Hossegor

Hossegor, commune du sud du département des Landes a été mise en tourisme dès le début du 20e siècle à la faveur d’une élite culturelle. L’essor du tourisme balnéaire et du surf en particulier à partir des années 1970 a transformé le lieu et les usages sociaux qui y étaient classiquement patents. Il en a résulté des tensions entre groupe sociaux au sujet de la définition légitime de ce que doit être Hossegor.

Un tourisme ancien et culturellement élitiste

Les stations balnéaires françaises présentent de nombreuses sources objectives de différenciation comme la taille, l’histoire sociale, le niveau et le type d’équipement à fonction touristique ou encore les propriétés sociales des habitants et des vacanciers. Sur le littoral aquitain, Hossegor dans le sud du département des Landes est une station créée ex nihilo à l’époque où la clientèle aristocratique – bordelaise et parisienne – cherchait des lieux de villégiatures hivernaux. Cette commune est depuis de nombreuses décennies destinée à un tourisme relativement élitiste par la présence de casino, d’hôtels, d’un golf construit dans les années 1920, de terrains de tennis, etc. Hossegor, ville de 3800 habitants (Recensement de la population, 2015) et station balnéaire dès le début du 20e siècle, a conservé un prestige qui est étroitement lié aux propriétés sociales des premiers estivants.

«Et c’est Hossegor, mon lac, ou plutôt mon golfe où bat le cœur de l’Océan. Il exhale la fraicheur de son eau salée, et la ceinture de ses pins s’estompe, se veloute dans la distance ; une ombre y descend, légèrement bleue, marquant le pli des vallées entre les dunes. Par la sérénité, par le calme, par la paix simple et profonde, cette lagune a pris depuis longtemps mon cœur.»

J.-H. Rosny, jeune écrivain et futur président de l’Académie Goncourt, dans L’illustration du 22 juillet 1911

Suivront en nombre des écrivains, intellectuels bourgeois (Paul Margueritte, Maxime Leroy, etc.) et autres industriels qui participent aux fondations de la station. Des personnalités du monde politique et du «show-biz» y acquièrent des villas où y passent leurs vacances. Situées dans la forêt autour du lac marin ou d’un golf prestigieux, les villas de style «basco-landais» attestent de la qualité sociale des premiers propriétaires.

Carte postale de la Villa Primerose, début 20e siècle, coll. Médiathèque intercommunale Pau-Pyrénées B6-336, Source Pireneas, lien https://www.pireneas.fr/ark:/12148/btv1b10571095h?rk=21459;2

Un «front de mer» est progressivement aménagé dans les années 1930 en suivant une harmonie architecturale typique. Le long mandat de maire d’un promoteur immobilier de 1935 à 1972, Alfred Eluère (membre du parti radical-socialiste), contribue à asseoir un développement touristique continu et harmonisé. Ce lustre d’antan, à la fois culturel, social et architectural, est perpétué par d’actuels résidants qui voient dans Hossegor un lieu de villégiature élitiste qu’il convient de conserver. Le « Salon du Livre » (porté par l’association «Les Amis du Lac» depuis 1999), les concerts de musique classique et de jazz sont autant de manifestation qui positionnent l’offre culturelle d’Hossegor dans le domaine de la culture légitime. Il n’y existe d’ailleurs pas, comme dans les communes voisines (Capbreton, Seignosse, Soustons, etc.), de grands ensembles collectifs qui favorisent un tourisme «familial». À l’inverse des stations balnéaires landaises, Hossegor ne possède pas d’hébergement de plein air, type d’habitat touristique pourtant très rependu dans le département. Le nombre de «lits touristiques» disponibles à Hossegor en 2021 ne s’élève qu’à 729 selon l’INSEE (dont 300 en hôtels et 429 en «villages vacances»), ce qui est peu par rapport à Seignosse, commune voisine convertie au tourisme dans les années 1970-1980 (5977 «lits» dont 13 en hôtel, 1569 en camping et 4395 en hébergements collectifs). Ce sont davantage les résidences secondaires et les villas à louer qui alimentent la fréquentation touristique d’Hossegor en période estivale.

