Revenue management
Le revenue management (RM) est une pratique très rependue dans les entreprises de services proposant des produits non stockables (transport, hébergement, activités culturelles et de loisirs, etc.). Cependant, la littérature scientifique reste «imprécise» sur la définition et les enjeux de ce concept issu de l’économie du transport aérien. En outre, une enquête auprès des professionnels du tourisme et de l’hôtellerie (Meatchi, 2019) montrent que les professionnels du tourisme ont souvent une vision parcellaire du RM. Certains considèrent le RM comme une simple tactique qui consiste à augmenter ou à baisser les prix en fonction de l’offre et de la demande. D’autres refusent de recourir à cette technique qu’ils jugent injuste pour les clients et risquée pour l’image de l’entreprise (Sahut et al., 2016). Or, de nombreuses études scientifiques montrent que le RM est une approche stratégique intéressante permettant aux entreprises du tourisme de maximiser leur taux de remplissage et leurs revenus en mobilisant certains leviers tarifaires et de gestion des capacités (quantité de services offerts). Cet article vise à proposer une conceptualisation intégrative du RM à partir d’une analyser des enjeux de cette pratique stratégique pour les entreprises disposant des capacités contraintes et soumises à une demande très fluctuante.
Dans cette optique, une étude historique des pratiques du RM est réalisée afin d’identifier les facteurs qui ont contribué à l’émergence et au développement de cette pratique managériale. Ensuite, en s’appuyant sur la littérature académique et sur les discours des professionnels, une définition intégrative et une conceptualisation holistique sont proposées. Enfin, les enjeux du RM pour les entreprises du tourisme en général et pour les petites et moyennes entreprises (PME) en particulier sont analysés.
Origines du concept de revenue management: du «yield management» dans les années 1980 au «Total revenue management» aujourd’hui
Le revenue management a été inventé aux États-Unis à la suite de la dérèglementation du transport aérien en 1978. La compagnie aérienne American Airlines est à l’origine des premières techniques du revenue management, connues à l’époque sous le nom de yield management. Cette technique (désormais, revenue management) a été créé par American Airlines dans le but d’optimiser ses recettes marginales grâce à un système de tarification flexible. Cette pratique a permis à American Airlines de faire face à la concurrence des compagnies charters qui se sont développées à la suite de la dérèglementation du marché aérien américain à la fin des années 1970. Le revenue management (RM) a également permis à la compagnie American Airlines d’augmenter ses recettes de 1,4 million de dollars sur trois ans (Kimes et Wirtz, 2015). Au regard des résultats obtenus grâce aux prix variables par unité vendue, les autres grandes compagnies ont emboité le pas à American Airlines en mettant en place à leur tour un système de revenue management. Au fil du temps, cette pratique s’est enrichie de nouveaux leviers, permettant aux entreprises de services d’augmenter leurs recettes. On est alors passé de la terminologie de yield management (gestion des recettes unitaires) à celle du revenue management qui englobe le yield management et d’autres leviers stratégiques tels que la distribution digitale, la gestion des segments de clientèles et l’optimisation des itinéraires (pour les compagnies aériennes) ou de la durée du séjour (pour les hôtels).
Aujourd’hui, le recours aux données massives (big data) permet d’établir des prévisions de la demande qui orientent les décisions et actions quotidiennes des managers et la mise en place des leviers d’optimisation du revenu. La pratique du RM s’appuie également sur des outils technologiques et informatiques très avancés (par exemple, les RMS), sur des modèles probabilistes robustes (par exemple, le modèle EMSR) et de plus en plus sur les techniques de l’intelligence artificielle (Meatchi et Camus, 2020). Ces modèles sont nécessaires pour une meilleure connaissance du consommateur-client, une segmentation plus fine de la demande, une modulation en temps réel des capacités afin d’allouer le bon prix au bon client et au bon moment (Abrate, Nicolau et Viglia, 2019). Selon Legoherel et Poutier (2017), le RM doit être total et doit reposer sur la recherche de la maximisation du revenu par la combinaison de ventes croisées de différentes prestations de service au sein d’un même centre de profit.
Depuis son origine, le RM repose sur les évolutions technologiques des systèmes d’information et le développement de modèles permettant de prévoir la demande et d’aider la prise de décision en matière d’allocation de capacité. L’utilisation du RM requiert des outils technologiques plus ou moins sophistiqués (par exemple, Excel avec une macro, RMS, outils de Machine Learning, etc.) permettant une analyse pointue des données passées et futures (modification de la demande, récurrence d’un évènement calendaire, etc.) et de déterminer ainsi un allotement prévisionnel par classe tarifaire (Ill. 1).
Le RM est très avantageux pour les sociétés de services car il constitue une arme fondamentale d’optimisation du profit global de l’entreprise. La pratique du RM est désormais en forte progression, laissant supposer une généralisation de cette technique dans les entreprises de services en général et dans l’industrie du tourisme et de l’hôtellerie en particulier.
