Site touristique

Dans le langage courant, tout est site. Nous relevons ainsi que dans le Memento du Tourisme édité par la DGE, une entrée «Site touristique de France» clôt l’ouvrage et rassemble pêle-mêle Disneyland, le Musée du Louvre, le Domaine de Versailles, la Tour Eiffel, Le Puy du Fou… soit des établissements et des sites. En géographie, un site est «un espace considéré comme localisation possible d’une possible installation» (Lévy, 2013). Le terme est repris dans la typologie des lieux touristiques proposée par l’Équipe MIT en 2002.

Caractères communs

Le site se caractérise par la prédominance d’une fonction de découverte ou de jeu, au sein du tourisme, et au contraire par l’absence de capacités d’hébergement, sauf de manière marginale, contrairement à une partie des comptoirs qui offrent une palette complète de fonctions touristiques.

Le site n’est pas, par ailleurs, un lieu de vie permanent. En cela il se rapproche des comptoirs. Il n’y habite pas de population en dehors éventuellement des différents professionnels employés pour son entretien ou pour la fonction d’accueil du public. De ce fait ces lieux sont ouverts à la journée le plus souvent, plus rarement à l’occasion d’événements nocturnes ou lorsqu’une structure d‘hébergement y est implantée, mais à la différence du comptoir la capacité est très inférieure au nombre total des visiteurs.

L’introduction d’hébergements est liée à la dynamique économique. La volonté de maintenir l’intérêt du public, notamment dans une perspective de répétition de la fréquentation après une première visite, conduit à proposer régulièrement de nouvelles expériences. La diversité de l’offre finit par justifier le passage d’une fréquentation à la journée mais aussi du court séjour. De ce fait, il devient opportun pour le gestionnaire de proposer que les nuitées se passent sur place. À terme, le site peut basculer en comptoir.

Catégories

Au-delà, une distinction peut être opérée entre les sites constitués à partir d’une construction humaine et ceux qui doivent leur touristicité à un donné particulier distingué au sein d’une société.

Les sites construits

Une première catégorie de sites rassemble les sites construits, c’est-à-dire dû pour l’essentiel à l’intervention humaine, à la différence des parcs dits naturels, que nous qualifions de donnés. En effet, les attributs ne doivent rien à l’action humaine, ils ne sont pas construits, mais ce sont bien les sociétés qui ont distingués ces lieux par le regard puis l’action notamment en les délimitant.

Ensuite au sein de cet ensemble construit figurent les sites historiquement constitués. Cela les rapproche des villes et villages. Mais à la différence de la ville touristique, le site s’inscrit comme un lieu isolé, construit pour une certaine destination et qui est investi par le tourisme à un moment de son itinéraire. Ainsi, le château de Chambord édifié pour François 1er, à partir de 1519, à des fins de résidence au cœur d’un parc boisé dédié à la chasse, est devenu une destination touristique fréquentée par près d’un million de personnes. De même, le Château du Haut-Koenigsbourg, fleuron du tourisme en Alsace, pointe à l’écart du village d’Orschwiller (Ill. 1).

Ill. 1. Château du Haut-Koenigsbourg implanté à l’écart du village d’Orschwiller (source: IGN-Géoportail)

Ces lieux ont perdu leurs fonctions initiales ou celles-ci ne sont plus exclusives, puis ils sont devenus touristiques. L’abbaye de Sénanques à Gordes (Ill. 2 et 3) illustre une variante du type, au sein de laquelle une communauté monastique a été réinstallée.

Ill. 2. Carte de Gordes dans le Vaucluse, l’abbaye de Sénanque, isolée, est implantée au nord du village (source: IGN-Géoportail).

Ill. 3. Abbaye de Sénanque isolée sur le territoire de la commune de Gordes (source: IGN-Géoportail)

L’abbaye de Sénanque a connu une histoire mouvementée. Vendue comme bien national en 1791, elle accueille à nouveau des moines en 1857. Ils sont chassés en 1903, reviennent en 1926, avant de la quitter en 1969. En 1988, une communauté s’y installe à nouveau. Classée Monument historique en deux étapes, 1921 et 1970, le site a bénéficié de l’engouement de l’industriel Paul Berliet qui en fera un centre culturel actif jusque 1988. Depuis, le lieu est ouvert à la visite.

Afin de comprendre le fonctionnement contemporain de ce site, nous appliquons cependant le raisonnement proposé par Max Weber sur l’idéal type. La diversité des formes dans le Monde invite à une approche abstractive qui élimine les éléments secondaires pour plus de clarté et pour permettre une classification. Ainsi, que Sénanque conserve une fonction religieuse ne l’exclut pas. De même, bien que le Mont-Saint-Michel comporte des hébergements et soit habité par une population permanente, qui y élit un maire, les faibles quantités des uns et des autres, par rapport au nombre des touristes, conduisent à considérer le lieu comme un site. La présence d’une concentration d’hôtels à proximité ne remet pas en cause ce choix car elle est située à l’écart et n’est pas gérée par la même direction que celle du lieu patrimonial.