Couvertures d'ouvrages publiés par les membres des Amis du Lac

Ouvrages publiés par des membres de l’association « Les Amis du Lac » (E. Gildard, journaliste et fondateur de l’association et J.-C. Drouin, Professeur des universités en histoire contemporaine à l’université de Bordeaux). L’élégance, les traditions, le lac, la nature et l’espace sont valorisés dans ces publications. Hossegor, L’esprit d’élégance (2011) fait suite à un colloque organisé par l’association afin de légitimer l’association de «l’élégance» à la commune. Le rayonnement d’Hossegor (2005) est une réédition d’un texte éponyme rédigé par Maxime Leroy dans les années 1930, attestant l’historicité des traditions littéraires dans la commune : « Jamais une cité n’a autant dû son rayonnement à des écrivains » annoncent en préface de l’ouvrage E. Gildard et J.-C. Drouin (coll. Christophe Guibert).

Une fréquentation progressivement composite

Or, la commune d’Hossegor est progressivement devenue, depuis un demi-siècle, un lieu réputé pour la pratique du surf. La qualité des vagues reconnue internationalement, l’organisation dès 1987 de compétitions professionnelles très médiatiques, le siège de la Fédération française de surf depuis 1964, la présence de clubs ou encore de sièges sociaux européens d’entreprises de surfwear (spécialisées dans la fabrication et la vente de vêtements puis de combinaisons isothermes pour la pratique du surf) contribuent à faire de Hossegor une «ville de surf» incontournable à l’échelle française voire européenne (Guibert, 2006b). Pendant longtemps, les représentations des élus locaux et d’une frange de la population résidente à l’année n’ont cependant pas systématiquement été orientées vers un plébiscite en faveur du développement du surf.

La municipalité d’Hossegor hésite ainsi dans les années 1990/2000 entre une « image surf » qui implique presque mécaniquement pour elle «la jeunesse» mais aussi «la fête» ou encore «la liberté» et une image plus traditionnelle de station explicitement «chic et élégante» selon le slogan de la commune. Le golf et les villas luxueuses spatialement agencées dans la «cité-parc» (notion usitée par la municipalité), le lac marin, une offre culturelle élitiste (art, littérature, musique) mais aussi une société de propriétaires, pour le moins influente dans le champ politique local, entretiennent ce cachet socialement sélectif. Se côtoient donc dans cette commune du département des Landes des populations dont les manières d’investir et d’appréhender l’espace physique, autrement dit les «styles de vie» (Bourdieu, 1979), sont différentes tant dans les façons de s’habiller que dans celles de se mouvoir.

Les différents modes d’occupation de l’espace physique d’Hossegor tendent à organiser ce dernier en «micro-territoires» qui impliquent des conduites singulières, conscientes ou inconscientes. Les abords du golf ou des villas autour du lac engagent ainsi des usages différenciés de ceux de la Place des Landais sur le front de mer (tels que la plage, les «bars de surfeurs» ou la restauration rapide), tandis que le centre-ville demeure un espace commun composé de surfshops, de boutiques de prêt-à-porter de luxe, des galeries d’art et d’objets « design » puis des établissements de restauration. Cette double modalité d’appréhension de l’espace agit un peu comme s’il y avait deux villes dans la ville. Les usages doubles de la ville et les représentations liées à ses différentes identifications – «bourgeoise» et «littéraire» ou «jeune» et «surfique» de manière binaire –, font intervenir avec force l’aspect générationnel des groupes d’agents sociaux investis dans ce processus. Les temporalités concurrentielles, les usages de l’espace, les activités de «temps libre» et les goûts contribuent à définir Hossegor comme une ville au statut dichotomique.

Dans les années 2000, la municipalité d’Hossegor est à l’évidence soumise à un dilemme quant à l’orientation politique à définir envers le surf d’une part et la culture légitime (littérature, la musique et l’art) d’autre part. Mais au regard de la composition sociale des résidents de la ville d’Hossegor, le ciblage de la politique à mener est assez peu problématique. Les artisans, commerçants et chefs d’entreprise puis les professions intellectuelles supérieures représentent plus du tiers de la population active de la commune, un chiffre qui est largement supérieur aux communes voisines du sud du littoral landais (environ 1/5e) tandis que les résidents de plus de 60 ans sont quant à eux surreprésentés à Hossegor (2 habitants sur 5 en 2000 et plus de la moitié en 2017 selon l’INSEE). Ce sont là des traits révélateurs d’une commune résidentielle où nombre d’habitants s’y installent et y résident durablement dans le cadre de leur retraite.

