Emetteur et récepteur

Les termes «Émetteur» et «Récepteur» appartiennent au vocabulaire de la géographie du tourisme. Peut-on en faire bon usage?

Des termes largement mobilisés dans l’analyse du tourisme international

Dans son ouvrage consacré à cette approche, Georges Cazes (1989) écrit:

Pourvoyeurs et collecteurs. Tous les pays du monde sont à la fois en positon d’accueil – on les dit alors «récepteur» – et d’envoi ou de «fourniture» – le terme d’émetteurs s’est imposé – de touristes internationaux.

Georges Cazes, 1989: p. 22

Les deux termes sont donc dans cet ouvrage convoqués pour aborder la circulation les échanges internationaux de voyageurs. Mais ils ont été également mobilisés à d’autres niveaux territoriaux. Leur usage est lié à une approche par les flux qui ramène les individus à des objets qui circulent en fonction des «attraits» et des obstacles ou au contraire des «facilités» rencontrées dans les trajets.

Que faire de ces termes ?

Si nous sommes redevables aux chercheurs de cette période d’avoir intégré l’objet tourisme dans la science géographique, un regard interrogateur sur l’héritage s’impose. Toute science ne progresse que par un inventaire critique des énoncés considérés à un moment donné comme acquis. Dans cet esprit, il nous semble que ces termes ne peuvent plus être utilisés aujourd’hui. Ils appartiennent en effet à une perspective qui nie aux individus leurs capacités et compétences d’acteurs. En effet, si les touristes élisent des destinations en fonction de leurs représentations et de leurs projets.

D’une part, les valeurs structurent les décisions. Les unes sont collectives, comme le bronzage, qui s’est imposé en Amérique du Nord et en Europe, ou au contraire l’esthétique de la peau blanche qui prévaut en Chine et en Inde. Les autres sont individuelles, ou partagées par des groupes particuliers, comme le naturisme. Interfèrent également l’intériorité et les manières d’être car le touriste est d’abord un individu avec son vécu, ses croyances, ses modes de vie…

D’autre part, puisque le tourisme permet un relâchement des contraintes subies dans la vie quotidienne, l’expérience individuelle de chacun dans la période antérieure pèse aussi sur les choix. La pandémie du Covid a notamment accru les besoins de circuler, de sociabilité, de changement d’air et chaque pause s’est traduite par une vague de départ. De même, en général, après une année éprouvante, l’esprit est davantage disponible pour du repos que pour une expérience de découverte intense.

Donc à ce vocabulaire qui donne à penser que le tourisme international est un jeu entre les États, ou territoires, les uns qui envoient, les autres qui reçoivent, il convient de substituer des concepts qui expriment clairement les capacités de choix des individus dans une perspective dialogique inspirée à la fois par Bourdieu (1979) et par Lahire (1998). Aussi, nous suggérons de remplacer ces termes par «pays d’arrivée» et «pays de départ» qui restituent aux touristes leurs rôles d’acteurs.

Philippe VIOLIER

Bibliographie

  • Bourdieu Pierre, 1979, La Distinction. Critique sociale du jugement. Paris, Les Éditions de minuit, 670 p.
  • Cazes Georges, 1989, Le tourisme international mirage ou stratégie d’avenir? Paris, Hatier, J. Brémond, 196 p.
  • Lahire Bernard, 1998, L’Homme pluriel. Les ressorts de l’action. Paris, Nathan, 271 p.