Repos
Le repos constitue une des pratiques touristiques avec la découverte, le jeu, le shopping et la sociabilité. Sa caractéristique essentielle est le séjour, soit l’installation en un lieu donné pour une durée de plusieurs jours, voire de nombreuses semaines. L’objectif est de «prendre soin de soi» (Équipe MIT, 2011).
Un des fondements des pratiques touristiques
La mise en place de tourisme relève d’une double pratique: la découverte d’une part, issue du Grand Tour, et le repos, au sens de «soin de soi», d’autre part, cette notion ayant évolué au fil du temps. Car dès les premiers temps du tourisme, le soin de soi relève d’une problématique curative et du rétablissement de la santé.
C’est ainsi qu’avec le 18e siècle, la médecine évolue et les progrès permettent de construire une nouvelle manière de se soigner qui rompt avec les manières de faire des périodes précédentes où la saignée semblait être le mode privilégié. Il s’agit de mobiliser l’eau (thermale et salée), l’air et la lumière et de mette en place des bains et des cures: bains à la lame, bain gradué, prise de boissons, déambulation le long des promenades ou encore cure de soleil (Ill. 1). De manière cumulative avec la découverte, le littoral et la montagne sont apparus comme le espaces disposant de ces ressources. Dès lors, on vit arriver des baigneurs et des curistes là où ils étaient le plus souvent absents.
Ainsi s’est construit un système de pratique autour de la santé en articulation avec le repos. Pour ce faire, de nombreux lieux devinrent touristiques et se transfèrement en station où plusieurs équipements/aménagements montraient le tournant touristique pris: établissement thermal ou de bains, promenade. De plus sont construits des casinos car l’argument festif est un complément indispensable à toute pratique de cures (Cossik, 2000). Ainsi les bords de mer frais (Manche, Mer du Nord et Atlantique) étaient fréquentés l’été comme la montagne; seul le littoral méditerranéen l’était l’hiver car trop chaud pour l’époque en été. Les destinations se complétaient donc du point de vue des saisons.
Cette pratique fut celle des touristes pendant longtemps jusqu’à l’avènement des sports d’hiver dans les années 1860 en montagne et l’apparition des trois S (Sea, Sand and Sun) dans les années 1920-1930 sur le littoral.
D’une pratique thérapeutique à une pratique hédoniste
Dans un cas comme dans l’autre, apparaissent des pratiques qui ne sont plus seulement destinés aux malades mais aussi aux biens portants. Pour les sports d’hiver, la proposition repose sur le sport. Pour le bord de mer se constitue un modèle de fréquentation où le plaisir du corps dénudé, bronzé en bords de mer chaude bouleverse l’ordonnancement des destinations et la hiérarchie des lieux (Équipe MIT, 2011). La Côte d’Azur devient la concurrente des autres littoraux européens (Burnet, 1963). Ainsi s’expliquent le recul partiel de certaines stations. Des pays comme l’Espagne jusqu’à cette date peu intégrée dans la logique du repos devient progressivement une destination-phare avec son modèle de «sol y playa» relayé ensuite par de nombreux pays des deux bords de la Méditerranée, de la Caraïbe ou encore des îles océaniques du Monde provoquant au fil des décennies d’après-guerre une mondialisation touristique du balnéaire.
Ici, la pratique est celle de se reposer à la plage, y dormir, y lire, s’occuper de ses enfants, d’y venir en famille et avec des amis, bien loin du «bronzer idiot» qui a encore la vie dure et montre une incompréhension très grande de ce qui se joue sur la plage. En termes de baignades, jeu et promenade ponctuent les séances de bronzage, peu de natation, plus de bains à la lame, celui-ci étant sans doute la seule pratique touristique qui ait pleinement disparu…
Une pratique socialement condamnée, mais cela n’empêche rien
Pour le repos, les individus choisissent de s’installer pour un temps variable dans un lieu unique où ils vont mettre en œuvre leur projet principal. Cette pratique qui n’est guère valorisée socialement, les médias en rajoutent sur les vacances utiles, intellectuelles et sportives, tandis que le farniente auquel aspirent le plus grand nombre des européens passe pour une perte de temps. Jean-Didier Urbain (2006) insiste au contraire sur les bienfaits de ce temps de construction de soi et du lien social.
