Médical
La désignation «tourisme médical» s’est imposée pour caractériser des mobilités internationales dont le but est de bénéficier d’un acte médical non disponible ou difficilement accessible dans le pays d’origine, soit pour des raisons de législation soit pour des raisons relatives à l’offre de soins (compétences, coût) (Hottois et Missa, 2001).
Une expression questionnée
Cette définition souligne d’emblée le caractère impropre de l’expression «tourisme médical» (Chasles, 2011), puisque celle-ci relève avant tout d’une logique médicale et non pas touristique au sens premier du terme. En effet, l’objectif de cette mobilité est avant tout d’améliorer sa santé et non pas de se distraire. Beth Kangas (2010) explique que le terme de tourisme médical suggère une pratique récréative et masque les difficultés auxquelles sont confrontés les patients, et propose l’usage de termes plus neutres tels que «séjour médical international» ou «séjour médical transnational».
D’autres auteurs parlent plutôt de «voyages médicaux» (Ehrbeck et al., 2008), de «mobilité médicale» ou bien encore de «recours aux soins transnational» (Lunt et al., 2015). Anaïk Pian, quant à elle, invite à s’interroger sur la pertinence du concept «d’immigration thérapeutique» (Pian, 2012). D’autres auteurs, quant à eux, continuent de recourir à des expressions telles que «tourisme hospitalier» et «tourisme chirurgical».
Dans le même temps, on a vu apparaître l’expression de tourisme pharmaceutique (Segal, 2008). Ce tourisme pharmaceutique est lié à la fois à des enjeux concernant la légalité ou à l’illégalité de circulation de certaines substances, à leur disponibilité et à leur prix. Plus récemment est apparue l’expression de «tourisme vaccinal» en référence aux ressortissants aisés de pays dans lesquels la vaccination peine à se mettre en place, et qui se rendent aux États-Unis par exemple pour se faire vacciner. Les médias ont également relayé dans la presse le cas de ressortissants allemands se rendant en Russie pour accéder plus rapidement à la vaccination contre la Covid-19.
Cette énumération des termes utilisés illustre la difficulté à définir une mobilité dont les contours restent flous. Néanmoins, des auteurs comme Luce Proulx (2005) ont montré qu’un lien peut exister entre tourisme et santé en ce sens que la mobilité touristique permet de prendre soin de soi et contribue ainsi à la santé et au bien-être.
Ainsi, si le tourisme a de longue date eu, parmi ses fondements, des raisons de santé (balnéothérapie par exemple), cette expression de «tourisme médical», plus journalistique que scientifique, a fait récemment florès pour désigner une mobilité de recours à des soins diversifiés pour des pathologies parfois lourdes qui nécessitent des actes médicaux sophistiqués et extrêmement techniques.
En effet, après un essor fondé principalement sur la chirurgie esthétique, depuis quelques années, le «tourisme médical» concerne tout type de maladie, pouvant aller de l’anomalie cardiaque à la greffe d’organes (Chasles, 2011). Cette mobilité de soins se double d’un séjour hôtelier durant la convalescence du patient et éventuellement pour les proches accompagnants qui peuvent également consommer à cette occasion des prestations relevant du tourisme. Le nombre de touristes médicaux est estimé autour de 16 millions d’individus par an à l’échelle mondiale (Keckley, 2009), pour un chiffre d’affaire qui dépasse les 60 milliards de dollars (Mac Ready, 2007).
Une mobilité croissante et renouvelée
En plus d’être mal nommée, cette mobilité médicale est souvent présentée de façon très réductrice.
Tout d’abord, les flux qui composent ce phénomène sont divers et des changements importants sont intervenus au cours des trois dernières décennies. Si le recours aux soins de proximité reste une réalité, à l’image des mobilités infra européennes ou internes au bassin méditerranéen, le recours sur de plus longues distances a connu une croissance majeure, telle qu’illustrée par les Américains allant se faire soigner en Asie. Cette évolution des pratiques spatiales s’accompagne d’une évolution des destinations.
Avant 1997, les États-Unis et l’Europe en étaient les centres: les patients aisés des pays émergents et en développement venaient s’y faire soigner. La crise économique dite «crise des marchés asiatiques» en 1997-1998 a eu un effet indirect: des pays comme la Thaïlande ou Singapour se sont retrouvés avec une part importante de leur population en difficulté économique et n’étant plus à même de payer le prix fort pour leur santé. Les hôpitaux ont alors vu ces mobilités médicales comme une manière de diversifier leur activité et leurs sources de revenus. Ces pays ont alors délibérément développé une stratégie tournée vers cette niche.
