Everest

Situé dans le massif du Khumbu au nord-est du Népal, en position frontalière avec le Tibet, l’Everest, ou Chomolungma en tibétain ou Sagarmatha en népali, a été identifié comme le plus haut sommet de la terre (8.848 mètres) par les services géodésiques des Indes britanniques, qui lui ont donné le nom de son directeur, Sir Georges Everest en 1865. Vaincu en 1953 par Sir Edmund Hillary et le Sherpa Tensing Norgay, il a donné son nom népalais à un parc national, le Sagarmatha National Park, créé en 1976, et a été classé au Patrimoine mondial de l’UNESCO en 1979. Montagne sacrée des Sherpas et haut-lieu touristique du monde, voire «hyperlieu iconique» (Lussault, 2017), l’Everest est un puissant opérateur spatial.

Il polarise autour de lui dans le Khumbu un système touristique original et mondialisé, fondé sur le trekking et l’himalayisme, qui drainait en 2014 plus de 42.000 visiteurs dont 37.124 trekkeurs, 4.701 membres d’expédition, et 1121 touristes issus des pays de la SAARC (Association sud-asiatique pour la coopération régionale). Il est également une source essentielle de revenus pour le gouvernement népalais par le biais des permis d’ascension et de trekking, comme pour ses habitants, dont le territoire et l’économie ont été profondément transformés.

Ill. 1. Vue de l’Everest et du Lhotse depuis Kalapattar, Source : ANR Preshine

Genèse d’un hyperlieu iconique dans l’imaginaire touristique

L’Everest, qualifié de Toit du monde ou de troisième pôle, est entré dans l’imaginaire touristique mondial avec sa conquête en 1953 par l’expédition britannique conduite par le Général John Hunt. Elle faisait suite à une série de tentatives infructueuses (neuf expéditions) menées dans l’entre-deux-guerres dans un contexte fortement nationaliste de rivalités entre nations européennes. À cette époque, la frontière népalaise était fermée aux étrangers, l’accès à la montagne s’effectuant par son versant nord situé au Tibet, depuis la hill station de Darjeeling en Inde, où les Britanniques fondent en 1927 l’Himalayan club, sur le modèle de l’Alpine Club britannique.

Ill. 2. Le Népalais Tensing Norgay et le Néo-Zélandais Edmund Hillary en 1953, photo issue des collections de John Henderson, planteur de thé dans le Darjeeling et membre actif dans la préparation des ascensions (coll. Dirk Pons, CC BY-SA 3.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0>, via Wikimedia Commons)

Ces expéditions ont forgé la mythologie de cette montagne autour des exploits des alpinistes et de la figure héroïque des Sherpa, ethnie originaire du Khumbu, employés dans les expéditions. En 1959, l’invasion du Tibet par l’armée chinoise a entrainé la fermeture de la frontière tibétaine. Mais l’ouverture conjointe de la frontière entre l’Inde et le Népal a reporté l’organisation logistique des expéditions à partir du Népal et de sa capitale Katmandou.

L’Everest, accessible désormais par son versant sud, est devenu le point d’apogée des premiers circuits de trekking dans la région, faisant du Khumbu la 2e destination touristique du Népal. L’Everest est également le sommet le plus fréquenté par les expéditions du monde entier avec plusieurs centaines d’expéditions chaque année. Celles-ci doivent désormais obtenir un permis d’ascension auprès du gouvernement népalais d’environ 11.000$ pour chaque participant. Elles doivent également verser une caution qui leur est rendue si elles s’engagent à redescendre leurs déchets, qui s’accumulent au camp de base avec la croissance du nombre d’expéditions et en particulier des expéditions commerciales.

Des expéditions de plus en plus populaires

Ces expéditions sont apparues dans les années 1980 dans les catalogues de tour-opérateurs étrangers spécialisés dans le tourisme dit d’aventure, et dans le programme de guides de haute montagne indépendants, qui voient là une extension de leurs activités. Leur coût varie de 20.000 à 60.000$ . Elles nécessitent une importante logistique organisée grâce au concours d’équipes de sherpas chargées de sécuriser l’itinéraire et d’installer les campements d’altitude.

Ces expéditions commerciales traduisent l’évolution et le changement d’échelle d’une pratique jusque-là réservée à des alpinistes de haut niveau, à l’instar du Mont-Blanc, puisqu’elles sont désormais ouvertes, à condition d’y mettre le prix, à n’importe quelle personne en bonne condition physique et suffisamment entraînée qui rêve d’atteindre le toit du monde. De fait, la surfréquentation de l’itinéraire classique à certaines périodes de l’année (354 grimpeurs sur une journée sur le ressaut Hillary au printemps 2019), et les accidents meurtriers qui en découlent en partie (119 morts entre 1990 et 2019, 4 sur 11 en 2019 imputées en partie à la surfréquentation) font l’objet de nombreuses critiques.

Elles posent la question de la fermeture provisoire ou définitive de l’Everest à ces expéditions, au profit d’autres sommets moins célèbres ou plus accessibles. Les autorités népalaises y répugnent du fait du manque à gagner en termes de royalties pour l’État et de salaires pour les Sherpas, en arguant sur le relativement faible taux de mortalité (1%) et sa stabilité dans le temps malgré la hausse de la fréquentation (voir Hawley, 2021).

Isabelle SACAREAU

Bibliographie

  • Boutroy Eric, 2004, L’Ailleurs et l’Altitude. Alpinisme lointain et quête de la différence. Une ethnologie de l’himalayisme. Thèse d’anthropologie, C. Bromberger (éd.), Aix-en-Provence, Université Aix-Marseille 1, 2 vol., 727 p.
  • Hawley Elizabeth, 2021, The Himalayan Database, en ligne.
  • Lussault Michel, 2017, Hyper-Lieux, les nouvelles géographies de la mondialisation, Paris, Le Seuil, coll. «La couleur des idées», 307 p.
  • Jacquemet Etienne, 2018, La société sherpa à l’ère du «Yack Donald’s», lutte des places pour l’accès aux ressources dans la région touristique de l’Everest. Thèse de l’Université Bordeaux Montaigne.
  • Raspaud Michel, 2003, L’aventure himalayenne, les enjeux des expéditions sur les plus hautes montagnes du monde 1880-2000. Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 213 p.
  • Sacareau Isabelle, 1997, Porteur de l’Himalaya, le trekking au Népal. Paris, Belin, 271 p.