L’accroissement de la population est néanmoins contrôlé dans la commune à la faveur d’une politique contraignante en termes d’aménagements et de réalisations nouvelles de programmes immobiliers. Les propriétés sociodémographiques de la commune s’articulent étroitement ainsi avec les caractéristiques urbanistiques et architecturales. L’époque d’achèvement des logements est un bon révélateur de l’histoire touristique de la commune. Selon l’INSEE (au début des années 2000), 46 % des logements d’Hossegor seulement ont été construits après 1975, contre près de 60% à Seignosse et 58% à Capbreton. De même, 12% des habitations d’Hossegor ont été réalisées avant 1949, contre 1,8% à Seignosse par exemple. La population de la commune est quant à elle relativement stable depuis le recensement de 1999, après une hausse continue des années 1920 (400 hab. en 1921) aux années 1980, à la suite de l’apparition d’une fréquentation touristique pérenne. Le recrutement social des touristes est également structuré par les propriétés sociales, historiques architecturales de la commune. Le classement des communes du département des Landes (opéré annuellement par le Conseil départemental du tourisme, en fonction de la consommation des touristes par personne, par jour et en euros), selon le volume de dépenses des touristes, souligne la haute position d’Hossegor. Mais l’arrivée, depuis les années 1980 surtout, d’un nouveau genre de touristes, les surfeurs, modifie l’image que donne à voir la station balnéaire.

Le quotidien régional Sud-Ouest affuble chaque année la ville en période estivale du titre de «capitale du surf» ou même d’«une des capitales mondiales du surf».

Le site spécifique de l’INA «Empreintes landaises» propose de nombreux films issus des journaux télévisés d’époque (des années 1970 aux années 2000) au sein desquels Hossegor occupe une position hégémonique dès qu’il est question des compétitions professionnelles ou de l’économie et de l’industrie du surf: voir ici. L’organisation de l’étape du Championnat du Monde professionnel, le «Rip Curl Pro» dans les années 1980 et 1990 puis du «Quiksilver Pro France» à partir du début des années 2000 positionne Hossegor comme haut lieu mondial de la pratique du surf. La multiplication des entreprises dispensant des services sportifs à une clientèle touristique (les cours de surf), malgré les actions politiques de régulation quantitative, contribue aussi à associer Hossegor au surf.

Livret de compétition, Hossegor Rip Curl Pro, août 1995

Livret de compétition, Hossegor Rip Curl Pro, août 1995. Au-delà des sponsors privés, le partenariat de la manifestation avec l’ensemble des échelons territoriaux (commune, communauté de communes, département et région) témoigne de l’intérêt politique à développer ce type de manifestation, très porteuse sur le plan touristique et économique (coll. Christophe Guibert).

Hossegor comme enjeu de lutte

Le littoral est devenu en période estivale un lieu d’intense vie récréative: l’espace touristique est marqué par une accumulation de types de clientèles aux dispositions différentes voire socialement opposées (Guibert, 2006a). Le secrétaire général de la mairie d’Hossegor abondait en ce sens en 2001, en reléguant le surf au second plan derrière «l’élégance océane»: «Il y a tellement deux phases différentes, il y a l’élégance océane, puisque c’est notre slogan, et après il y a le surf. Mais ces deux images ne sont pas du tout… je dirais même qu’elles s’opposent! C’est même contradictoire. Vous avez l’élégance océane et le surf, c’est contradictoire. Ce n’est pas du tout le même public, pas du tout le même âge, pas du tout les mêmes gens, pas du tout les mêmes façons de vivre. C’est deux choses qui, à la limite, s’opposent. Et par moment, vous avez certaines personnes… vous avez les anti-surf et les pro-surf. Avec le bruit à la Place des Landais, tout ça. Il faut qu’il y ait un savant équilibre. En fait, tout ça… euh… le surf n’est pas Hossegor, le surf n’est pas Hossegor, c’est une composante d’Hossegor, ce n’est pas comme ça que la municipalité le voit. Le surf, ce n’est pas Hossegor. L’été, notre clientèle à nous, ce n’est pas les surfeurs.» (entretien effectué en 2001)

« L’élégance océane » : le golf ou le surf ?

« L’élégance océane » : le golf ou le surf ? Source : Guide 2001 de l’office de tourisme de la ville d’Hossegor (coll. Christophe Guibert).

De nombreux habitants d’Hossegor, issus des classes sociales les plus élevées, se sont regroupés en association depuis 1991 au sein de la Société des Propriétaires de Soorts-Hossegor, la SPSH, véritable groupe de pression visant à la défense de ses propres intérêts spécifiques. L’histoire familiale et l’ancienneté de la présence dans la commune, ou la possession d’une propriété, sont les conditions pour adhérer à cette association: «Après tout, les propriétaires ont une importance non négligeable fiscalement parlant. On a notre mot à dire» précise ainsi dans la presse régionale (Sud-Ouest, «Calme, luxe et volupté », 15 juillet 1998) un des membres fondateurs et ex-président de la SPSH, Gilles de Chassy (chef d’entreprise dans la filière bois et ex-président du Syndicat des Sylviculteurs du Sud-Ouest). Y sont étudiés les problèmes liés à la sécurité, à la propreté de la station (les tags), à l’environnement (forêt et littoral), aux nuisances sonores (souvent liées aux soirées dans les «bars de surfeurs»).