Peu après, les attentats du 11 septembre 2001 et les crispations qui s’en sont suivies ont détourné vers l’est le regard d’une partie de la clientèle riche du Proche-Orient qui pratiquait des déplacements pour des raisons de santé vers l’Amérique. L’Asie du Sud-Est a bénéficié de ces évènements pour développer son offre médicale. Si des données fiables manquent, on estime par exemple que la Thaïlande est le pays qui accueille le plus grand nombre de ces voyageurs pour motif médical (800.000 à un million en moyenne par an). Singapour serait le deuxième pôle asiatique, avec de 200.000 à 350.000 patients par an. L’Inde en accueillerait environ 200.000 par an. Les flux Nord-Sud et Sud-Sud sont ainsi devenus largement prédominants.
Un autre changement relativement récent est une diversification des profils sociaux des patients, qui vont se distinguer les uns des autres à la fois par leurs pratiques spatiales et le type de structure de soins visitées. Si les catégories sociales élevées font abstraction de la distance et se rendent prioritairement dans ce que l’on pourrait appeler les hauts-lieux des voyages médicaux (hôpitaux privés des grands pôles urbains), les catégories modestes privilégient quant à elles les recours de proximité dans des structures de soins plus accessibles, notamment d’un point de vue financier.
Un dernier changement notable est l’avènement d’Internet qui donne désormais une grande visibilité aux fournisseurs de services et permet au patient-voyageur de s’informer, comparer les offres et consulter des avis et retours d’expérience en ligne (Hallem et Barth, 2011) Un autre effet d’Internet est mis en avant par Eades (2015), il s’agit du packaging affiché comme tourisme médical et comme un produit unique. Il n’est plus nécessaire désormais de rechercher un vol, un hôtel, une clinique, un taxi, etc., des offres tout-en-un sont désormais disponibles et très attractives.
L’accès à une information éclairée est cependant primordial même s’il comporte une part d’incertitude du fait de sa subjectivité. Un manque de vérification de l’information est à constater, malgré l’existence de certains sites comme Patients without border (patients sans frontières) qui édite un guide reconnu des ressources dans le champ du tourisme médical.
Les aires géographiques concernées, spécialisations et clusterisation
D’autres pays ont opté pour une spécialisation. Quelques exemples sont détaillés dans les lignes qui suivent d’après Eades (2015) et Connell (2006).
La Hongrie est particulièrement attractive pour les soins dentaires de même qu’Antigua aux Caraïbes. La Thaïlande s’est construit une solide réputation en particulier sur des marchés de niche comme les opérations de changement de sexe et la chirurgie esthétique. L’anonymat que procure la distance a pu se révéler comme un atout. Cuba s’est spécialisée dans les maladies de la peau. La Turquie est réputée pour les implants capillaires. La Corée du Sud est également présente sur le marché de la chirurgie esthétique mais développe depuis quelque temps une offre en oncologie pour des organes spécifiques (estomac, foie et utérus) et en greffe de foie dans un processus d’hyper-spécialisation.
Le Mexique attire une clientèle nord-américaine en chirurgie orthopédique ainsi que chirurgie plastique au Yucatán et pour un ensemble de soins plus large dans les villes frontalières du Nord et dans la capitale fédérale Mexico. Cette hyper-spécialisation est donc également géographique. Ainsi, Dubaï accueille des médecins allemands afin de garantir la qualité des soins qui y sont prodigués et attirer les patients-touristes germaniques. La Malaisie et Singapour sont particulièrement attractifs pour les Européens et Américains résidents expatriés en Asie.
Le phénomène de spécialisation géographique s’observe également à travers des initiatives comme la construction d’une healthcare town sur l’île de Jeju en Corée, où se combinent des infrastructures de soins et des aménités touristiques rendues facilement accessibles par des conditions légales de séjour assouplies pour les patients et leurs proches. Ces mêmes logiques s’observent également aux Émirats arabes unis dans la Dubai Healthcare City.
Plus largement, un phénomène de clusterisation semble se dessiner, avec ou sans unité de lieu. En effet, le tourisme médical nécessite que s’articulent plusieurs secteurs d’activité: le transport international et local, l’hôtellerie et la restauration, les soins (chirurgicaux et postopératoires) et éventuellement les activités de loisirs complémentaires (excursions de découverte par exemple). De la théorie à la pratique, il semble qu’un gap important persiste car les exemples de clusterisation aboutis restent rares et finalement le tourisme «classique» s’invite assez peu dans le tourisme médical.
Les motivations des voyages médicaux
Les raisons qui poussent les patients-voyageurs à entreprendre une mobilité pour recourir à des soins à l’étranger sont nombreuses. Le faible coût des soins pratiqués dans les pays émergents et en développement est la première motivation. Selon le Centre for Diseases Control and Prevention, 750.000 individus originaires des États-Unis, chaque année, vont se faire soigner à l’étranger, pour bénéficier de soins cinq à dix fois moins chers. Une chirurgie cardiaque coûte environ 150.000$ aux États-Unis contre 11.000$ en Thaïlande (Lunt, 2011). Dans le même temps, le secteur du transport aérien a connu une évolution avec l’arrivée sur le marché des vols low cost qui minorent encore les coûts des soins à l’étranger.
