Naturisme
Le naturisme est une doctrine prônant une vie saine et au grand air dans un état de nudité totale. Il convient d’opérer une distinction avec le nudisme, simple pratique du nu collectif, même si les municipalités entretiennent la confusion à travers des arrêtés autorisant le «naturisme» sur telle portion de plage. Ce n’est que depuis quelques décennies que ce glissement de sens s’est opéré, largement à cause de la focalisation des médias sur les excès liés à la nudité de groupe, par exemple dans le «quartier naturiste» du Cap d’Agde. Le naturisme contemporain est largement associé au tourisme en centre «naturiste», mais il ne se limite pas à cela, aujourd’hui et encore plus par le passé.
Origines et développement du naturisme
Le naturisme a d’abord été au 18e siècle une philosophie de soins néo-hippocratique, puis s’est mué au 19e siècle en une thérapeutique fondée sur le contact avec les éléments naturels (cures à base de bain d’air, de lumière et de soleil) et en un hygiénisme en réaction aux excès de la Révolution industrielle (Villaret, 2001). Dans le premier tiers du 20e siècle, en Allemagne avant 1914 puis en France, des publications et divers mouvements prônent une éthique et un mode de vie alternatif incluant la dénudation collective plus ou moins intégrale. En Allemagne, le premier centre naturiste est fondé sur la Baltique (1906) et la première fédération naturiste du monde, la FKK (Freikörperkultur) naît fin 1918. Si le régime nazi célèbre le corps sain, il démantèle le mouvement naturiste et ferme ses installations.
En France, les principales initiatives sont celles de Kienné de Mongeot (ligue et revue Vivre) et des frères Durville, deux médecins à l’origine du premier village naturiste du monde, Héliopolis, sur l’île du Levant (1931). Celui-ci existe toujours, abrite une centaine d’habitants permanents et reçoit des touristes hébergés dans des maisons d’hôtes ou des hôtels. C’est ainsi qu’à partir des années 1930 le naturisme devient progressivement une pratique sociale du nu intégral dans des lieux spécifiques lors des loisirs ou des vacances (Barthe-Deloizy, 2003; Baubérot, 2004; Harp, 2014).
L’après-guerre voit la démocratisation du mouvement sous l’impulsion d’Albert Lecoq, fondateur de la Fédération Française de Naturisme (FFN) et du camp de vacances de Montalivet (Gironde): on assiste alors à un basculement vers un naturisme plus populaire, sous la tente et localisé sur la côte aquitaine. Les décennies qui suivent voient la multiplication des centres, la construction des quartiers urbains «naturistes» du Cap d’Agde et de Port-Leucate dans le cadre de l’aménagement touristique de la côte languedocienne (Mission Racine), ainsi que des négociations avec les municipalités pour autoriser la pratique nudiste sur des plages ou des rives de lacs ou de cours d’eau (Jaurand, 2011).
Ce nudisme populaire et vacancier est le dernier avatar d’un mouvement qui considère que le contact avec les éléments naturels ne peut être que bénéfique pour la santé mentale et physique des hommes et des femmes, ce qui passe notamment par le dévêtissement collectif et mixte le plus souvent possible. Si la FFN défend l’héritage historique théorique du mouvement naturiste, elle est débordée par des pratiques non conformes à son éthique, comme au Cap d’Agde (échangisme) ou sur certaines plages nudistes, qui s’assimilent à des défouloirs sexuels.
Les territoires du naturisme
Pour des raisons pénales, le naturisme s’est d’abord développé à l’abri des regards, dans des lieux clos à l’accès filtré et réglementé. En France, l’article 222-32 du Code Pénal (1994) punit l’exhibition des caractères sexuels imposés à la vue d’autrui de peines allant jusqu’à un an de prison ferme. Les lieux publics autorisés à la pratique «naturiste» (portions de plages, quartiers du Cap d’Agde et de Port-Leucate) et les lieux privés dédiés sont évidemment exclus du champ d’application de la loi. L’accès à un lieu privé naturiste peut être soumis à la possession d’une licence d’une fédération naturiste. Dans les villes et leurs périphéries existent des clubs où se pratiquent des activités de loisirs en fin de journée ou de semaine.
Principalement fréquentés à la belle saison lors des vacances, les centres naturistes se trouvent en revanche généralement dans des endroits relativement isolés, à la campagne, à la montagne et surtout sur les littoraux, en association avec des plages (Ill. 1). Entourés de palissades et de végétation, ils diffèrent selon leur taille (en France, record de 335 hectares pour Euronat, Gironde), leur capacité d’accueil (de quelques dizaines à plusieurs milliers), les activités proposées, les tarifs et les modes d’hébergement: si la tente a été longtemps dominante, justifiant l’appellation initiale de «camp» naturiste, les bungalows, chalets plus ou moins luxueux et chambres d’hôtes les ont largement supplantées et satisfont une clientèle devenue moins militante et plus exigeante sur le niveau de confort.
En plus de la montée en gamme de l’hébergement naturiste, on relève une sensibilité croissante aux questions d’environnement et la promotion d’un tourisme durable: de nombreux centres ont ainsi reçu l’éco-label européen Clefs Vertes.
Dans le monde, il existe une trentaine de fédérations naturistes nationales, situées dans des pays occidentaux pour l’essentiel, en Europe et aussi aux États-Unis, au Canada, au Brésil, en Afrique du Sud, en Australie, en Nouvelle-Zélande, etc. La France, suivie de l’Allemagne, est le premier pays du monde pour le tourisme naturiste (Harp, 2014), avec un peu moins d’une centaine de centres de vacances, principalement situés dans la moitié sud du pays, et accueillant environ 1,5 millions de clients par an, dont environ la moitié d’étrangers. La Croatie, l’Espagne et le Brésil constituent les principales destinations concurrentes.
En dehors des pays de civilisation judéo-chrétienne, où la vie en état de nudité peut évoquer le paradis terrestre (Barthe, 2001; Jaurand, 2008), le naturisme est inconnu ou impensable pour des raisons culturelles ou religieuses. Des essais d’implantation de centres naturistes au Maghreb ont échoué à cause des réticences des sociétés locales.
Bibliographie
- Barthe Francine, 2001, «Géographie du naturisme. A la recherche de l’éden», Géographie et cultures. n°37, p. 37-58.
- Barthe-Deloizy Francine, 2003, Géographie de la nudité. Paris, Bréal, coll. « D’autre part », 239 p.
- Baubérot Arnaud, 2004, Histoire du naturisme. Le mythe du retour à la nature. Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. «Histoire», 348 p.
- Harp Stephen L., 2014, Au Naturel : Naturism, Nudism, and Tourism in Twentieth-Century France. LSU Press, 328 p.
- Jaurand Emmanuel, 2008, «Les plages nudistes, une exception occidentale?», Géographie et cultures. n°67, p. 47-64, en ligne.
- Jaurand Emmanuel, 2011, «Pratiques nudistes et territoires touristiques sur le littoral français», dans Bleton-Ruget Annie, Commerçon Nicole et Lefort Isabelle (ed.), Tourismes et territoires. Mâcon, Institut de recherche du Val de Saône-Macônnais, p. 27-34.