Lieu touristique
En géographie, un lieu peut être «un espace dans lequel la distance n’est pas pertinente» (Lévy, 2013). Dès lors, un lieu est touristique lorsqu’il est transformé ou créé par le tourisme. Ce ne peut pas être un lieu seulement traversé, car dans les espaces nationaux étendus et très fréquentés, comme la France, il y a des touristes partout, parfois en mouvement vers une destination, ou perdus. Un lieu touristique est par définition, soit créé par le tourisme, au sens où il n’existe pas d’occupation humaine significative préexistante sur le site même, comme pour les comptoirs ou les stations, soit transformé, s’il s’agit d’un investissement par le tourisme d’un lieu historiquement constitué comme les sites ou les villes et les villages, lesquels, ces derniers, sont déjà habités.
Les caractères communs: des lieux transformés par le tourisme
Cette habitation par les touristes produit des transformations radicales à tel point que la touristicité s’y affiche clairement. Les mutations apportées sont induites par plusieurs causes qui ne sont pas toujours présentes simultanément. D’une part, comme le tourisme est une déterritorialisation, la nécessaire reterritorialisation, contribue à marquer le lieu puisqu’il s’agit de l’habiter. Ainsi les différents modes d’hébergement occupent, totalement ou en partie, l’espace. D’autre part, la recherche par les individus des moyens de leur recréation contribue également à la forme des lieux, si nous mobilisons le concept de tourisme dans le sens d’un système qui a cette finalité (voir l’entrée Tourisme). Ainsi, le lieu incorpore des éléments nécessaires au déroulement des pratiques. S’il est consacré au ski, on trouvera des pistes, des installations pour la remontée des pentes, des hangars pour stocker les chasses-neiges…
Enfin, dès lors qu’il est fréquenté, et que sa population s’accroît au moins de manière saisonnière dans des proportions significatives, le lieu acquiert des caractères urbains comme la densité et la diversité des individus qui l’habitent, même si leur présence est saisonnière, et des indices matériels comme la présence d’un bâti de plus grande dimension, d’infrastructures de commerce ou de transport, une urbanisation de l’espace…
La diversité des lieux touristiques en relation avec les circonstances de leur création
Il existe une diversité de lieux qui peut être l’objet d’une classification au-delà de la variété apparente des formes, des noms de lieux, des localisations… Cette démarche nomothétique s’appuie sur l’idéal-type de Max Weber (1908). Elle est relativement récente. En effet, dans son ouvrage édité en 1993, Daniel Clary positionne le «système station» comme l’archétype du lieu touristique, malgré la mobilisation des quatre catégories spatiales convoquées par la géographie du tourisme, et notamment l’auteur lui-même, à savoir: la ville, la campagne, la montagne, le littoral. De son côté, Vincent Vlès dans son ouvrage titré La station touristique paru en 1996, se borne à qualifier la station de lieu où les touristes «stationnent» et d’énumérer Cannes, Paris ou Lourdes comme exemples alors que les trois relèvent de logiques différentes ce qui illustre l’impasse d’une telle appellation
La typologie des lieux touristiques (Ill. 1) élaborée par l’équipe MIT, diffusée une première fois dans l’ouvrage Tourismes 1. Lieux communs (2002), et ici ajustée, a au contraire proposé une classification fondée sur les circonstances d’émergence des lieux. Elle distingue, d’une part, les lieux créés par le tourisme, et d’autre part ceux transformés.
Les lieux créés par le tourisme
Les stations se caractérisent ainsi par l’absence d’établissement humain sur le site, au sens géographique du terme, inventé par les touristes, ce qui induit un dédoublement spatial. Par exemple, à Cabourg (Ill. 2), la fondation du lieu touristique se réalise face à la mer, alors que le village est implanté à l’intérieur des terres sur les bords de la Dives, comme le montre la carte. Cette dichotomie originelle s’explique de deux façons. D’une part, les touristes veulent voir la mer, tandis que les habitants la craignaient. Les villageois, notamment les pêcheurs, remontaient les estuaires afin de trouver un abri un peu à l’intérieur des terres, ou se contentaient de remonter les bateaux jusqu’en haut des plages. Leurs habitations étaient localisées au-delà et sous la protection du massif dunaire. D’autre part, les bourgeois du 19e siècle se représentaient les autochtones comme des «sauvages». Dans son film Ma Loute tourné en 2016, Bruno Dumont évoque la vie balnéaire de bourgeois lillois installés à Ambleteuse, tandis que des scènes d’anthropophagie soulignent l’altérité très forte à l’époque entre les deux mondes. Dès lors, la station est dotée d’un plan géométrique comme une ville planifiée.
La ville-station constitue un type particulier de station dans lequel le quartier touristique s’est juxtaposé à une ville ancienne. Boulogne-sur-Mer, Les Sables d’Olonne, Dieppe ou Nice, Rio de Janeiro, en constituent des exemples. Contrairement à la station, le lieu est déjà une ville quand le tourisme s’y déploie, avec notamment une activité portuaire. Les touristes s’installent en marge du bâti et leur présence accentue le caractère urbain du lieu.
