’offre aérienne.
Autre signe des temps, ces compagnies se sont majoritairement développées en Europe et en Amérique du Nord, principaux foyers émetteurs de touristes. La priorité des touristes étant de bénéficier des tarifs les plus accessibles, le modèle est donc organisé dans cet objectif. Ainsi, les vols sont associés à d’autres prestations terrestres (hébergement, restauration et visites ou activités de loisirs) et sont vendus sont forme de packages tout-inclus. Les prestations au sol et à bord sont réduites (une seule classe, confort limité…), là aussi pour optimiser les coûts et donc diminuer les prix de vente. L’optimisation du taux de remplissage participe aussi à la réduction du prix du billet. L’offre en vols est relativement limitée car les compagnies effectuent des rotations une fois par semaine, en accord avec la durée des séjours, et proposent des vols saisonniers, pendant la saison estivale vers des destinations associées au tourisme de masse telles que les Canaries ou la République Dominicaine. Lors de leur invention, ces compagnies se sont heurtées à la résistance des États soutenant leurs «compagnies».
La révolution des low cost
Cependant, dans les années 1990, les pratiques évoluant, les compagnies charters sont devenues moins attractives et ont dû renouveler leur modèle en s’inspirant d’un nouveau type de compagnies, les low cost, qui ont su capter cette clientèle touristique en proposant des prestations davantage en phase avec les attentes contemporaines: des prix toujours bas mais davantage de flexibilité. Les low cost ont été inventées aux États-Unis avant de connaître un succès mondial s’accordant ainsi à la diffusion internationale du tourisme et plus généralement des besoins en mobilité. La radicalité du fonctionnement des low cost a transformé le rapport au transport aérien et a obligé les autres compagnies à s’adapter à cette nouvelle concurrence au risque sinon de disparaître.
Les compagnies low cost ont simplifié le produit aérien (d’où le nom de «no frills» donné à ces compagnies en anglais) en se limitant à vendre uniquement une prestation de transport sans services supplémentaires, ou en tous les cas, non inclus dans le prix de vente du billet. Cette recherche de baisse des coûts est systématique et concerne toutes les composantes du modèle (flotte, aéroports, distribution, personnel, marketing…). Par ailleurs, ces compagnies arrivent à optimiser la recette globale en générant un volume de billets important et en proposant des services payants apportant des recettes additionnelles.
La combinaison de ces deux éléments assure le succès commercial de ces compagnies privées et indépendantes des États tout en répondant à la demande des passagers. Ces derniers ont évolué depuis la création des low cost. La principale clientèle cible est composée de touristes. En proposant des destinations court et moyen-courriers à des tarifs accessibles, elles s’accordent à la transformation des pratiques touristiques privilégiant les courts séjours. Aujourd’hui elles visent aussi les voyageurs d’affaires mais aussi les passagers se déplaçant pour rendre visite à des amis ou à la famille. Les low cost accompagnent donc aussi les vastes mouvements diasporiques et favorisent les mobilités affinitaires.
Ainsi, les compagnies aériennes évoluent et s’adaptent aux évolutions sociétales en transformant leur modèle. Ce mode de transport militaire à l’origine, puis élitiste et dédié aux voyages d’affaires s’est ouvert et a été transformé par le tourisme.
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