Grands événements sportifs internationaux (GESI)
Ce texte présente et discute le concept de grands événements sportifs internationaux (GESI). Après avoir clarifié les différents termes à l’œuvre dans la littérature académique francophone et anglo-saxonne, la contribution soumet les différentes acceptions du terme «événement sportif» à l’éclairage de plusieurs champs disciplinaires qui vont chacun révéler un pan de la notion et partant, illustrer sa densité. Un troisième paragraphe porte plus précisément sur le périmètre définitionnel du GESI au regard des différents critères identifiés dans la littérature et s’attache à faire ressortir deux définitions qui paraissent représentatives et qui insistent chacune sur une dimension particulière. Les quatrième et cinquième paragraphe ambitionnent de discuter la notion au prisme d’un éclairage analytique et critique des enjeux définitionnels.
Cadre définitionnel des grands événements sportifs internationaux (GESI)
Une fois n’est pas coutume. L’approche francophone pour caractériser l’événementiel sportif d’envergure présente une apparente simplicité au regard de la variété des termes anglo-saxons à l’œuvre. En effet le terme de «grands événements sportifs» (GES) ou «grands événements sportifs internationaux» (GESI) est en passe de s’imposer durablement: il dispose de peu d’alternatives et est employé régulièrement à la fois par les institutions (un exemple de calendrier; DIGES) et les chercheurs (Barget et Gouguet, 2010; Charrier et Jourdan, 2019).
Au contraire la littérature anglo-saxonne véhicule une profusion de termes analogues utilisés pour décrire un événement selon l’importance accordée à telle ou telle dimension, mais aussi et surtout selon les auteurs et autrices: «major one-time sport event» (Ritchie, 1984), «large-scale sport event» (Roche, 2000), «mega sport event» (Rooney, 1988), «major sport event» (Jago et Shaw, 1998) ou encore plus récemment «giga sport event» (Muller, 2015) qui vont tous s’établir en contrepoint des événements sportifs récurrents de moindre envergure («Recurring sport event» ou «small scale sport event»). De manière connexe, la littérature identifie aussi des «hallmark sport event» (Getz, 1992) utilisés pour décrire un événement qui prend le nom de la localité dans laquelle il se déroule (Wimbledon). Toutefois, malgré cette profusion anglo-saxonne, l’apparente simplicité du terme francophone ne doit en aucun cas être entendue comme une réfutation de la complexité de la notion, ni de ce qu’elle implique.
Par essence, l’événement est un moment de rupture dans la linéarité du temps, doté d’un caractère extraordinaire et qui peut avoir des répercussions positives ou négatives par la suite. Appliqué au domaine sportif, sa définition prendra une teinte différente selon l’approche disciplinaire qui l’étudie – sous l’angle épistémologique, le point de vue crée l’objet – tout en mettant généralement à distance les dimensions négatives. De manière générique, l’événement sportif sera d’abord un lieu «où des hommes et des femmes se rassemblent […] pour assister à un spectacle sportif» (Piquet, 1985: p.23). Dans une acception sociale, il s’agira d’un temps de rencontre, une forme de célébration collective (Fredline et Faulkner, 2000) ou un espace de liminalité (Chalip, 2006) propices au renforcement d’un sentiment d’appartenance (Burgan et Mules, 1992).
Justement, en participant d’une expérience profondément liée au territoire, l’événement pourra être considéré comme une composante spatiale à part entière (Gravari-Barbas, 2009). La géographie abordera d’ailleurs l’événement via l’étude des rapports qu’il suscite entre les groupes sociaux et les lieux, notamment en investiguant la notion d’espace vécu (Di Méo, 2004). L’approche historique appréhendera l’événement comme un fragment de réalité perçue, inscrit dans le temps et mis en partage dont l’enjeu sera de saisir l’existence éclatée (Farge, 2002) pour en comprendre la portée, le sens et la mise en mémoire (Violette et Attali, 2018). Une approche économique traitera l’événement sportif comme bien collectif générant des bénéfices et des coûts sociaux (Barget, 2001) qu’il convient de chercher à mesurer. Une approche managériale l’étudiera comme une source de mise en réseau d’acteurs, formalisée au niveau juridique par des contrats de partenariats et, au niveau économique par des flux réels et monétaires (Bourg et Gouguet, 1998). Le marketing abordera un fait social identitaire doté d’un capital marque spécifique au sport (Ferrand et al., 2006), et pouvant être considéré comme un média adaptable, vivant, festif et à résonnance humaine (Didry, 2008). Enfin, une approche politiste considérera en priorité l’investissement public (Mills et Rosentraub, 2013) et les (nombreuses) finalités politiques qui sont généralement associées à l’événement sportif (Bourbillères, 2017) ou encore son rôle dans la diplomatie internationale (Boniface, 2012).
Un grand événement sportif international serait donc tout à la fois cela et un peu plus, considérant que sa caractéristique première sera la taille (ou l’intensité) critique des dimensions qui le composent. Bien qu’elles puissent légèrement varier selon les auteurs ou autrices, ces dimensions se concentrent autour des critères suivants (Marris, 1987; Gratton et al., 2000; Gammon, 2011; Muller, 2015): un caractère international, un nombre de participants, de spectateurs et de volontaires bénévoles considérable, une attractivité et une couverture médiatique étendue, des dépenses d’organisation élevées, des impacts sur les populations et l’environnement bâti importants. D’autres ajoutent des variables telles que le statut du porteur de projet (Ferrand et Chanavat, 2006; Downward et al., 2009), le type de sport, la récurrence et la finalité commerciale de l’événement (Ferrand et Chappelet, 2015) ou bien encore le type de motricité engagé, la date de création et le caractère compétitif (Bessy et Suchet, 2016) pour distinguer les compétitions sportives (Tour de France), des spectacles de types «show» (matchs de catch) et des manifestations sportives de masse et d’élite (marathon). Néanmoins, il ressort clairement de la littérature académique un cadre définitionnel des grands événements sportifs autour de deux dimensions.