Le comptoir constitue un autre cas de lieu fondé par le tourisme mais qui n’est pas un lieu de vie, au contraire du précédent type. Ensuite, ils relèvent d’un seul gestionnaire, comme les établissements de Center Parc ou du Club Med. Une distinction peut être établie en fonction de la capacité d’hébergement. Soit elle est à la hauteur de la fréquentation: tous les touristes qui l’habitent y passent les nuitées. Soit au contraire elle est faible voire absente.
Les lieux transformés par le tourisme
D’autre part, des lieux historiquement établis ont pu être investis par le tourisme. Plusieurs sous-types peuvent être distingués. Premièrement, les sites des lieux isolés dépourvus d’hébergement qui furent créés dans une intention non touristique et qui ont été investis à un moment de leur histoire, comme le château de Chambord ou le Mont-Saint-Michel, et consacrés à la mise en œuvre d’une pratique touristique. La création de valeur peut induire l’apparition d’hébergements. Ainsi, à Chambord sont proposés quelques lits en gites, installés dans d’anciennes dépendances, ou à Fontevraud, l’ancienne hostellerie a, modernisée, retrouvé sa fonction.
Deuxièmement, les villes et villages sont incorporés par le regard et la fréquentation par les touristes. Le tourisme s’est en effet insinué premièrement au cœur historique des villes car la localisation urbaine des différents pouvoirs les a dotées d’édifices prestigieux (palais et cathédrales notamment) qui de fait mutent en patrimoine matériel (Lazzarotti, 2011). Ensuite, notamment dans les métropoles, au «Central Touristic District» (Duhamel et Knafou, 2007) s’ajoutent pour stimuler l’activité touristique des éléments situés dans son orbite, depuis le quartier (Montmartre), des édifices isolés créés par les puissants au gré de leurs aventures (Versailles) jusqu’aux lieux plus éloignés (Giverny, les plages du débarquement, Chambord, pour Paris…). Un processus identique d’investissement par le tourisme, d’un lieu créé historiquement pour une autre fonction, s’observe à propos de villages. Cette mutation est d’autant plus radicale que le lieu est, à l’origine, de petite dimension. L’activité agricole s’est de fait fréquemment réorganisée à partir des fermes isolées, de fondation plus récente, tandis que le cœur est transformé par le tourisme.
Puis, des sous-types de villes touristiques peuvent être distingués. Ainsi, les villes-étapes constituent un cas distinct de villes qui accueillent des touristes dans les hébergements, mais elles sont peu parcourues pour elles-mêmes du moins pas à la hauteur des lieux environnants. Dans la ville de Tours par exemple, les établissements ouverts au public sont relativement peu fréquentés si nous les comparons avec les données de fréquentation mesurées dans les châteaux de la Loire. Ce sous-type se caractérise par une offre en hébergement assez dense et par une animation plutôt en soirée, lorsque les sites des alentours sont fermés à la visite.
Enfin, un dernier sous-type de lieux investis par le tourisme se distingue par la subversion totale par le tourisme, à la suite du déclin des activités non-touristiques, comme à Venise, Bruges, Tolède ou Rothenburg ob der Tauber en Bavière qui deviennent des villes touristifiées.
Une typologie enrichie par l’évolution des lieux
Cependant, les lieux évoluent et une sophistication permet d’intégrer cette dynamique. Ainsi, les stations deviennent des stations-villes dès lors que des activités non touristiques s’y déploient. La station-ville est une étape vers une ville. Dans certains cas, la dimension touristique a même pratiquement disparu, et de fait le lieu sort de cette typologie, comme à Malo-les-Bains, lieu fondé par Gaspard Malo, qui aujourd’hui n’offre que très peu d’hébergement, mais qui a muté en quartier résidentiel de l’agglomération de Dunkerque. Ailleurs, le lieu continue de fonctionner comme un lieu touristique: il est habité à certaines périodes par une population qui réside ailleurs et qui y vient se recréer. Seulement, le marché de la location des hébergements marchands ou même du foncier sont peu actifs. Le lieu s’est refermé au profit d’habitués qui cultivent l’interconnaissance et l’entre soi. La communauté touristique, étudiée par Philippe Duhamel (2008) semble plutôt fréquente dans les régions touristiques déclassées par l’évolution des pratiques, ainsi le long de la Côte d’Albâtre, après que la pratique du bain chaud et du bronzage ait supplanté le bain froid et l’esthétique de la peau blanche.
Bibliographie
- Clary Daniel, 1993, Le tourisme en France. Toulouse, Masson.
- Equipe MIT, 2002, Tourisme 1. Lieux communs. Paris, Éditions Belin.
- Duhamel Philippe, 2008, «Les communautés vacancières», Norois. n°206, en ligne, consulté le 14 janvier 2022.
- Lazzarotti Olivier, 2011, Patrimoine et tourisme. Histoire, lieux, acteurs, enjeux. Paris, Éditions Belin, coll. «Belin Sup».
- Lévy Jacques, 2013, «Lieu», dans Lévy Jacques et Lussault Michel (dir.), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés. Paris, Éditions Belin, p. 612-613.
- Vlès Vincent, 1996, Les stations touristiques. Paris, Economica.
- Weber Max, 1904, Essais sur la théorie de la science. Premier essai : L’objectivité de la connaissance dans les sciences et la politique sociales. Paris, Plon [1965], en ligne [pdf].