Les membres de cette association catégorisent négativement les surfeurs comme l’atteste ce passage du livre de Gérard Maignan, écrivain et membre de la SPSH: «La population locale n’a pas vu arriver sans appréhension ces garçons dégingandés, stationnant près de la mer dans des minis-cars moins que sommairement aménagés, affranchis de toute discipline, peu respectueux de leur voisinage et tout entiers préoccupés de leur seule passion du surf. Leur présence a coïncidé avec l’apparition de la drogue dont toutes les stations balnéaires semblaient jusqu’ici préservées et celle de dealers venus chercher sur les plages une nouvelle clientèle.» (Maignan, 2002). Le projet de réalisation d’un «Livre Blanc» par la commission «Prospective Hossegor» de la SPSH illustre toutefois le fait que la municipalité se devra sans doute de toujours prendre en compte le poids de l’association. Ce document avait pour ambition de fixer, jusqu’à l’horizon 2020, des pistes de réflexion sur les thèmes privilégiés par la SPSH à savoir l’aménagement, la fiscalité, la culture, la sécurité, l’environnement et le patrimoine. Destiné à être «légué [aux] petits-enfants» des membres de la SPSH, le «Livre Blanc» implique une conviction qui se résume au propos de Gilles de Chassy: «Nous ne souhaitons pas que la station se banalise» (Sud-Ouest, 15 février 2005).

Une station finalement «pacifiée»

Si l’histoire sociale d’une destination touristique, ici balnéaire, témoigne assez classiquement de rapports de force, d’enjeux quant à la définition légitime de ce que doit être la destination, il s’avère qu’Hossegor n’échappe pas à la règle. Les tensions passées n’y sont toutefois plus celles d’aujourd’hui. La stabilité économique et les effectifs salariés (plus de 500) de l’économie du surf contribuent à penser l’univers du surf comme profitable pour le territoire et son développement. La douzaine d’écoles de surf (associations et entreprises commerciales) recensées sur les plages de la commune en 2021 témoigne aussi d’un dynamisme certain. Le recrutement social de la clientèle touristique qui s’adonne à la pratique du surf, composée de catégories sociales plutôt supérieures (eu égard aux tarifs pratiqués pour suivre un cours ou un stage dans une école de surf), contribue d’autre part à modifier progressivement les représentations spontanées qui associaient mécaniquement ce sport à de nombreuses déviances.

Finalement, Hossegor a réussi à maintenir un tourisme adossé à un prestigieux passé culturel en y associant des activités sportives et de loisirs contemporains. Le topo introductif du «Guide 2021» d’Hossegor à destination des clientèles touristiques témoigne bien d’une station balnéaire, internationale, socialement plurielle et composite: «Venez passer des vacances riches en émotions dans la station balnéaire réputée d’Hossegor, capitale du surf en Europe. Une destination nature avec ses belles plages landaises aux vagues océaniques puissantes et son lac marin au charme enchanteur. Tous les sportifs s’en donneront à cœur joie entre surf, golf, vélo, activités nautiques, balades et bien-être. Hossegor c’est aussi un centre-ville chic avec ses belles boutiques. En front de mer sur la plage centrale, retrouvez ses restaurants et bars très animés. Vous l’aurez compris, Hossegor promet des vacances intenses, aussi sportives que festives!» (https://www.hossegor.fr/).

Christophe GUIBERT

Bibliographie

  • Bourdieu Pierre, 1979, La distinction, critique sociale du jugement, Paris, Minuit, 672 p.
  • Guibert Christophe, 2006a, «Hossegor : “le surf” ou “l’élégance”? Une double identification territoriale», Annales de la Recherche Urbaine, «L’avancée en âge dans la ville», PUCA, n°100, p. 89-96.
  • Guibert Christophe, 2006b, L’univers du surf et stratégies politiques en Aquitaine, Paris, L’Harmattan, 2006, 321 p.
  • Maignan Gérard, 2002, Hossegor, l’élégance océane, Anglet, Atlantica, 110 p.