La première caractérise l’envergure internationale du GESI et est bien illustrée par la définition de Roberts (2004, p. 108): «le méga-événement dispose d’un caractère discontinu, original, international doté d’une composition globale hors-norme, capable d’atteindre des millions de personnes à travers le monde par la médiatisation». La deuxième dimension insiste sur les formes d’impact à dominante économique, communicationnelle et touristique. A cet égard, la définition de Getz (2007: p. 25) s’avère exemplaire: «les méga-événements, de par leur taille et leur importance, sont ceux qui génèrent un niveau élevé de tourisme, de prestige ou d’impact économique pour le territoire hôte» (traduction effectuée par nos soins). Elle rejoint les événements de «Type A» dans la typologie classique de Gratton et Taylor (2000) ci-dessous. Finalement, les GESI sont des faits sociaux totaux (Mauss, 1923) qui vont ponctuer, rythmer même lorsqu’ils sont récurrents la vie sociale mais, de ce point de vue, essentiellement sur la base d’impacts économiques, médiatiques et touristiques.
Perspectives et enjeux scientifiques des GESI
Évoquons toutefois dans une perspective scientifique la difficulté qui réside dans l’évaluation précise de chacun des critères qui s’avèrent être plus ou moins mesurables: si identifier le nombre de volontaires impliqués dans l’organisation est chose aisée, il n’en n’est pas de même pour ce qui est de la caractérisation précise des impacts sur les populations. Même dans le cas où il serait possible d’aboutir à une mesure précise du nombre de visiteurs et du coût d’organisation – ce que la littérature académique conteste globalement («Une analyse coûts-bénéfices complète prend en compte tous les facteurs économiques, environnementaux et sociaux pour déterminer l’impact global d’un événement. Toutefois la majorité des évaluations d’événements qui ont été entreprises à ce jour se sont limitées à des évaluations économiques. Or il faut noter que les évaluations économiques ne fournissent pas une image complète de l’événement et pourraient donner des résultats trompeurs» (Dwyer et Jago, 2006: p.2)) – ces seuls indicateurs seraient insuffisants puisque la nécessité de construire de nouvelles infrastructures sportives, qui est toujours le principal poste budgétaire, va largement dépendre de l’endroit où se déroule l’événement. En outre, le «caractère international» peut prêter à confusion considérant qu’un championnat d’Europe d’une discipline peu médiatisée puisse s’inscrire dans cette définition. Ainsi, pour dépasser ces difficultés, peut-être faudrait-il opter pour une approche plus extensive et qualitative de la notion, au moins à trois égards qui correspondent à autant d’enjeux stimulants à court et moyens termes pour la communauté scientifique.
Premièrement, il paraît nécessaire de clarifier que seule une identification concomitante de l’ensemble des critères sera suffisante pour qualifier un événement de GESI. Cela permettrait peut-être d’éviter le syndrome du «troisième plus “grand” événement au monde» qui se trouve être tour à tour, selon les années et le critère mis en avant par le commanditaire de l’étude: les championnats du monde d’athlétisme, la Ryder Cup, la Coupe du monde de rugby, le Tour de France ou le Super Bowl. À cet égard, les définitions à géométrie variable ne font qu’alimenter le flou.
Deuxièmement, il semble nécessaire de compléter l’actuelle définition par l’ajout d’une dimension immatérielle relative aux effets sociaux largement étudiés depuis le milieu des années 2000. En effet, si l’on considère la prédominance du caractère matérialiste des définitions les plus régulièrement mobilisées dans la littérature (à l’instar de celle de Getz citée plus haut), les dimensions sociales sont régulièrement omises. Pourtant, puisqu’il s’établit dans le large champ des émotions (Farge, 2002), puisqu’il participe d’une synergie des attentions et des enthousiasmes sur une période donnée, il est potentiellement vecteur d’expériences vécues porteuses de sens (Hall, 1992) du point de vue de la cohésion sociale, de la citoyenneté, du développement des activités physiques et sportives ou encore de l’éducation (Charrier et al., 2019).
Troisièmement enfin, le GESI peut aussi être vecteur de nuisances (déplacement de populations et gentrification, hooliganisme et insécurité, vandalisme, prostitution, etc.). Pour de nombreux auteurs, la population locale n’aurait même rien à gagner dans les événements sportifs d’ampleur, ceux-ci bénéficiant surtout aux élites économiques et politiques (Andranovich et al., 2001; Horne et Manzenreiter, 2006). Dès lors, une définition d’un GESI qui ne ferait état que des impacts matériels les plus visibles serait systématiquement incomplète car elle ne prendrait pas en compte la variété et la diversité des effets à l’œuvre, y compris dans leur composante néfaste. Ce ne sera qu’en avançant sur la compréhension de ces dimensions contre-intuitives et qui apparaissent «en contrepoint» des effets les plus visibles – déjà bien renseignés par ailleurs – que le périmètre définitionnel des grands événements sportifs internationaux continuera à gagner en robustesse scientifique.
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