Jeu

Le jeu constitue une des pratiques touristiques à côté du repos, de la découverte, de la sociabilité et du shopping, par lesquelles les individus se recréent.

L’engagement du corps (Coëffé et al., 2016) constitue une des modalités de la recréation. Cette modalité se situe à l’opposé du repos, ainsi la promenade se distingue de la randonnée. L’équipe MIT (2002) a proposé de questionner la notion de tourisme sportif: «Un point important est alors à retenir: “les sports” ou le “tourisme sportif” qui constituent souvent une catégorie centrale pour l’interprétation des pratiques touristiques ne sont en fait qu’un type de jeu» (page 110).

En effet, l’observation de scènes de canoé-kayak en Ardèche souligne l’absence totale de règles dans l’exécution. S’il y a bien un point de départ, il n’y a pas de ligne imposée et surveillée par des officiels. Les entreprises de location transportent là le matériel et aident à mettre à l’eau (Ill. 1). Ensuite, tous les passagers sont admis, loin des canons institutionnels (Ill. 2). De même, le temps est peu mesuré. Le vagabondage est de mise tant sur l’eau, où la ligne droite n’est pas assurée (Ill. 3), que sur les berges où des arrêts pour le pique-nique, l’exploration ou tout simplement le bronzage ou la contemplation (Ill. 4). Car, au-delà de la dominante, les pratiques fonctionnent en combinaison. Ainsi, en Ardèche, cela reste le seul moyen de découvrir les gorges d’en bas, en contre-plongée (Ill. 5), tandis que le département a aménagé une route qui serpente par le haut (Ill. 6).

Ill. 1. La mise à l’eau par le loueur: un grand moment de l’expérience touristique qui n’a rien à voir avec le départ d’une compétition (cl. Philippe Violier, août 2015)

Ill. 2. De curieux compétiteurs sont embarqués (cl. Philippe Violier, août 2015)

Ill. 3. Des canoés dans tous les sens (cl. Philippe Violier, août 2015)

Ill. 4. Des arrêts pour le bain, ici aux pieds du Pont d’Arc (cl. Philippe Violier, août 2015)

Ill. 5. Un moyen aussi de découvrir les gorges d’en bas (cl. Philippe Violier, août 2015)

Ill. 6. L’autre manière de découvrir les gorges, d’en haut, grâce à la route et aux aménagements réalisés par le département dès 1931 (cl. Philippe Violier, août 2015)

Cette posture est inspirée de Huizinga (1951) et de René Caillois (1958), lesquels soulignaient «la conscience d’être autrement que dans la vie courante» (1958, p. 57-58). La «vie courante» de Caillois peut être rapprochée des «routines» (Élias et Dunning, 1994) de la vie quotidienne qui épuisent les individus. À la différence du sport, du coup professionnel, ce n’est pas un métier. Dès lors, l’engagement du corps pour la recréation prend place pendant le temps consacré aux activités de loisir, ce qui laisse place aux pratiques des amateurs.

L’articulation entre tourisme et loisir tient au fait que si on peut jouer à la maison, ou dans l’espace quotidien, à la faveur de moments courts et fractionnés, l’espace-temps du tourisme permet d’accéder à des lieux mythiques, à haute valeur symbolique, ou plus simplement de grande qualité, pour s’adonner à une passion. De ce fait, elle peut devenir l’argument principal du projet touristique sans épuiser la totalité des possibles et être complétée dans l’emploi du temps par une dose de découverte, une autre de sociabilité, mais aussi de repos, constituant ainsi une combinaison.

Au-delà, un continuum se révèle entre des individus qui ne se saisissent de l’occasion qu’une fois par an, dans le lieu de leurs vacances, et ceux qui reproduisent sur place, des gestes maîtrisés et qui auront le sentiment d’être en compétition, avec eux-mêmes ou un cercle restreint de connaissances. La qualité des lieux touristiques justifie dès lors un déplacement notamment vers les spots qui proposent des conditions particulières, une vague exceptionnelle par exemple pour les surfeurs ou des fonds marins riches pour les plongeurs qui se contentent au quotidien des piscines ou des carrières délaissées par l’exploitation des matériaux.

Le développement des activités sportives dans le tourisme débute au 19e siècle avec l’avènement des sports d’hiver à Saint-Moritz en Suisse, où l’on propose aux biens portants d’expérimenter la neige et la glace. A l’époque, curling, patinage, courses à patin et toboggan de glace comme luge suffisent au bonheur des touristes. Il sera complété plus tard par l’avènement du ski comme pratique complémentaire au départ avant que n’advienne l’ère du ski aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale par le développement de nombreuses stations ex-nihilo autour d’un projet injustement appelé Plan Neige et qui viendra transformer en profondeur de nombreux massifs alpins français (Knafou, 1978).

En symétrie, aux pratiques sportives d’hiver répondent celles d’été avec l’alpinisme et la randonnée qui devient une pratique très développée à la fin du 19e siècle. Ce mouvement explique leur diffusion et l’émergence d’autres cultures de la montagne avec le pyrénéisme, l’andisme ou l’himalayisme. En bord de mer et partout dans les campagnes, des randonnées sont possibles et aujourd’hui même on parle de «randonnées urbaines». Enfin, cette découverte par la marche s’est enrichie dans les années 1970 d’une nouvelle pratique, le trekking qui est le fils de l’himalayisme et des routards dont le foyer d’innovation fut le Népal depuis Katmandou (Sacareau, 1997).

Mais le sport ne constitue pas la seule facette du «jeu touristique». On peut en identifier deux autres. Tout ce qui relève du «jeu de hasard» et qui, dans le tourisme, est incarnée par les Casinos. Ici prend place successivement l’histoire de Monaco dans les années 1850, de Las Vegas un siècle plus tard et plus récemment Macao ou Singapour où l’homme d’affaires Sheldon Adelson souhaite faire de la Cité-État une nouvelle plaque tournante du monde des jeux dont l’inauguration en 2010 du complexe Marina Bay Sand Hotel constitue la pierre angulaire.

Le «jeu» relève aussi du simulacre et ici prend place les fêtes foraines, les Luna parcs et tous les parcs à thème du Monde au rang desquels domine les parcs Disney. Ces lieux constituent des espaces-temps particulier où chacun, une fois qu’il a consenti à y aller, renoue avec une posture d’enfant. Ce sont des lieux très animé par des jeux de lumière nombreux et criards, où le cri est monnaie courante.

Philippe VIOLIER et Philippe DUHAMEL

Bibliographie

  • Caillois René, 1958 [1967, éd. revue et augmentée], Les Jeux et les Hommes: le masque et le vertige. Gallimard, Idées, Paris, 306 pages
  • Élias Norbert et Éric Dunning, 1994, Sport et civilisation. La violence maîtrisée. Paris, Payot, 396 p.
  • Huizinga Johan, 1951, Homo Ludens – Essai sur la fonction sociale du jeu. Paris, Gallimard, 340 p.
  • Sacareau Isabelle, Porteurs de l’Himalaya. Le trekking au Népal. Paris, Éditions Belin, 271 p.
  • Vincent Coëffé, Duhamel Philippe, Guibert Christophe, Taunay Benjamin, Violier Philippe, 2016, «Mens sana in corpore turistico: le corps “dé-routinisé” au prisme des pratiques touristiques», L’Information géographique. vol. 80, n°2, p. 32-55, en ligne.