Les trop longs délais de prise en charge sont un second facteur. Dans la continuité du tournant néolibéral et dans le cadre de politiques dites de restructuration de l’offre, certains pays industrialisés ont réduit leurs capacités hospitalières afin de diminuer leurs dépenses de santé avec pour résultat des sous-capacités et des listes d’attentes pouvant atteindre plusieurs mois. C’est le cas des États-Unis, du Canada, du Royaume-Uni mais également et plus récemment de la France pour certaines spécialités comme la chirurgie ophtalmologique par exemple. Il peut alors être tentant pour un individu de couper la file d’attente en allant se faire soigner à l’étranger (Turner, 2007).
L’absence de soins de qualité ou de certains soins spécialisés (comme dans le domaine de la cancérologie) dans le pays de résidence constitue une autre motivation de mobilité thérapeutique. Environ 500.000 riches patients des pays du golfe arabique par an recourent aux soins à l’étranger. Avant les printemps arabes, plus de 30.000 libyens se faisaient soigner en Tunisie chaque année. Cette dernière destination combinait l’accueil de patients occidentaux à un flux Sud-Sud qui nourrissaient l’expansion de cliniques privées (Rouland, Fleuret, Jarraya, 2016). L’Inde a clairement développé une stratégie envers cette clientèle et aujourd’hui de nouvelles destinations (Maroc par exemple) tentent de s’implanter sur ce marché.
Au-delà de ces facteurs très classiques, s’en trouvent d’autres, plus subtils, mais qui n’en demeurent pas moins réels. Ainsi, la mobilité médicale internationale peut aussi être un moyen de se libérer d’un cadre législatif jugé trop contraignant – interruptions volontaires de grossesse, recours à la procréation médicalement assistée, chirurgie de l’obésité ou bien encore recours aux traitements à base de cellules souches. Dans un autre ordre d’idée, s’extraire de son espace du quotidien, c’est se garantir une forme d’anonymat nécessaire dans le cadre de certains soins jugés sensibles.
Enfin, de nombreuses études sur la santé des migrants ont montré que le retour au pays d’origine pour se faire soigner était relativement fréquent. Les raisons sont multiples. Certaines sont de l’ordre des croyances médicales, des préférences culturelles, des barrières linguistiques ou encore des difficultés d’intégration dans le pays d’accueil (Gany, 2006). Il est alors considéré que le processus de guérison n’est pas simplement influencé par le degré de qualification médicale mais aussi par la proximité culturelle et émotionnelle vis-à-vis du lieu de prise en charge. Ainsi, les membres des diasporas représentent une part importante des touristes voyages médicaux (Connell, 2013).
Des impacts sur les destinations et sur les pays émetteurs
En écho aux réserves émises en introduction sur l’usage impropre du vocable de tourisme appliqué à ces mobilités de soins, on peut s’interroger sur la dimension touristique de cette mobilité, les aménités touristiques ne sont pas citées dans les principaux facteurs d’attractivité, mais qu’en est-il réellement? Quels sont les liens qui se tissent entre la santé et le tourisme? Quel est l’impact sur les territoires concernés, notamment en termes de mise en tourisme… Cette dernière question particulièrement mérite d’être développée ici.
Il existe une littérature abondante sur les motivations des voyageurs médicaux (Connell, 2006), mais peu d’études ont porté sur l’impact de ces mobilités dans les destinations touristiques. Ceux-ci existent cependant. Une étude menée en Thaïlande et portant spécifiquement sur les mobilités médicales a montré que par effets directs et indirects, celles-ci «exacerbent la pénurie de personnel médical en détournant de plus en plus de travailleurs des secteurs privé et public au profit des hôpitaux traitant les étrangers. Cela se traduit par une augmentation substantielle des coûts dans les hôpitaux privés et il est probable qu’il en aille de même au niveau des hôpitaux publics et de l’assurance santé universelle qui prend en charge la plupart des Thaïlandais» (NaRanong et NaRanong 2011).
À ces considérations, il faudrait adjoindre d’autres questions posées non plus dans les zones touristiques, mais dans les pays de départ. Par exemple, le voyage médical n’est-il pas en train de générer une véritable délocalisation du soin quand on voit aux États-Unis des assurances santé proposer des packages pour lesquels une partie des soins accessibles ne se situe pas aux États-Unis, mais au Mexique?
La nuance est subtile mais il ne s’agit plus ici de personnes qui recherchent une situation de confort ou qui veulent faire une économie en recourant à une mobilité médicale. Il s’agit bien d’un système qui choisit de délocaliser des services à l’étranger pour faire des économies, avec pour conséquence possible la perte de compétences et la disparition d’une offre locale, à la manière de la désindustrialisation observée dans de nombreux pays suite à un processus similaire de délocalisation d’activités. Ce phénomène n’est donc pas sans soulever de nombreux enjeux sociaux et éthiques.
Bibliographie
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