La proximité a fait un retour bruyant avec la pandémie du Covid-19. Déjà, le confinement nous y a contraints. En dehors de quelques lieux miraculés, il a fallu s’y résoudre. Mais elle a aussi été brandie comme une solution miracle face aux enjeux du dérèglement climatique. Or, la proximité est déjà une réalité.
La proximité, c’est la règle
La proximité, notamment dans l’expression «tourisme de proximité», est devenue une vertu. Dans la mobilisation contre le réchauffement climatique, auquel les touristes contribuent notamment par leurs déplacements, ce serait la solution miracle: se dirigeant vers des lieux proches, de fait la production de gaz à effet de serre serait abaissée. Mais cette affirmation de bon sens peut être discutée.
Tout d’abord, la proximité est déjà le lot des individus qui disposent de moyens économiques réduits, mais suffisants pour partir. Limiter la charge financière exercée par le transport aide à maîtriser un budget serré. Les vallées autour des grandes villes accueillent ainsi des citadins, notamment dans des campings au confort limité.
Ensuite, pas de problème majeur non plus pour ceux qui ont la chance d’habiter une région dont les caractéristiques sont en accord avec les codes sociaux du moment. Ainsi, la proximité de la montagne, ou de la mer relativement chaude, n’est pas la même pour un habitant de Valenciennes que pour un Corse. D’ailleurs, la résidence dans une région touristique est déjà une des causes de non-départ identifiée.
Au total, la proximité, c’est déjà la règle. Dans toutes les régions administratives de France, puisque les statistiques sont produites selon ce maillage, nous retenons ici celui antérieur à 2015, les habitants de la région arrivent en seconde position du classement des origines des touristes, juste après l’Île-de-France, la plus riche et la plus peuplée des entités, ou après Rhône-Alpes pour PACA et Midi-Pyrénées (Violier et al., 2021). En travaillant à l’échelle des voyages, Christophe Terrier et Françoise Potier (2007) avaient montré cette relation étroite entre lieux de vie et lieux de vacances (Ill. 1). A l’échelle internationale (Ill. 2a et 2b), l’idée de proximité peut être aussi mobilisée. En effet, nous voyageons dans les pays limitrophes quand nous sortons de France ou de Chine. Les principales destinations des Français à l’international sont européennes et pour les Chinois, elles sont sud-asiatiques.



Une fausse bonne solution?
La pandémie du Covid-19 a ravivé le débat et la proximité s’est imposée dans les discours comme LA solution. Cette recette miracle pose des questions (Violier, 2022; Frochot et al., 2022).
La première est en relation avec le sens du tourisme. Cette pratique sociale se déploie dans le cadre de la civilisation industrielle comme la respiration qui va permettre aux individus de se relâcher par rapport aux contraintes, aux routines écriraient Élias et Dunning (1998). Dès lors, la proximité dispose-t-elle des ingrédients nécessaires à cette recréation? Cela revient à pointer la diversité des territoires et la faible adéquation de certains avec les valeurs sociétales, comme vu ci-dessus, mais aussi à souligner que le déplacement est justifié par la réalité des pratiques exprimant le besoin des populations. Si les individus quittent les agglomérations du nord de l’Europe pour se diriger vers les littoraux méditerranéens c’est en raison de la quête du sea, sand and sun considéré aujourd’hui comme la pratique estivale de repos par excellence en Europe. Cela induit des déplacements de moyenne portée pour les populations qui ne disposent pas de ce type de littoral. À l’inverse, des projets comme «La Loire à vélo» qui ont consisté à améliorer la sécurité et la fourniture des services nécessaires pour la pratique du vélo le long d’un itinéraire, rendent la proximité désirable, du moins pour celles et ceux qui ne résident pas trop loin.
La seconde interrogation a trait à la découverte du Monde. La proximité sonne comme un renoncement. Certes, on peut se rabattre sur les vidéos qui donnent à profusion des images des sites et des paysages. Cette proposition se heurte à deux limites. D’une part, les émotions procurées par la vision d’un film sont loin d’être à la hauteur de celles que la présence sur place procure. Mêmes les vues largement diffusées à maintes reprises de paysages ou de situations n’épuisent pas le plaisir éprouvé à les vivre.
D’autre part, bien évidemment, dans le monde virtuel, la rencontre n’a pas lieu. Tout d’abord, il y a le contact réel avec les habitants dont les modalités sont variées: un simple «bonjour», un regard attentif jusqu’à la naissance de relations amicales ou amoureuses comme des tensions et des confrontations. Si le touriste n’est pas toujours disposé à cette rencontre humaine, l’habitant ne l’est pas nécessairement non plus et ne maîtrise pas toujours les moyens, notamment linguistiques, de l’échange, la limite la plus grande restant la maîtrise de la langue d’un côté comme de l’autre.
Ensuite le tourisme est aussi un échange économique. Ce dernier a fait l’objet d’une littérature scientifique abondante. Des auteurs y voyant systématiquement un jeu de domination et un bilan plus que mitigé. Mais la condamnation prononcée dès la fin du 20e siècle (Turner et Ash, 1975; Cazes, 1992), a été relativisée par des écrits plus récents qui mettent en évidence le caractère variable de la répartition des bénéfices. Dans certaines situations certes, les autochtones ne recueillent que des miettes. Mais la domination qu’ils subissent n’est ni seulement le fait des occidentaux, ni en raison du tourisme. Ainsi, les San du Botswana sont-ils soumis à l’hégémonie de la majorité Bantoue au pouvoir, davantage en raison des richesses du sous-sol que strictement du tourisme. Dans d’autres cas, la maîtrise du processus de mise en tourisme et l’enrichissement profitent bien, au moins à une partie des habitants (Sacareau, 1997). Ainsi, à la condamnation systématique du tourisme, il convient de substituer une analyse des jeux des acteurs placés dans des situations variables et mouvantes (Jouault, 2018).
Philippe VIOLIER et Philippe DUHAMEL
Bibliographie
- Cazes George, 1992, Tourisme et Tiers-Monde un bilan controversé. Les nouvelles colonies de vacances. Paris, L’Harmattan, coll. «Tourismes et sociétés», 208 p.
- Elias Norbert et Dunning Eric, 1994, Sport et civilisation. La violence maîtrisée. Paris, Payot, 396 p.
- Frochot Isabelle, Bates Samuel, Mondou Véronique et Violier Philippe, avec la participation de Christophe Gay et Anne Fuzier, 2022, «L’après covid-19 a un air de ressemblance troublant avec l’avant», Espaces, Tourisme et Loisirs. n° 367, juillet-août, p. 16-21.
- Jouault Samuel, 2018, Mayas d’hier et d’aujourd’hui, le rôle des sociétés locales dans le développement touristique. Rennes, Presses Universitaires de Rennes, coll. Espaces et territoires».
- Sacareau Isabelle, 1997, Porteurs de l’Himalaya. Le trekking au Népal. Paris, Belin, Mappemonde, 272 p.
- Terrier Christophe et Potier Françoise, 2007, Atlas des mobilités touristiques en France métropolitaine. Paris, Autrement.
- Turner Louis et Ash John, 1975, The golden hordes. International tourism and the pleasure periphery. Constable, 320 p.
- Violier Philippe, 2022, «Pourquoi il faut prendre le tourisme et les touristes au sérieux», Espaces, Tourisme et Loisirs. n° 367, juillet-août, p. 10-14.