Mais nous ne le suivons pas lorsqu’il stigmatise à notre sens ce qu’il qualifie de «simple transplantation» (2006). En fait, la mobilité principale qui a consisté à rejoindre ce lieu de séjour à partir d’un point de départ, permet de multiples déplacements secondaires vers des villes proches, des musées, d’autres plages et lieux d’intérêts biophysiques comme des îles, des parcs naturels ou des réserves ornithologiques. Depuis les aquariums géants jusqu’aux centres d’interprétation sur le thème des vies maritimes, on ne compte plus les établissements qui désormais accueillent les individus qui séjournent le long des côtes. Dans certaines villes délaissées autrefois par les touristes, comme Boulogne-sur-Mer qui fût un haut lieu touristique dès 1790, mais où les acteurs ont choisi, lors du passage au bain chaud et au bronzage, de s’orienter vers la pêche industrielle et les aciéries, les projets touristiques ont réapparu en 1996 et plus récemment un projet articulant un hébergement et des espaces de détente a vu le jour.
Une pratique associée aux bains
Toutefois, les stations et les comptoirs continuent d’accueillir la plupart des touristes notamment pour les séjours les plus longs. Ces types de lieux ont constitué les formes spatiales de la conquête des marges territoriales que le tourisme va contribuer à intégrer au territoire des sociétés occidentales. L’excellent site Internet Géoportail permet de restituer cette émergence des stations le long du littoral de dunes ou le long des rivières qui permettaient aux bateaux de pêche d’accéder rapidement à l’étendue nourricière.
À Cabourg notamment, l’ancien site est implanté au bord de la Dives, tandis que la station va impliquer la conquête d’un nouveau face à la mer et l’éradication du massif dunaire. Toutefois, il semble que, parfois, la création de comptoir a précédé celle des stations. Il s’agit de lieux élémentaires qui ne sont pas habités à l’année, qui sont fermés aux non résidents et où s’appliquent des règles spécifiques. À La Baule-Escoublac notamment, des lotissements privés ont d’abord été créés avant que l’ensemble ne soit finalement intégré à la municipalité. Le nom de la commune juxtapose d’ailleurs, en premier, le nom du lieu-dit touristique (La Baule) et, en secon,d le nom de la commune historique. Le comptoir connaît une diffusion considérable dans les îles et le long des littoraux tropicaux, chaque fois que le repos des touristes nécessite de les rassurer. Ainsi, les stations et les comptoirs sont les lieux privilégiés des séjours dédiés au repos.
Le combiné forme hybride
Le séjour de repos est parfois la «récompense» d’un circuit de découverte et forme un produit touristique combiné. Il en est ainsi des circuits qui impliquent des modalités épuisantes qui amènent les individus à les prolonger par des séjours réparateurs. La formule est notamment proposée pour les safaris et les croisières le long du Nil. Lors des premiers, les touristes sont soumis aux rythmes biologiques des animaux qui sont visibles aux heures matinales et au coucher du soleil. Les secondes alternent les panoramas au lever et au coucher du soleil, ce qui entame la résistance des plus passionnés et permet au tour-opérateur de vendre une «extension» balnéaire.
Bibliographie
- Burnet Louis, 1963, Villégiature et tourisme sur les côtes de France. Paris, Librairie Hachette, 483 p.
- Cossick Annick, 2000, Bath au XVIIIe siècle: les fastes d’une cité palladienne. Rennes, Presses Universitaires de Rennes, Diadac Civilisation, 202 p.
- Équipe MIT, 2011, Tourismes 3. La révolution durable. Paris, Belin, coll. «Mappemonde», 332 p.
- Urbain Jean-Didier, Kremer Pascale, 2006, «1936-2006: Il était une fois les vacances, entretien avec l’anthropologue Jean-Didier Urbain», Le Monde 2, 10 juin 2006
- Urbain Jean-Didier, 2002, Sur la plage: mœurs et coutumes balnéaires aux XIXe et XXe siècles, Paris, Éditions Payot.
- Violier Philippe, 2017, «Comment les individus habitent-ils touristiquement le Monde», dans Fagnoni Edith (dir.), Les espaces du tourisme et des loisirs. Paris, Armand Colin, coll. «Horizon», p. 89-99.