Également, au sein de l’enceinte du château à Chambord trois gîtes, disposant de trois ou quatre chambres chacun, sont proposés à la location (Ill. 4 et 5) Et un hôtel au sein du village contigu, le relais de Chambord, offre 55 chambres. Ces capacités sont hors de proportion avec le nombre d’entrées au château qui frise le million. Ainsi, l’application de la démarche idéal-typique wébérienne conduit à ne pas prendre en considération le village, de taille très modeste, comme les quelques hébergements.

Ill. 4. Le château de Chambord et le parc (seule l’échelle graphique est pertinente) (source: IGN-Géoportail)

Ill. 5. Le château de Chambord et le village, vue rapprochée, (seule l’échelle graphique est pertinente) (source: IGN-Géoportail).

Nous intégrons aussi à ce concept de sites, des établissements qui, intégrés à un village, y dominent par leur rayonnement touristique, à la différence de villages touristiques, visités en tant qu’ensembles patrimoniaux, qui peuvent comprendre un objet majeur lequel n’écrase pas le lieu. Ainsi, le village de Fontevraud dans le Maine-et-Loire comprend l’abbaye la plus vaste d’Europe.

Les châteaux de Cheverny ou de Chenonceau constituent d’autres exemples.

Ill. 6. Fontevraud: le bourg écrasé par la dimension de son abbaye (source: IGN-Géoportail)

Un cas limite est proposé par les abbayes bénédictines de Solesmes, dans la Sarthe, Saint-Pierre pour les moines, Sainte Cécile pour les moniales. Elles pourraient fonctionner comme deux sites, la seconde surtout, car est positionnée à l’écart du village. Mais l’ouverture au public, est limitée à la participation aux offices, renommés pour les chants grégoriens, ainsi qu’à des intentions religieuses comme des retraites.

La dynamique des sites observent deux tendances. D’une part, la diversification des propositions qui cherche à accroître la fréquentation comme à justifier le renouvellement des visites par les individus déjà venus. Ainsi, une programmation d’événementiels culturels anime l’Abbaye de Fontevraud et une donation a été l’occasion d’ouvrir un musée d’art contemporain dans une aile. D’autre part, la création d’hébergements permet à la fois d’accroître le volume d’activité, de manière directe, mais aussi indirecte en facilitant le passage à des courts-séjours sur place plutôt que dans les alentours. Cette stratégie s’observe notamment dans les parcs à thèmes, y compris les zoos.

Les sites dits «naturels», ou sites donnés

Les espaces donnés, non bâti, mais délimités par les sociétés humaines une fois qu’ils ont été investis de valeurs liées à un ou des caractères remarquables et remarqués constituent un second ensemble de sites. Le qualificatif de «naturel» est souvent convoqué autant par les appellations institutionnelles (Parc National, Parc Naturel Régional…) que par des auteurs. Or, il masque la réalité car si l’absence ou la rareté des infrastructures peut donner l’illusion d’une origine extérieure à l’humain, la délimitation comme les discours en justifiant autant la création que la mise en tourisme, révèlent bien la nature sociale de ces territoires.

Le site naturel est apparu en tant qu’objet touristique en Amérique du Nord, et plus précisément Yosemite (state park en 1886) et Yellowstone (national park en 1872), ont été les premiers à être institués dans le Monde avant que le concept ne se diffuse et ne mute en abordant des espaces plus humanisés comme en Europe (Équipe MIT, 2005). Dans certaines régions du Monde, comme en Amérique du Nord ou en Afrique, les dimensions de ces espaces et la distance qui les sépare des régions densément habitées ont induit le déploiement d’infrastructure d’hébergement. Ainsi, à Yellowstone qui s’étend sur près de 9.000 km², soit la superficie des départements français les plus étendus, des hôtels et des campings accueillent les visiteurs. Ils sont localisés de manière concentrée dans certaines parties afin de limiter les effets de la fréquentation. On atteint là aux marges entre site et comptoir. Un rapport différent à l’environnement a également favorisé ce développement et l’accueil des touristes est plus poussé que dans certains pays d’Europe, comme en France où la doctrine tend à l’exclure ou à privilégier des formes d’ouverture plus restreintes. On atteint là les limites entre site et comptoirs.

Philippe VIOLIER

Bibliographie

  • Équipe MIT, 2002, Tourisme 1. Lieux communs. Paris, Belin.
  • Lévy Jacques, 2013, «Site», dans Lévy Jacques et Lussault Michel (dir.), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés. Paris, Belin, 1128 p.