Retraite, retraité(e)s séniors, personnes âgées

L’approche géographique du tourisme lie la pratique au temps libre et donc, à son contraire, le travail si bien que la question: peut-on encore être touriste à l’âge de la retraite se pose légitimement. Ce groupe d’âge est parfois nommé les séniors ou les personnes âgées, pour ne pas écrire les «vieux». Il constitue un groupe de population nouvelle dont l’intégration au tourisme s’est faite dans la deuxième moitié du 20e siècle et cela a contribué à la désaisonnalisation de la pratique et à sa mondialisation.

Le tourisme demeure un projet

En fait, si la retraite ou la cessation des activités pour les non-salarié(e)s libère des activités professionnelles, elle ne supprime pas toutes les contraintes. Outre celles qui s’exercent au quotidien comme se nourrir, procéder à la toilette… d’autres continuent de peser voire accentuent leur pression. Libéré de l’éducation des enfants, les grands-parents constituent une proie idéale pour l’accueil et la prise en charge des petits-enfants. Non seulement, ils sont consentants et en redemandent mais en plus, déresponsabilisés en partie, ils cèdent plus volontiers à tous les caprices et s’investissent outre mesure. Ensuite, certaines et certains s’engagent dans la vie associative ou les enjeux de pouvoir ne sont pas moindre que dans les entreprises (Friedberg, 1993). Et de fait, il n’est pas rare que les retraité(e)s soient plus occupés que les actifs. Aussi, souffler un peu ailleurs demeure une préoccupation. Le tourisme perdure donc.

Libéré des contraintes calendaires

De fait, la retraite ne clôt pas le temps des expériences touristiques au contraire. Ces dernières ne sont plus limitées à un calendrier professionnel contraignant. Bien sûr, la retraite ne modifie pas les conditions économiques, sauf dans le sens d’une réduction des possibles pour le plus grand nombre et donc accentue l’immobilité des plus démunis. Mais pouvoir partir hors saison compense en partie la réduction du pouvoir d’achat. Les prix sont en effet moindres surtout pour l’hébergement. En contrepartie, l’atmosphère des lieux est changée, surtout en septembre-octobre période pendant laquelle elle est morose ou période pendant laquelle les retraités sont les seuls clients ce que détestent certains d’entre eux. L’arrière-saison a un goût de clôture avec les travaux et les fermetures des boutiques et des restaurants. Mai et juin sont de fait plus gais, surtout dans les régions méridionales déjà au beau fixe. Au final, grâce à l’émergence d’une clientèle de retraités, dans de nombreuses destinations, la fréquentation est passée de deux mois à la moitié de l’année même si le volume des personnes présents passe du simple au double. De fait, une désaisonnalisation de la fréquentation touristique s’est opérée.

Les retardataires du tourisme de masse

En fait, l’accession du grand nombre des personnes âgées à une période de tourisme constitue un événement tardif au sein de l’épanouissement du tourisme de masse. La courbe du taux de départ en vacances dressée par l’Insee pour 1969 (Ill. 1) marque encore une baisse constante après la catégorie des jeunes adultes. Au contraire en 1989, un palier apparaît à partir de 50 ans qui se prolonge jusque 65-69 ans, mais la retraite à 60 ans n’est instituée qu’en 1981. Au contraire, en 2004, le taux reste stable, à plus de 65%, et s’effondre tardivement pour les plus de 70 ans.

Trois facteurs ont concouru à cette évolution. D’une part, le prolongement de l’espérance de vie en bonne santé qui maintient plus longtemps des capacités physiques favorables au départ. D’autre part, les retraités disposent, pour une partie importante d’entre eux, de ressources financières disponibles pour le voyage car le logement est remboursé et les enfants autonomes. Afin que les plus démunis puissent continuer à voyager à la retraite, des pays comme l’Espagne ont mis en place des programmes de tourisme social où les retraités payent quelques centaines d’euros pour une semaine partout en Espagne. Ensuite, les générations qui atteignent ces âges dans les années 1990-2000 ont connu une vie touristique au sens où ils ont vécu ces expériences pendant leur vie active et ils ne sont pas disposés à y renoncer. Au contraire celles et ceux qui atteignent 60 ans en 1969 sont nés au début du siècle et ont été peu nombreux à tenter le tourisme. Enfin, la part de population qui exerce dans l’agriculture est encore importante dans les années 1960. Or cette catégorie part peu en raison des contraintes de temps, qui pèsent notamment sur celles et ceux engagés dans les élevages.

Ill. 1. Évolution des taux de départ en vacances entre 1969 et 2004 (source: Insee)

Des pratiques spécifiques

Les personnes âgées ont adopté des pratiques particulières. En fait, tant que la soixantaine n’est pas dépassée et que la santé est bonne, le comportement ne change guère. Avec le temps libéré, et celles et ceux qui disposent des moyens financiers, la pratique peut même s’accentuer. Notamment, passer l’hiver au chaud, au Maroc notamment, durant trois mois. Au contraire, à 70 ans et au-delà, l’appétence pour les voyages en groupes s’affirme (Caradec et al., 2007). La condition physique est moins bonne, le veuvage isole, et partir avec d’autres permet des rencontres, d’autant plus que l’expérience étant limitée dans le temps, on n’est pas obligé d’entretenir ces relations nouvelles si on ne le souhaite pas (Caradec et al., 2007).

De ce fait, un secteur professionnel s’est constitué avec des entreprises dédiées ou des segments autour d’autocars confortables et mobilisant des services spécifiques comme le préacheminement ou le ramassage à domicile. De même, les circuits se sont adaptés et prennent la forme de l’étoile ou de la marguerite caractérisée par des excursions à la journée rayonnant autour d’un lieu d’hébergement fixe, au lieu de changer d’étape chaque jour. La formule épargne de défaire et refaire les valises, de les porter jusqu’à la chambre ou l’autocar quotidiennement. Enfin, le programme intègre régulièrement un thé dansant favorable au déploiement de la sociabilité.

Philippe VIOLIER

Bibliographie

  • Caradec Vincent, Petite Ségolène et Vannienwenhove Thomas, 2007, Quand les retraités partent en vacances. Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, coll. «Le regard sociologique», 256 p.
  • Friedberg Erhard, 1993, Le pouvoir et la règle. Dynamiques de l’Action organisée. Paris, Seuil, 405 p.