Clarification et définition des différents concepts: revenue management, yield management et pricing
Dans la littérature scientifique comme dans le vocabulaire des professionnels du tourisme, le yield management ou revenue management, sont employés sans réelle distinction sur le fond. Le terme «yield», a initialement été utilisé pour désigner le revenu par mile et par siège dans le transport aérien. Selon Talluri et van Ryzin, (2004), le RM peut être défini comme une pratique de gestion utilisant une approche systématique pour optimiser le revenu global en fixant les prix et en gérant la disponibilité des produits en fonction du comportement de la demande et le consentement des clients à payer un prix donné. Selon Ng, Rouse et Harrison (2017), malgré la clarté de cette définition, il n’existe toujours pas de consensus sur le sens du terme revenue management ou «RM».
De nombreuses autres définitions existent dans la littérature. Les travaux séminaux de Littlewood (1972) introduisent l’idée de la maximisation des revenus pour une capacité donnée, plutôt que la maximisation du taux d’occupation d’un avion dans un contexte d’ouverture du marché de l’aérien aux États-Unis. Weatherford et Bodily (1992), quant à eux, limitent la signification du RM à des techniques utilisées pour déterminer la quantité d’inventaires (offres) à mettre à la disposition des clients en fonction des moments dans une journée, en fonction des jours dans une semaine ou en fonction des saisons dans une année, etc. D’autres chercheurs (par exemple, Beluze et Guilloux, 2002; Talluri et van Ryzin, 2004) adoptent des définitions plus larges du RM incluant la surréservation, les prévisions, la gestion de la durée des séjours et des itinéraires, la personnalisation du produit en fonction des clients ou encore la gestion des risques commerciaux. Par ailleurs, notons qu’il existe des ambiguïtés prégnantes entre les termes «yield management» et «revenue management», d’une part et entre le «revenue management» et le terme «pricing», d’autre part. Une revue de littérature systématique et des enquêtes auprès des professionnels réalisées dans le cadre de la thèse de doctorat de Meatchi (2019) ont permis de proposer les définitions suivantes:
- Le revenue management est une stratégie de gestion globale intégrant les de prévisions de ventes (forcasting), l’optimisation et le contrôle des capacités (inventory control) et des prix (pricing) dans les entreprises de services disposant d’actifs périssables (perishable-asset), de capacités contraintes (offres non extensibles à courts terme) et soumises à une demande fluctuante. Dans un article sur la taxonomie du revenue management, Weatherford et Bodily (1992) ont analysé les caractéristiques communes à tous les leviers du RM, à savoir l’optimisation des capacités, l’overbooking et le pricing. Les auteurs ont regroupé tous les leviers de gestion des actifs périssables sous un même concept qu’ils dénomment Perishable-asset revenue management (PARM). Cette conceptualisation est à l’origine du terme revenue management qui s’est imposé dans la littérature scientifiques et dans le vocabulaire des professionnels. Aujourd’hui, le RM intègre de nouveaux outils issus du digital (channel management), des sciences des données (modélisation des data) et l’intelligence artificielle tels que le machine learning (Buckhiester, 2011).
Le revenue management est une stratégie globale de prévision, d’optimisation et du contrôle des capacités, des prix, de la distribution et du revenu dans le secteur des services à capacités contraintes.
Buckhiestern, 2011
- Le yield management est une composante du revenue management. Le but du yield management (YM) est la gestion des recettes unitaires grâce à une allocation optimale des capacités par classe tarifaire. En d’autres termes, le «yield management» ou management des recettes unitaires se définit comme une tactique qui recherche le meilleur rendement possible pour chaque unité de produit disponible (Autissier, 2000). Le yield management n’est pas un synonyme du RM mais un levier de ce dernier. Une synthèse des définitions proposées par Selmi (2007) montre que le yield management porte principalement sur la gestion des recettes unitaires. La vision globale du RM (prévision, optimisation et contrôle) intégrant la gestion du pricing et d’autres leviers comme les canaux de distribution est moins présente dans la logique du yield management. Au vu des évolutions actuelles (total revenue management, revenue management integrity, etc.), le RM et le yield management ne devraient plus être utilisés comme des concepts interchangeables. Le yield management doit être considéré comme une composante du RM. Le yield management est principalement orienté vers la gestion des recettes unitaires alors que le RM s’occupe de la stratégie globale et intégrée des prévisions, de l’optimisation et du contrôle des performances des actions liées à la gestion des capacités et des prix. Le yield management s’occupe de la gestion en temps réel et à très court terme alors que le RM est dans une vision globale et stratégique, à moyen et à long terme.
Le but du yield management est la gestion des recettes unitaires grâce à une allocation optimale des capacités par classe tarifaire.
Autissier, 2000; Guilloux, 2000
- Le pricing constitue une autre composante du revenue management. Le but du pricing est de créer, d’organiser et de gérer la politique tarifaire et les grilles de prix en fonction des objectifs globaux fixés dans le cadre du RM. Dans les entreprises de services à capacités contraintes, le pricing (composante du RM) est une alternative aux méthodes tarifaires traditionnelles comme la tarification par les coûts (cost-plus) ou la tarification par la valeur perçue (value based pricing). Selon Roquefort (dans Legohérel et Poutier, 2017), le pricing est le levier de profit majeur du revenue management mais aussi le plus compliqué à appréhender. Il dépend des données nombreuses et surtout de facteurs psychologiques des clients. Les chercheurs anglophones utilisent généralement la terminologie de revenue management pricing (RMP) afin de parler du pricing ou politiques de prix dans le contexte du revenue management. Précisons que le RM est une stratégie qui va au-delà du pricing et du yield management, pour intégrer d’autres leviers tels que l’overbooking, la distribution et la gestion des risques commerciaux.
Le pricing a pour but d’organiser et de gérer la politique tarifaire et les grilles de prix en fonction des objectifs globaux fixés dans le cadre du RM.
Heo et Lee, 2011
Les enjeux du RM pour les entreprises de services
Les entreprises de services à capacités contraintes (compagnies aériennes, hôtels, campings, stations de ski, parcs à thèmes, etc.) sont généralement caractérisées par des charges fixes élevées (par exemple, les coûts d’entretien d’un avion, d’un hôtel, d’un bateau de croisière, d’une station de ski, etc.) et des charges variables relativement plus faibles (Capiez, 2003). Ces entreprises proposent des offres périssables et non stockables. La demande est en général très fluctuante. Elle peut fortement varier d’une période à l’autre, d’un jour à l’autre voire d’une heure à l’autre dans une même journée. Un hôtel peut refuser des clients sur certains jours (demande supérieure à l’offre) et en manquer sur d’autres jours (offre supérieure à la demande).
On peut ajouter le fait que le chiffre d’affaires d’un hôtel situé dans une ville balnéaire peut varier du simple au double selon les saisons (haute saison versus basse saison). Le taux de remplissage d’un train varie significativement selon les jours de la semaine et même, selon les heures dans une même journée. Face à ces différentes contraintes, il est difficile de pratiquer un système de tarification rigide à l’instar de ce qui se fait dans les secteurs industriels et du commerce de biens.
Mais grâce à la liberté des prix fixée par des lois en vigueur (par exemple, l’article L. 410-2 du code du commerce), le RM offre des solutions permettant aux entreprises de services à capacités contraintes de faire face aux contraintes spécifiques de leur marché. Le RM dispose des outils efficaces permettant d’adapter les stocks et les prix en fonction de la demande et en fonction d’autres paramètres tels que la concurrence, les évènements calendaires, la météo, etc. Dans le secteur du tourisme, un hôtel peut, par exemple, louer ses chambres à des prix plus élevés en période de forte demande afin d’optimiser les recettes ou pour limiter la demande qu’il n’accepter. En période creuse, le même hôtel peut proposer des prix plus avantageux afin de stimuler la demande. La pratique du RM constitue donc un enjeu crucial pour les entreprises hôtelières qui ont généralement de lourdes charges fixes, des capacités contraintes et une clientèle irrégulière. L’introduction du RM a permis à de nombreuses entreprises d’augmenter substantiellement leurs revenus. Selon un article de Wall Street Journal, l’adoption du RM a permis à la compagnie américaine Continental Airlines d’augmenter ses profits de 50 à 100 millions de dollars dans les années 2000 (Weatherford et Kimes, 2003).
Conclusion
Le RM est sans doute l’une des innovations les plus marquantes en management du tourisme au cours de ces dernières décennies. L’objectif de cet article était de proposer une conceptualisation et une définition intégrative du concept de revenue management (RM). Une étude historique des pratiques du revenue management a permis de remonter aux origines de ces pratique et d’identifier les facteurs qui ont contribué à son développement. Du point de vue théorique, la revue de littérature synthétique a permis de faire un état des lieux des connaissances sur le revenue management et de proposer une définition intégrative de ce concept. Cette nouvelle conceptualisation est importante car elle permet de proposer une définition plus consensuelle du RM et de mettre en exergue les liens et les différences avec les concepts connexes que sont le yield management et le pricing.
Les aspects conceptuels et le vocabulaire très technique du RM sont peu expliqués dans les recherches en tourisme, ce qui ne permet pas toujours d’appréhender les relations et les différences entre les notions du revenue management, du yield management et du pricing. Définir et expliquer ces concepts clés de management du tourisme permet de les rendre plus intelligibles. Sur plan managérial, cet article offre aux professionnels un vocabulaire plus précis en clarifiant les différents concepts du revenue management. Il permet de dépasser les «fausses idées» selon lesquelles le RM consiste simplement à augmenter ou à baisser les prix en fonction de l’offre et de la demande. Il s’agit en réalité d’un processus très large qui va des prévisions de ventes au contrôle des performances en passant par l’optimisation des prix et des capacités offertes (sièges d’avion, chambres d’hôtel, place de camping, etc.). Le revenue management fonctionne grâce à un ensemble de leviers et de modèles bien structurés (tarification en fonction des jours de la semaine, en fonction des historiques de ventes, en fonction des évènements calendaires, etc.).
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